Nobody – Mitski
-Miss Herrera ?
Je me tourne vers Maggie Johnson qui me regarde à travers ses lunettes avec un magnifique sourire. On est ensemble en cours de géographie et c'est la première fois que la rouquine m'adresse la parole.
-Quoi ?? Lui dis-je agressivement.
-Joli justaucorps ! Si on peut appeler ça comme ça...
Elle regarde avec dégout l'espèce de salopette à longues bretelles que je porte. Continue à me regarder comme ça et je te fous une droite dans la tronche !
-C'est une salopette, je précise. Ça devrait m'étonner que tu ne sache pas faire la différence ?
-Herrera, c'est une nouvelle année. Tu ne vas pas m'en vouloir à cause de ce que mes copines ont dit sur toi l'année dernière ? C'était juste pour te charrier.
-Et moi je n'ai pas trouvé drôle tous les surnoms que vous m'avez donné.
-Il y'a une rumeur qui cours, commence Maggie en se passant la main dans ses boucles rousses. D'après ce qu'on dit, tu veux te présenter à l'élection pour le poste de présidente du conseil des élèves ?
-Tu sais ce que c'est une rumeur au moins, sac d'os ?
-Je crois que tu n'ignores pas que je suis la présidente du conseil des élèves depuis la première année.
-Les choses changent.
Je m'apprête à sortir des toilettes où nous nous trouvent mais la sale garce maigrichonne derrière moi me retient en disant :
-Comme la taille de tes vêtements ! Ces vacances tu as dû passer du double XL au triple XL.
J'entends ses pestes de copines ricaner autour d'elle.
-Dis-moi, Barbie, reprend-t-elle avec son stupide sourire narquois. Ce sera quoi ta première action en tant que présidente du conseil des élèves ? Trouver une chaise à la taille de tes énormes fesses ?
Elle ricane. A moi, ça ne me fait pas rire alors je lui fous véritablement mon poing dans la tronche.
Je n'ai pas toujours été grosse. Pas toujours. Je suis énorme. Ce matin, j'ai essayé une quinzaine de tenues et aucune de m'a plu ou plutôt c'est moi qui n'ai plu à aucune. Cet été j'ai pris deux centimètres de tour de taille.
En primaire, moi, Barbara Herrera, j'ai été plutôt fine mais tout a basculé l'été de mes onze ans. Ma famille et moi sommes partis au Costa Rica pour les vacances d'été. Là-bas, j'ai mangé exactement onze tacos bien gras et bu vingt-huit pina colada et tout ça en deux jour, alors imaginez en deux semaines. De retour à Philadelphie, Simone m'a fait remarquer que j'ai pris au moins cinq kilos en plus. Elle a eu tort ; j'ai pris sept kilos.
Au début, ça ne m'a pas beaucoup dérangé. En primaire, on ne se pose pas beaucoup de questions sur son physique ou sur l'avis des autres. Tout ce qui nous intéresse c'est d'avoir la plus belle poupée de la cour de récré et de jour à la dinette avec ses amies. Mais tout a changé quand je suis arrivé au collège. Cette sensation que j'ai quand je marche dans le couloir et que j'ai l'impression que tout le monde regarde mon tour de taille, c'est écœurant. Le pire c'est en EPS quand je suis obligé de supporter les remarques et les moqueries de tout le monde parce que je ne veux pas faire de cent mètres ou de courses à relai. Qu'est-ce qu'ils ne comprennent pas ? Mon corps ne me permet pas de faire certaines choses.
« Dis Herrera, tu ne pourrais pas bouger ton gros cul un peu plus vite ? »
« Bien sûr que non, elle pèse trop sur toi. »
« Herrera, pourquoi t'es si grosse ? T'as mangé un éléphant ? »
Mon corps ! Oh, mon corps ! Qu'est-ce que je le déteste ! Parfois je pense à toutes les nuits que j'ai passé à m'empiffrer et pour me consoler, devinez ce que je fais...Je m'empiffre encore plus. Mon nom est tout le temps associé à une balance et c'est vraiment cruel de devoir se taper les commentaires des pompom girls qui ont leur corps juste comme il faut et les sportifs parfaits qui ont des abdos parfaits. Ce n'est rien d'autre que de la merde ! Pourquoi les gens fins pensent toujours qu'ils peuvent s'en prendre aux gros juste parce qu'ils sont gros ? Mais ils ont raison, et ça fonctionne. Me parler de mon poids me déstabilise tant. J'aurais juste voulu ressembler à Simone. Elle, elle a un corps de rêve.
-Et si on se faisait une soirée entre filles avec des films et des pizzas comme au collège ? propose May en s'asseyant derrière moi en cours d'anglais.
- Ouais, ça serait trop cool ! Je m'écrie, toute enthousiaste.
- Non, ma puce. Les pizzas, c'est bon pour aucune d'entre nous, dit Simone qui se tourne vers moi. Et surtout pour toi.
- Elle a raison, ajoute Cassie.
Au collège, j'ai connu mes quatre amies ; May, Cassie, Jude et Simone. Ce que j'aime le plus chez elle c'est qu'elles ne me jugent pas parce que je suis grosse et ne me rabaissent pas non plus. Si elles le font, ce n'est pas intentionnel en tout cas. Mais parfois, je ne me sens pas à ma place au milieu d'elle. Elles sont toutes fines, elles portent du S et du M alors que moi c'est à peine si j'entre dans un XXL.
-Raison sur quoi ? Fait Jude. C'est un crime de se manger une pizza ?
-Barbie ne devrait pas, dit Cassie.
-Et toi ?
-Moi, je veux garder la ligne.
Cassie fait glisser ses mains le long de son abdomen.
-Oh, s'il vous plait ! S'écrie May, comme agacée. On va arrêter cette obsession sur le poids ? Je veux juste qu'on passe une soirée entre filles.
-D'accord, dit Simone. Mais on pourrait le faire avec une salade verte ou des boulettes véganes.
-Des boulettes véganes ? Des boulettes ce n'est censé être avec de la viande ? Tu vas aussi me dire qu'il y'a de la viande végétale ?
-Je suis végétarienne !
-Non, tu es végane. Tu n'es pas intolérante à la viande, tu ne veux juste pas en manger.
-Bon, et moi alors ? Moi je suis un régime, lance Cassie.
-On te prendra des sodas sans sucres, réplique May avant de lui tirer la langue.
Cassie se tourne vers moi.
-Tiens, tu ne voudrais pas suivre mon régime avec moi ? Me propose-t-elle.
Comme si je ne me sens pas assez grosse comme ça.
-Tu la mets mal à l'aise, lui dit Jude.
Merci Jude !
-Non, bien sûr que non. Barbie, je te mets mal à l'aise ? Me demande Cassie
-Non ! Je lui réponds avec un signe banal de la main.
Je me maudis. Ça ne se voit pas déjà que je suis assez mal à l'aise comme ça, les gringalets ? Au moins, vous avez une idée de ce que je vis au quotidien. Mais je ne me suis pas présentée. Quelle insolente !
Bonjour je m'appelle Barbie Herrera et je n'ai rien d'une Barbie.
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Philly
Teen FictionPhiladelphie. Jude ne connait que ça. Mais pourtant elle ne s'y sent plus chez elle et elle n'a qu'une seule envie; partir sans se retourner. Si tout le monde fait des erreurs, pourquoi est-elle jugée pour les siennes ? Jude sait que rien ne sera pl...