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Je ne sais pas si Túlio voit venir le sujet de ma question mais je le sens s'agiter avec malaise avant de s'accouder devant moi, m'invitant à continuer. Mes yeux s'arrêtent sur son visage, analysant la moindre de ses réactions alors que je bois une nouvelle gorgée de crème de whisky pour me réchauffer.

– Vous avez parlé d'esprits mal intentionnés. Y en a-t-il dans cet hôtel ?

– Quelques-uns, répond-il après un temps de réflexion, mais ce n'est pas vraiment leur faute.

– Comment ça ? Pourquoi sont-ils là ? Que veulent-ils ?

Mon engouement presque enfantin doit paraitre amusant car Túlio s'autorise un petit rire doux avant de faire face à mon flot de questions.

– Certains sont ici depuis des décennies et la plupart le sont contre leur gré. Tous sont retenus sur le plan matériel par quelque chose, un désir inassouvi, un sentiment de culpabilité, ou le besoin de veiller sur quelqu'un. Il est parfois possible de leur faire entendre raison mais c'est une tâche difficile et plutôt ingrate étant donné qu'à la fin, ceux qui restent dans les parages ne sont pas les plus aimables...

– Pourquoi rester ici alors ?

Je l'observe avec curiosité laisser sa tête tomber sur ses mains. Il se frotte le visage en grognant avant de pousser un long soupir empreint de fatigue.

– Tal, murmure Jivan directement dans ma tête. Si tu veux mon avis, y a anguille sous roche.

J'échange un regard empreint d'inquiétude avec le fantôme de mon frère. Notre dialogue silencieux nous mène à la même conclusion : même un médium aguerri n'est pas à l'abri des tourments qu'offre cet hôtel. Comment ne l'ai-je pas vu plus tôt ? La détresse qui brille derrière les pupilles chaleureuses de Túlio alors qu'il me sert un nouveau verre de Baileys me parait si évidente maintenant. Je n'ose imaginer les conséquences qu'un endroit aussi peuplé d'esprits doit avoir sur sa santé mentale. Depuis combien de temps travaille-t-il ici ? Combien de personnes mortes a-t-il vues défiler et combien d'histoires tragiques a-t-il écoutées ? Ce don est-il vraiment un cadeau ?

– Túlio, vous êtes sûr que ça va ?

L'absence de brillance dans son regard quand il plante ses yeux dans les miens me surprend. Sans réellement y réfléchir, je pose mon verre et viens attraper la main du barman dont la mine déconfite me brise le cœur. Surpris par mon geste, il recule et vient s'accrocher à l'anneau autour de son cou comme à une bouée de sauvetage.

– Ne vous inquiétez pas pour moi, grommelle-t-il dans un sourire gêné. Je sais me protéger et je peux vous apprendre à faire de même mais vous devez d'abord reprendre des forces.

Il m'invite à finir ma nourriture avant de jeter un coup d'œil inquiet derrière lui.

– Túlio, je ne suis certainement pas une experte en la matière mais vous avez l'air épuisé. Je comprends que vous vouliez aider mais peut-être devriez-vous penser à vous avant tout ?  

– Et c'est toi qui dis ça ? souffle Jivan tout près de mon visage.

Je le dégage d'un geste de la main, d'autant plus agacée que je sais qu'il a raison. L'histoire de Túlio fait écho en moi. Cette solitude malgré le bruit autour et ce besoin intarissable d'aider les gens, de se rendre utile, de trouver un sens à rester en vie. Mais il y a autre chose. Quelque chose qui le tourmente plus qu'il n'ose l'avouer, c'est certain, mais je ne sais pas si je fais bien de m'en mêler.

HÔTEL PARADIS | Livre interactifOù les histoires vivent. Découvrez maintenant