Chapitre 6 | Diagnostic (1)

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Les journées s'enchaînent dans l'épuisement et la monotonie. Chaque matin, je me lève avec une lassitude grandissante, mes muscles endoloris protestant à chaque mouvement. Travailler au manoir devient de plus en plus pesant physiquement et moralement. Les tâches ménagères, routinières encore quelques jours auparavant, semblent maintenant interminables. Mes douleurs musculaires s'accentuent au fil des jours, renforçant le respect que je porte à ma mère. Elle a supporté ce fardeau pendant des années sans jamais se plaindre, et je comprends enfin la force qu'il lui a fallu pour continuer. Les jours s'allongent doucement, tandis que le mois de mars pointe le bout de son nez. La lumière du matin est plus douce, et les premiers signes du printemps commencent à apparaître, mais je peine à en tirer du réconfort.

L'heure de la pause déjeuner sonne enfin, une petite échappatoire dans cette routine harassante. Je me retrouve une fois de plus à déjeuner seule, puisque Béatrice est absente depuis quelques jours. Son absence se fait sentir, non seulement dans le travail, mais aussi dans l'ambiance morose qui règne parmi les domestiques. Je ressens le manque de camaraderie au sein du personnel. Les autres domestiques restent entre eux et ne semblent pas très réceptifs lorsque je demande à me joindre à eux. Leurs regards furtifs et leurs chuchotements me rappellent constamment que je suis une étrangère dans ce grand manoir.

Je décide de m'installer dans un coin de la salle de repos, quasiment vide durant la pause. Les murs blanchis à la chaux et les meubles rudimentaires offrent peu de confort, mais c'est l'endroit le plus paisible que je puisse trouver. Je fais réchauffer ma paëlla, que ma mère a préparée le lendemain de mon anniversaire, ce qui me fait penser à la soirée que nous avions passée toutes les deux pour l'événement. Le parfum des épices et du riz safrané me ramène à ce moment de bonheur simple partagé avec elle.

Il y a trois jours, comme chaque année non-bissextile, nous avons fêté mon anniversaire le premier mars, car je suis née le vingt-neuf février. Pour mes vingt-cinq ans, ma mère a tenu à marquer le coup en m'invitant à dîner au restaurant. C'était un petit restaurant italien, notre préféré, avec ses nappes à carreaux rouges et blancs et ses bougies qui clignotaient doucement sur les tables. La sortie m'a fait extrêmement plaisir, mais je voyais qu'elle était épuisée et que chaque mouvement lui demandait un effort presque surhumain. Ses sourires étaient sincères mais fatigués, et ses yeux, habituellement si vifs, semblaient alourdis par la fatigue. Cependant, elle tâchait de masquer son mal-être le mieux qu'elle pouvait, alors je n'ai rien relevé. Nous avons partagé une pizza Margherita et des pâtes à la bolognaise, riant des anecdotes passées et savourant ce moment de répit.

Nous sommes ensuite rentrées à l'appartement, et nous nous sommes installées devant une comédie romantique, comme nous en avons l'habitude depuis que je suis petite. C'est en quelque sorte notre tradition familiale, un rituel de réconfort et de complicité. Cet anniversaire avait une saveur particulière cette année. Chaque rire et chaque sourire étaient teintés d'une inquiétude sous-jacente. Nous sommes encore dans l'attente des résultats de son examen médical, et cette incertitude quant à son état de santé est insupportable. L'angoisse me serre le cœur à chaque instant, et je ne peux m'empêcher de redouter le pire.

Ma pause touche finalement à sa fin. Je soupire en jetant un dernier regard à mon assiette vide, le goût de la paëlla se dissipant doucement. Je range mes affaires et reprends mon travail. Les heures s'étirent comme de longues ombres, et chaque tâche semble peser davantage que la précédente. Je passe mon après-midi à me baisser, à monter sur des échelles et à porter des objets tous plus lourds les uns que les autres. La poussière s'accroche à mes vêtements et à ma peau, et la fatigue alourdit mes membres.

Alors que je suis en train de dépoussiérer une énième commode, je reçois un message. Le vrombissement léger de mon téléphone dans ma poche résonne comme une alarme dans le silence oppressant de la pièce. C'est ma mère. Sans même lire le texte, je l'appelle. Elle décroche à la première sonnerie.

— Ma Mimi, tu n'es pas censée avoir ton téléphone sur toi au manoir.

Sa voix est douce mais teintée d'une légère réprimande. Je le sais, mais ces derniers temps je le garde toujours sur moi, au cas-où ma mère ait besoin de moi en urgence, ou bien si elle doit m'annoncer une nouvelle.

— Que se passe-t-il Maman ? je demande en ignorant sa remarque.

Elle marque un court silence, un moment de flottement qui semble s'étirer à l'infini. Puis m'annonce :

— Le docteur m'a appelée. Il me convoque demain matin pour me donner les résultats.

Mon cœur se serre à ces mots. Je décèle de la peur dans sa voix. Cette peur qui s'infiltre dans chaque syllabe, chaque intonation. Je voudrais savoir comment était le médecin au téléphone, si son ton était grave ou rassurant. Mais je ne souhaite pas l'inquiéter davantage. Je tente de rassurer ma mère :

— Ne t'en fais pas, ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle.

Mes mots sonnent creux, même à mes propres oreilles. Je l'entends acquiescer avec beaucoup de doute. Le silence qui suit est lourd de non-dits et d'inquiétudes partagées. Elle doit sûrement sentir que je ne suis pas convaincue par ce que j'affirme. Et elle a raison.

— Je te laisse ma Mimi, je ne veux pas t'importuner davantage.

— Tu ne m'embêtes absolument pas. Jamais. Je viendrai demain avec toi.

Je sens sa résistance faiblir de l'autre côté de la ligne. Elle tente de protester, mais j'insiste jusqu'à ce qu'elle accepte. Je me dis que ce ne sera pas si grave si je suis un peu en retard demain. Je tâcherai de prévenir Jérôme. Quand je raccroche, une vague d'émotions me submerge. Mes jambes ne semblent plus supporter mon poids et je m'écroule par terre. Les larmes coulent silencieusement sur mes joues, et j'étouffe mes sanglots pour ne pas attirer l'attention. Mon corps entier tremble sous le choc de cette annonce. Chaque respiration est laborieuse, comme si l'air refusait de remplir mes poumons.

La pièce semble se refermer sur moi, et l'odeur de cire et de bois ancien du manoir, habituellement réconfortante, me donne la nausée. Je me prépare déjà au pire, ne trouvant pas de positif dans cette situation. Si tout allait bien, il le lui aurait simplement dit au téléphone. Les pensées sombres tourbillonnent dans ma tête, mais je me force à les repousser. Je me laisse exprimer toute ma peur et ma tristesse maintenant, afin de pouvoir soutenir du mieux que je peux ma mère quand nous aurons les résultats.

Petit à petit, je retrouve mon calme, mes larmes cessent de couler et ma respiration se régularise. Je pense que j'avais besoin d'extérioriser tout ça. Cela faisait trop longtemps que je gardais cette angoisse en moi, il fallait que ça sorte.

***

Bonjour tout le monde, comment allez-vous ?

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Merci beaucoup pour votre soutien que vous témoignez en votant et en commentant ! Je vous donne rendez-vous demain, comme d'habitude !

xoxo

Un Mal pour un BienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant