Un appel inquiétant vous réveille au beau milieu de la nuit et voici que vous vous aventurez dans un vieil hôtel dont le passé tragique hanterait encore les lieux à la recherche de votre interlocuteur mystère. Mais l'hôtel semble plutôt désert et le...
Ma main vient se poser sur l'épaule de la journaliste qui lève des yeux emplis de détresse vers moi. Je vois cependant l'effort qu'elle met pour contrôler ses émotions. Je ne peux imaginer la lutte qui se joue à l'intérieur d'elle en ce moment mais impossible de me résoudre à la laisser prendre une telle décision sans lui partager mon propre vécu. Je baisse les yeux, peu fière de ce que je m'apprête à révéler.
– Il y a quelques années, j'ai eu un accident de voiture. C'est moi qui étais au volant et j'ai survécu mais mon petit frère sur le siège passager n'a pas eu cette chance.
Je marque une pause pour me donner du courage pendant que Camille murmure des excuses. Toute son attention semble concentrée sur mes paroles. Je respire un bon coup avant de continuer.
– Moi aussi, je continue à m'en vouloir tous les jours mais ça ne le ramènera pas pour autant. À la fin, tout ce qu'il nous reste ce sont quelques photos et des souvenirs. La question est : comment veux-tu te souvenir de Maël ? Je comprends que tu aies envie de le voir pour y croire mais une fois que tu auras vu son cadavre, il n'y aura pas de retour en arrière. Ce n'est pas le genre d'image qu'on oublie facilement. Crois-moi, si j'avais eu le choix, j'aurais préféré ne pas voir mon frère dans cet état. J'ai beau avoir été formée et confrontée à des scènes violentes à la police, rien ne te prépare vraiment à voir une personne aimée à l'article de la mort, le corps ensanglanté et les os brisés. Mes jambes étaient coincées par la taule. Je n'ai rien pu faire d'autre que le regarder agoniser. Cette image est restée ancrée en moi. Désormais, dès que j'essaie de me rappeler comment était mon frère de son vivant, cette dernière vision de lui vient tout gâcher. Est-ce que ça vaut réellement le coup ?
– Tu as raison. Je ne crois pas que je suis prête à le voir dans cet état mais je veux savoir ce qu'il s'est passé, comment il est mort exactement et s'il a souffert.
– Si cela peut te consoler, j'ai vu son corps et, en prenant en comptes ses nombreuses blessures et ce que j'ai entendu de son appel, je pense que sa mort a été rapide.
Camille hoche lentement, le regard ailleurs, avant de se reconcentrer sur moi.
– Taline, m'agrippe-t-elle le bras, tu veux bien le prendre en photo ? Pour que je puisse le voir quand je serai prête.
Elle place son petit appareil photo dans ma main, ses yeux brillant d'un espoir nouveau. Comment dire non à une moue aussi charmante ?
– Ah, et si tu peux récupérer mon ordinateur au passage...
J'acquiesce, un sourire amusé sur le visage, avant de m'engouffrer dans la chambre. L'odeur est plus poignante que dans mon souvenir. En vérité, tout me parait bien plus clair et précis que lors de ma première visite, et bien moins terrifiant également maintenant que je sais. Même le corps qui m'attend dans le placard n'est pas aussi terrible à voir. Ma vision avait dû être déformée par l'inhalation du gaz. Je ne m'attarde pas pour autant. Je m'empresse de prendre quelques photos puis de rassembler les affaires de Camille dans son sac avant de sortir.
Je retrouve Camille à quatre pattes dans le couloir, en train de regarder sous la porte d'une chambre en sifflant. Quand elle m'entend approcher, elle se redresse aussitôt.
– Tu n'as pas vu un chat dans la chambre par hasard ?
– Non, mais on reviendra le chercher plus tard, c'est promis. Pour l'instant, il faut vraiment qu'on quitte cet hôtel.
Cette fois, Camille ne rechigne pas même si je sens l'inquiétude sur son visage. Elle récupère son sac et nous reprenons d'un pas rapide notre descente.
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Ce n'est qu'une fois le rez-de-chaussée en vue que je prends le temps de me retourner pour contempler une cage d'escalier définitivement déserte. Avec un léger pincement au cœur, mes mains s'accrochent à la porte qui nous ramène au hall de l'hôtel. Le souffle court, nous découvrons un lobby toujours aussi désert. La musique d'ambiance qui accompagnait mon arrivée résonne encore. La lumière du jour que les grandes fenêtres du hall laissent passer donne à la moquette et au papier peint rouges une brillance encore plus chaleureuse que dans mon souvenir. Toujours aucun client dans les parages mais, cette fois, il y a bien quelqu'un derrière le bureau en bois vernis de l'accueil. Une femme blonde portant un uniforme hôtelier et un petit badge semble affairée à ranger les documents éparpillés sur le bureau en rouspétant doucement. L'horloge de l'accueil au-dessus indique qu'il est déjà sept heures du matin passées.
Je prends le temps de me recoiffer rapidement et tirer sur ma veste avant d'accrocher mon coude à celui de Camille. Calmement, nous nous dirigeons vers la sortie en évitant soigneusement le regard de la réceptionniste. Elle ne semble pas nous avoir remarquées. C'est difficile à croire mais encore quelques mètres et nous serons enfin sauves. Mes pas se font soudain lourds et douloureux. L'adrénaline me quitte, révélant toutes mes blessures de guerre laissées par cette nuit improbable. Je ne lâche pas mon objectif des yeux pour autant. Camille presse une main d'encouragement sur mon bras et je lui souris. Savoir que je ne suis plus seule est rassurant et sa simple présence emplit mon cœur d'une émotion positive. Serait-ce...
