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Je suis sans défense et la créature est dans une position vulnérable. Si je veux contrattaquer, c'est maintenant ou jamais. Je fonce tête en avant vers elle et pousse de toutes mes forces sur mes bras pour faire basculer l'immondice dans l'escalier. Surprise, elle trébuche et s'accroche à moi dans sa chute. Je n'ai pas le temps de me défaire de son emprise. Mon corps bascule en même temps que le sien et ma tête heurte le sol juste après mon épaule. J'entends la bête pousser un cri de douleur presque humain.

Sonnée, je me relève avec difficulté et pose une main sur mon crâne. Heureusement, l'adrénaline m'empêche d'avoir trop mal, pour l'instant. En voyant la créature étalée un peu plus bas essayer de se remettre sur pattes, je décide de ne pas attendre de voir si elle réussira son objectif ou non et me met immédiatement à courir dans la direction opposée, vers le quatrième étage.

Je cours sans me retourner, enjambant les marches deux par deux et manquant de perdre l'équilibre à plusieurs reprises. Ma tête pulse d'une douleur de plus en plus vive à chacun de mes pas mais l'instinct de survie me hurle de continuer coûte que coûte. Une lumière grandissante et un petit air de jazz me guident jusqu'au dernier palier et sa grande porte aux enjolivures dorées.

Aussitôt que je passe le pas, des plafonniers à l'éclat éblouissant viennent renforcer ma migraine et m'obligent à baisser les yeux. Je ne m'arrête pas d'avancer pour autant. La peur que la chose m'ait suivie me pousse à marcher aussi vite que mon état me le permet, zigzaguant entre des tables aux nappes d'un blanc immaculé, renversant un ou deux vases de fleurs au passage. Malgré tous mes efforts, je sens ma vision se troubler de plus belle et mes forces me quitter peu à peu. Ma main prend appui sur le dossier sculpté d'une chaise et mon regard se perd un instant dans les motifs finement cousus d'une des nappes avant que mon monde ne soit complètement renversé.

Je suis presque étonnée de sentir un sol froid et lisse contre mon dos. Des éclats de toutes les couleurs dansent gaiement devant mes yeux tandis que des pas précipités s'approchent dangereusement de mon oreille. J'amorce un mouvement pour me lever mais tout mon corps me parait bien trop lourd, comme ancré dans le sol. J'ai l'intime conviction que je ne bougerai pas, que je ne bougerai plus jamais. Pourtant cela ne m'inquiète pas. Et quand une tête chevelue définitivement humaine se penche au-dessus de moi, j'ai seulement la force de soupirer de soulagement avant de sombrer.


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Une chaleur réconfortante m'enveloppe toute entière et je sens une joie profonde m'envahir en voyant le visage de mon petit frère courir jusqu'à moi. J'ai retrouvé mes vingt-deux ans et sa petite bouille d'enfant se discerne encore malgré son corps d'ado grandissant. Il m'entraine avec lui d'un pas pressé pour nous éloigner au plus vite du lycée et je sais très bien pourquoi. Cela fait un moment que des camarades de classe l'embêtent et se moquent de son zozotement. Il ne veut pas que cela se produise devant moi ou leur donner un nouveau prétexte pour se faire traiter de bébé, mais moi je veux les voir et je veux qu'ils me voient, qu'ils admirent mon uniforme tout neuf et réfléchissent à deux fois avant de s'en prendre à ma famille. Alors quand j'entends des rires étouffés derrière nous, mon sang ne fait qu'un tour.

Je me retourne avec la ferme intention de leur offrir un regard des plus terrifiants, mais ce ne sont pas des adolescents qui se tiennent devant moi. C'est lui. L'enfoiré qui a fait basculer ma vie. Il me déshabille de son regard obscène et affiche un sourire malsain qui semble dire « C'était juste pour rire ». Mes doigts se crispent en même temps que ma mâchoire. J'ai tellement envie de lui faire ravaler ses mots, toutes ses paroles dégradantes et ses gestes déplacés, juste pour rire, et puis l'étouffer avec les médailles qui décorent son poitrail et qu'on a osé lui décerner pour l'acclamer tel un héros malgré ses crimes. La colère monte en moi doucement avant d'éclater, me poussant à resserrer mes mains autour de son cou, mais devant moi l'ingrat s'étend vers le haut et son uniforme blanchit jusqu'à laisser place à une immense silhouette aux ongles de métal. Plongée dans l'obscurité, je n'ai pas le temps de courir que sa main s'abat sur ma gorge. Le souffle coupé, je tombe à genoux et porte une main sur ma blessure mais ne rencontre aucune plaie ou éraflure. Des sueurs froides me parcourent les tempes et des centaines d'insectes se mettent à parcourir mon corps. J'ai terriblement envie de vomir mais rien ne sort. Quand je relève la tête, impuissante, mon frère désormais adulte m'observe de ses yeux vides. Son teint est pâle et plusieurs plaies sanguinolentes couvrent son t-shirt favori. Celui qu'il portait la dernière fois que je l'ai vu. Je cours vers lui en criant à m'en déchirer la voix mais c'est trop tard. Une lumière accompagnée d'un bruit de klaxon m'aveugle puis j'entends les crissements de pneus et me cramponne au volant...

Je me réveille en sursaut, le corps complètement tendu et le souffle court. Tout me revient assez rapidement ; l'appel, l'hôtel et... la créature. Je me redresse à une telle vitesse que les murs ondulent autour de moi. Le vertige passé, mes yeux s'accommodent à mon environnement qui n'a rien de familier. Je ne reconnais ni le sofa sur lequel je me trouve, ni le lino marron et le papier peint beige, ni la petite kitchenette qui longe le mur ou la rangée de casiers qui lui fait face. Suis-je toujours dans l'hôtel ?

Intriguée mais prudente, je quitte le plaid dans lequel je suis encore emmitouflée pour parcourir la pièce. La personne qui m'a couché a visiblement pris le temps de retirer mes chaussures et ma veste. Celles-ci m'attendent sagement avec mon sac à dos sur une chaise près d'une petite table en bois usé. Une trousse de premiers soins y déverse nonchalamment son contenu. Ce n'est qu'en l'apercevant que je remarque que mes blessures ont visiblement été traitées.

Tout en terminant de me rechausser, j'observe avec attention la porte de la pièce et ses alentours. Il semblerait que je sois dans une sorte de salle des employés. Près de l'évier, une machine à café, une bouilloire et des sachets de thé se côtoient sobrement au-dessus d'un petit frigo. De l'autre côté, sur les casiers alignés le long du mur, des prénoms sont inscrits. Je m'approche du seul casier légèrement entrouvert, celui d'un certain Túlio. La porte d'un orange passé grince quand je la tire vers moi, révélant une penderie avec un costume complet de serveur et un compartiment supérieur plutôt bien rempli. J'y trouve notamment un trousseau de clés. Certaines sont modernes mais d'autres, à l'instar de celles de l'hôtel, sont plus volumineuses et usées. Derrière, un petit portefeuille au tissu coloré repose au-dessus de nombreux livres aux titres plutôt ésotériques. Sur l'intérieur de la porte du casier, un calendrier commençant en janvier 2024 indique par de petites croix les jours de présence de l'employé. Étonnement, ce dernier ne semble avoir pris aucun congé. Soit il a vraiment besoin d'argent, soit il vise le titre d'employé de l'année.


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C'est pas bien de fouiner dans les affaires des gens...

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{VOLER LES CLÉS}

Ce sera en 62


OU


{FOUILLER LES AFFAIRES DE TULIO}

Rendez-vous en 63


OU


{QUITTER LA PIÈCE}

On part en 64

HÔTEL PARADIS | Livre interactifOù les histoires vivent. Découvrez maintenant