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J'observe avec curiosité Camille enjamber le cadavre du concierge et jeter un coup d'œil dans le hall de l'hôtel avant de fermer la porte de la conciergerie. Elle m'explique que nous sommes en sécurité ici pour le moment puis sort un papier froissé de sa veste pour me le tendre. Je le déplie avec précaution tandis que Camille s'affaire à retrouver quelque chose au fond de la pièce. Sur la page visiblement déchirée d'un carnet, des notes sans queue ni tête côtoient des croquis médiocrement réalisés de deux monstres. L'un d'eux est petit, trapu et me fait étrangement penser à un singe au visage poilu. L'autre, malgré des traits hasardeux, ne laisse pas beaucoup de place au doute : grand, fin et lisse, il ressemble en tous points à la créature que j'ai croisée au troisième étage. Avide d'en savoir plus, j'essaie de remettre de l'ordre dans les signes cryptiques qui s'étendent sous mes yeux mais Camille m'interrompt.

– Ne vous embêtez pas avec ça, me lance-t-elle en revenant vers moi. C'était seulement au cas où on ne me retrouve pas en vie.

Sa façon d'annoncer si simplement l'horreur d'anticiper sa propre mort me perturbe. Mais Camille ne semble pas s'en formaliser. Avec un calme et une concentration remarquable, elle pointe le dessin de la grande créature.

– C'est ce qui nous a attaqué, Maël et moi, dans ma chambre. Maël est un vieil ami du lycée et un excellent monteur vidéo. Je savais que cette enquête serait particulièrement difficile à mener et j'avais besoin de quelqu'un de confiance pour m'accompagner. Cela fait un moment que j'observe les agissements du groupe pharmaceutique Cheng. Je les soupçonne d'être derrière de nombreuses affaires de morts et de disparitions étranges mais ils ne sont malheureusement pas du genre à laisser beaucoup de traces. J'ai tout de même réussi à établir un lien entre eux et le propriétaire de cet hôtel. Cela coïncide plus ou moins avec la mort mystérieuse d'une certaine Adeline Berger.

Je revois les articles et vidéos que j'ai épluchés pendant mon trajet en taxi. Adeline se serait défenestrée depuis la suite du cinquième étage alors qu'elle séjournait dans l'hôtel pour une nuit avec des amies. La vidéo de surveillance de l'ascenseur la montre en proie à une peur particulièrement saisissante. A-t-elle été attaquée et poursuivie par cette créature, elle aussi ?

– Je crois qu'Adeline a vu quelque chose qu'elle n'était pas censée voir et qu'ils ont dû la faire taire, théorise Camille. Pire encore : cela ne les a pas arrêtés. Je ne sais pas exactement quelle sorte d'expérience dérangée ils mènent ici mais quelqu'un lié aux laboratoires Cheng vient régulièrement séjourner au troisième. Jamais la même personne et souvent des stagiaires qui finissent par bizarrement disparaitre de la circulation quelques semaines plus tard. Alors on a décidé d'infiltrer sa chambre mais on s'est fait surprendre et j'ai renversé des fioles par mégarde. Je n'ai jamais vu Maël aussi paniqué...

– Que contenaient les fioles ?

– Je ne sais pas mais certainement rien de bon. L'odeur m'a donné mal à la tête. On s'est réfugié dans ma chambre mais c'était trop tard. Maël m'avait prévenu. Plus tôt dans la soirée, il avait aperçu une créature étrange dans le couloir mais je n'ai pas voulu le croire. Et vous n'allez sûrement pas me croire non plus mais je l'ai vue aussi. Elle était à notre porte, cette... chose.

Elle désigne d'un coup de menton la créature mais je n'ai pas besoin de regarder à nouveau le dessin pour partager le frisson de terreur qu'elle réprime.

– Je l'ai vue aussi, au troisième étage.

– Vraiment ? s'étonne-t-elle en manquant presque de s'étouffer. Et l'autre ?

Elle montre d'un geste pressé de son index la deuxième créature mais son excitation redescend bien vite quand je secoue la tête.

– Maël était complètement paralysé, m'explique-t-elle, le regard tourné vers ses souvenirs. Alors j'ai attiré la créature au premier étage pour l'éloigner mais quand je suis retournée sur mes pas pour retrouver Maël, je suis tombée sur cette chose à la place.

Son récit jusque-là bien construit commence à vaciller en même temps que sa voix alors que ses yeux se perdent dans le lointain.

– Elle était particulièrement agitée, se souvient-elle. J'ai... J'ai été obligée de me défendre.

Ses lèvres tremblent d'émotion et sa respiration devient de plus en plus saccadée. Je ne peux qu'imaginer son désarroi à cet instant précis. Lutter pour sa vie fait partie de l'instinct humain mais cela ne rend pas nos propres actions plus faciles à encaisser, surtout quand cet instinct nous pousse à être violent envers un autre être vivant, aussi monstrueux soit-il.

– Je... crois que je l'ai blessé mais je ne suis pas sûre, avoue-t-elle en reprenant peu à peu sa contenance. Dès que j'ai réussi à l'enfermer dans le placard, je me suis enfuie. J'ai essayé de quitter l'hôtel mais tout était fermé et le réseau complètement brouillé. C'est là que j'ai vu de la lumière dans la conciergerie...

Nos deux regards se tournent sans un mot vers le corps du vieil homme gisant encore à nos pieds. Quand mon attention se relève vers Camille, deux billes noires m'observent d'un air suppliant.

– Je ne voulais pas lui faire peur ! se défend Camille avec urgence. Je m'étais cachée par sécurité mais il s'est cogné la tête quand il m'a vu et... j'ai rien pu faire. Je craignais que la créature me trouve alors j'ai fermé la porte et je suis restée cachée ici en attendant le retour des autres employés. 

J'acquiesce lentement, la remerciant pour son récit difficile mais enrichissant. En assemblant ses découvertes et les miennes, je commence peu à peu à entrevoir la finalité de cette histoire à dormir debout. Tous les indices semblent converger vers la suite du dernier étage. Les réponses à toutes nos questions s'y trouvent très probablement.

– Madame Ashjian, s'approche doucement Camille pour me saisir la main. Je peux vous appeler Taline ?

Sa voix est aussi douce que ses gestes et ses iris scintillent avec un espoir nouveau. Je hoche la tête et baisse le regard, gênée. Cela fait bien longtemps que l'on ne m'a pas regardée avec ce genre d'admiration. Le genre qu'on ressentirait en contemplant une idole ou un super-héros. Certainement pas moi.

– Vous ne le savez pas mais je vous dois beaucoup. Votre histoire m'a ouvert les yeux et a changé ma vie, littéralement. Il y a encore quelques minutes, j'étais terrorisée à l'idée d'avoir fait le mauvais choix mais maintenant que vous êtes là, je sais pourquoi je me bats et je continuerai de me battre, coûte que coûte, pour que la vérité soit établie.

Tout son être brûle d'une détermination dévorante qui ne me laisse pas indifférente. Je me revois, jeune policière débordante d'envie de faire mon devoir et d'aider les autres. Ce besoin insatiable de se rendre utile, de protéger les plus faibles et de répandre le bien autour de soi. C'est ce que j'ai toujours fait et ce que j'ai toujours recherché dans chacun de mes choix sans jamais me l'avouer.

– Taline, m'interpelle Camille en brandissant une clé entre nos deux visages.

Elle est bien plus moderne que le reste des clés de l'hôtel mais les mots « escaliers 5e » gravé dans le bois du porte-clé ne laisse pas de place au doute quant à la serrure qu'elle ouvre.

– Acceptez-vous de m'aider à rétablir la vérité et à sauver mon ami ?


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À vous de choisir...

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{MONTER AU 5e AVEC CAMILLE}

Direction en 88


OU


{REFUSER ET QUITTER L'HOTEL}

Allez en 95 

HÔTEL PARADIS | Livre interactifOù les histoires vivent. Découvrez maintenant