HÔTEL PARADIS | Livre interactif

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Les escaliers me paraissent bien moins intimidants maintenant mais la fatigue commence à se ressentir alors que j'atteins enfin le quatrième étage. La musique qui continue à résonner derrière les rideaux me guide jusqu'au lounge. La lumière y est beaucoup plus tamisée et l'ambiance plus confortable malgré une décoration tout en rose et pourpre d'assez mauvais goût. Derrière le bar, visiblement dans son élément, Túlio est en train de couper du pain frais pour accompagner un plateau de fromages et charcuterie posé sur le comptoir. J'observe les mets en salivant et mon estomac se met à grogner sous l'air amusé de l'homme. Cela fait longtemps que je n'ai pas eu l'occasion de sortir dans un bar ou profiter d'un repas préparé par quelqu'un d'autre.

– Je me doutais que vous auriez faim, sourit-il en m'invitant à prendre place sur le tabouret qui lui fait face.

Je prends place la tête basse, embarrassée de ne pas lui avoir accordé ma confiance dès le départ malgré sa gentillesse.

– Je vous sers un petit remontant avec ça ? Je sens que vous en avez besoin.

Il jette sur son épaule le torchon avec lequel il vient de s'essuyer les mains et secoue la tête pour dégager la mèche bouclée qui lui tombe sur le front avant de s'appuyer sur le bar. Ce n'est plus dans mes habitudes de baisser les yeux face à un homme mais l'intensité mystérieuse que dégage son regard quand il se penche vers moi me déstabilise et mon attention se tourne sans le vouloir vers l'anneau en argent qui se balance devant son torse exposé. Accroché à son cou par une chainette argentée, le bijou d'apparence sobre est lisse et brillant mais des lettres semblent gravées à l'intérieur. Celles-ci sont malheureusement impossibles à discerner tant l'anneau se balade d'avant en arrière. Je me demande ce qu'il représente pour lui : héritage familial ou preuve d'engagement domestique ?

Comme guidé par le mouvement de balancier, mon regard se pose distraitement sur la chemise amplement entrouverte de Túlio qui laisse apparaître une peau naturellement hâlée et couverte d'un voile de poils bruns grisonnants ondulant légèrement au croisement de sa poitrine.

– Taline ? Vous êtes toujours avec moi ?

Je confronte avec embarras ses yeux pétillants de sagesse et d'amusement. Il ne s'offusque pourtant pas de mon manque de politesse et m'invite à lui conter mon histoire tandis qu'il dépose sur le bar un verre à whisky qu'il emplit de quelques glaçons. Sa présence apaisante et presque hypnotique me conforte dans l'idée de ne plus devoir porter ce fardeau seule. Je bégaie quelques secondes, incertaine de savoir comment et par où commencer mon récit, mais une fois lancée, je ne m'arrête plus. Je lui conte tout, du mystérieux appel téléphonique à mon face-à-face avec la créature, et Túlio s'avère être un public particulièrement attentif et patient. Il ne me coupe à aucun moment et me laisse le temps de me calmer après mon histoire avant de finalement répondre de sa voix chaude.

– Vous n'êtes pas folle, Taline, bien au contraire et je crois pouvoir vous aider à faire sens de tout ce que vous avez vécu aujourd'hui.

Son sourire sincère et son pouce caressant doucement le dos de main me rassurent autant que ses mots, si ce n'est plus. Comme délestée d'un poids immense, je m'affaisse sur mon tabouret et remarque la boisson d'un marron laiteux que Túlio m'a servie. L'odeur sucrée familière m'emplit les narines et fait remonter de joyeux souvenirs.

– Du Baileys ? C'est un choix... surprenant.

– Mon petit doigt m'a dit que vous aimeriez, sourit Túlio en avançant le verre dans ma direction.

Je hume son contenu avant de contempler mon interlocuteur avec suspicion. Puis mes yeux se perdent un instant dans les iris couleur miel de Túlio à la recherche de réponse. Il ne m'a pas servi ma boisson favorite par accident ou simple coïncidence, c'est certain. Qui est-il et que fait-il dans cet hôtel ?

Face à mes questions, Túlio soupire et sert un autre verre avant de prendre la parole.

– Puisque vous avez été si courageusement honnête avec moi, je me dois de vous rendre la pareille. Je travaille ici depuis quelques années déjà en tant que barman mais mes compétences ne s'arrêtent pas à la confection de savants cocktails. Il se trouve que je possède la capacité de percevoir des choses que la plupart des gens ne voient pas. Tout comme vous, Taline.

Je stoppe ma dégustation pour jeter un regard circonspect à l'homme.

– Oui, moi aussi j'ai longtemps ignoré ce don pourtant incroyable mais vous remarquerez qu'il est difficile de le nier dans un endroit aussi chargé que cet hôtel. Les expériences que vous avez vécues cette nuit en sont la preuve.

Je fronce les sourcils, troublée, alors que Túlio me sourit tendrement. Je crois percevoir son regard s'arrêter un infime instant sur le vide au-dessus de mon épaule droite. J'engloutis une bonne gorgée de Baileys avant que la gêne ne s'installe. Évidemment que le seul employé de cet hôtel sur qui je tombe est un pseudo voyant qui croit pouvoir m'entourlouper avec ses révélations aussi impossibles à défendre qu'à contredire. Moi qui pensais qu'il allait m'apporter une véritable réponse à ce qu'il se trame ici...

– Écoutez Túlio, je suis très reconnaissante de votre attention et votre bienveillance mais les histoires d'esprits et de fantômes, ce n'est pas vraiment mon délire. Sauf votre respect, je pense qu'il y a des explications bien plus concrètes à ce qu'il se passe ici.

– Comment pouvez-vous en être certaine quand vous ne parvenez pas à contrôler votre propre don ? Les choses terribles que vous avez vues étaient-elles physiquement là ou n'était-ce que des visions, des échos du passé ?

Ses arguments font vaciller mon avis jusqu'alors bien arrêté. Il est vrai que toute cette soirée me parait bien trop surréaliste pour être réelle. Puis-je faire confiance à mes propres sens ? Ai-je réellement vu ce que j'ai vu ?

– Je sens une grande énergie, un pouvoir ancestral qui sommeille en vous, Taline. Plus vous fuirez, plus il risque de se manifester de manière incontrôlée. C'est l'erreur que j'ai faite avant que ma tante ne m'initie. Mais je suis convaincu que si vous êtes arrivé jusqu'à moi aujourd'hui, c'est pour que je puisse vous initier à mon tour. Si vous le souhaitez, bien entendu.

Sa posture est calme et son ton doux alors qu'il attend patiemment ma réaction. J'avoue que ses révélations me troublent et je ne peux m'empêcher de penser à ma grand-mère maternelle. Si quelqu'un a pu me passer ce genre de pouvoir, ça ne peut être qu'elle. D'un côté, j'ai envie d'y croire. J'ai envie de pouvoir me persuader que ma grand-mère était spéciale et qu'elle m'a vraiment transmis la magie dont elle se vantait tant quand j'étais enfant. Mais de l'autre côté, je crains que tout cela ne soit que fantasme. Une femme est réellement morte dans cet hôtel et une explication tout à fait logique doit forcément exister, n'est-ce pas ?

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À vous de choisir en quoi vous voulez croire...

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