Cassie

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Ruelle – Secrets and Lies

Deux semaines se sont écoulés depuis la fête de Cole. Deux semaines se sont écoulés depuis mon viol. Je n'ai parlé de ça à personne. Ni à ma mère ni à mes amies. À personne. Après tout, je suis aussi à blâmer pour m'être enivrée comme une conne. Barbie m'a tiré, elle m'a trainé, elle m'a dit d'arrêter de boire autant mais je ne l'ai pas écouté. Si seulement je l'avais écouté. Croyez-moi c'est la première fois de ma vie que je regrette ne pas avoir écouté Barbie.

Pour le moment, la seule personne qui est au courant est la psychologue du lycée. Bien évidemment, je lui ai dit de garder ça pour elle. On a un marché ; elle ne prévient pas ma mère tout de suite. D'abord, elle me laisse un peu de temps pour lui en parler moi-même mais si ça traine, elle interviendra.

-Comment tu te sens maintenant ? me demande-t-elle.

-Rien n'a changé depuis la dernière fois qu'on s'est vu, je lui réponds.

-Tu n'as toujours rien dit ?

-À personne. Je n'ai pas vu mes amies depuis que ça s'est passé. On se voit, on se fait un coucou mais je les évite. Je n'ai pas envie de leur parler.

-Et à ta mère ?

-Normalement on se dit tout. Peut-être qu'elle a remarqué que quelque chose ne va pas. Je sais que je dois lui en parler mais je sais déjà comment elle va réagir.

-Et toi ? Comment tu vas ?

Vous ne pouvez pas savoir à quel point je me sens sale. J'imagine ce dégoutant coller sa grande bouche dégueulasse sur moi, me toucher avec ses mains crasseuses, ça me dégoute de moi-même. Quand je suis rentré ce jour-là, je suis entré sous la douche et je me suis frotté le corps pendant des heures pour retirer toutes les traces qu'il a laissé sur moi mais je n'arrive pas à effacer les souvenirs de cette nuit. La nuit venue, j'ai peur. Je pleurs. Je pleurs. C'est insupportable de ne pas pouvoir oublier. Aujourd'hui, je me déteste. Je ne me suis jamais senti aussi morte de l'intérieur.

-Je ne vais pas bien, dis-je avec les larmes aux yeux.

-Et c'est tout à fait normal...

-Pourquoi c'est aussi dur ?

-Dur de faire quoi ?

-De vivre avec et d'oublier aussi.

-Tu n'as pas à oublier ce qui s'est passé parce que ça s'est passé et tu ne peux rien y faire. Tu n'as pas non plus à vivre avec. Tu peux en parler, comme tu le fais avec moi.

-J'aimerais en parler mais j'ai trop peur. Et s'ils disent que je l'ai provoqué ? Et s'ils disent que je le méritais ?

-Pourquoi est ce que les gens diraient ça ? C'est toi la victime dans l'histoire.

-Je me pose beaucoup de questions. Quand je marche dans les couloirs j'ai peur de la manière dont les mecs me regardent. C'est fou, avant j'étais obsédée par ça. Maintenant avant de porter quelque chose je me demande si ça renvoie le bon message. Cassie, tu veux vraiment porter cette jupe ? Est-ce qu'elle n'expose pas un peu trop tes cuisses ? Est-ce que tu ne vas pas passer pour une fille facile ? Ou est-ce que tu ne vas pas passer pour une chaudasse, une allumeuse ? Est-ce que quand ils vont te voir les garçons ne vont pas se dire « Je peux avoir celle-là. » ?

Je me pose la question de savoir est ce que c'est à ça que se résume la vie d'une fille ? Essayer de ne pas se faire abuser ? Essayer de ne pas passer un message que les hommes peuvent mal interpréter ? Est-ce que chaque fois que j'aurais à m'habiller je vais devoir anticiper si ce que je porte attire les regards ou pas ? Et si je ne me maquille pas ? Je vais paraître moins féminine et en même temps, si j'en fais trop les hommes vont croire que je fais ça pour attirer les regards. Est-ce que c'est ce que les dégoutants qui me regardent de l'autre côté de l'écran sur mon profil X se disent ? Que je suis si facile et accessible ? Que je suis automatiquement d'accord pour tout et n'importe quoi ?

-Personne ne pense ça, me dit la psy.

-Mais moi je pense à ça chaque fois que je vois mon reflet dans le miroir, je lui dis. Vous savez, je n'avais jamais ressenti ça avant.

-Et qu'est-ce que tu ressens ?

-Cette oppression. Cette répugnance. Cette honte. Cette haine. Je me sens mal dans ma peau.

-Et qu'en est-il de celui qui t'a violé ? Il s'en sort indemne parce que tu te tais. Tu sais, si tu ne parles de ça à personne, si tu ne le dénonce pas, tu lui laisses l'occasion de faire ça à d'autres femmes. N'aurais-tu pas aimé que quelqu'un lui mette un stop avant qu'il ne te fasse ce qu'il t'a fait ?

-Je ne souhaites ça à personne.

-Alors il faut que tu prennes ton courage à deux mains et que tu en parles.

-Je ne sais pas si en parler c'est une option.

-En parler est toujours la meilleure option.

-Le silence aussi c'est une option.


PhillyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant