CHAPITRE 60

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Cher journal,

Je ne sais même pas par où commencer, ni pourquoi je m'acharne encore à écrire alors que la plume m'a été arrachée. J'ai la sensation d'avoir perdu quelque chose de vital, alors je crois que j'ai besoin de coucher ma peine sur le papier...

J'ai existé, mais j'ai été détruite. J'avais créé tout un monde, mais il a été détruit.

Je voulais faire partie des autres, appartenir à ma réalité autrement qu'en me fondant dans la masse. Je voulais faire ça à ma façon, dans mon coin, sans jamais rien dire à qui que ce soit, parce qu'autrefois j'avais attiré la haine et les ennuis. C'était censé rester entre moi et moi-même, personne ne devait le lire, mais voilà que tout avait été anéanti.

"Fin de l'histoire" avait-elle dit avant de tout envoyer balader. Et elle avait raison. "La blonde", comme je l'avais si souvent écrite, avait raison.

Un ordinateur qui passe par la fenêtre est difficilement réparable.

58 chapitres et un été à taper tranquillement sur le clavier, sans jamais soupçonner que le pire puisse arriver. Tout ça pour au final ne pas avoir le droit à mon happy ending. D'ailleurs, personne n'y avait eu le droit. Ils sont tous restés bloqués dans la narration. Ce n'était pas ce que j'avais prévu. Je voulais juste que chacun d'entre nous connaisse une meilleure fin, même si cela devait être dans une réalité parallèle.

Elle ne le saura jamais, mais elle m'a arraché bien plus qu'un ordinateur ou un fichier. Elle m'a enlevé un monde entier.

Ça me noue l'estomac rien que d'y repenser, mais je me souviens encore de ce dialogue, de cette phrase que j'ai essayé d'écrire et que je n'ai jamais pu terminer. En une fraction de secondes, l'écran, le clavier, la souris, tout avait explosé contre le béton du trottoir sur lequel donnait la fenêtre de notre chambre. Malgré mes supplications, "La blonde" n'a eu aucune pitié, elle n'a même pas voulu me laisser le temps de lui expliquer, elle avait lu quelques lignes dans mon dos et en avait tiré ses propres conclusions. Désormais, elle ne m'adressait plus la parole. Mais bon, cela faisait déjà un moment que c'était le cas.

J'ai mal au crâne, je suis en vrac et je me sens seule. Mais j'ai besoin de tout clarifier pour tenter de faire le deuil de mon histoire, pour tenter de comprendre, de donner un sens aux milliers de mots que j'ai écrits, même si maintenant, ils n'ont plus aucune importance...

En fait, j'ai caché une signification derrière tellement de choses qu'il me faudrait écrire un autre roman pour tout expliquer. Libre à ceux qui (ne) liront (jamais) cette histoire de tout interpréter.

Dans mon vrai monde, rien n'était sous mon contrôle. Tout me glissait entre les doigts, tout était figé comme si je vivais au ralenti, spectatrice de ma propre vie. Mais dans Sweet Mika, j'avais ce pouvoir-là, de créer, de faire et défaire les vies, de construire quelque chose qui n'existait nulle part ailleurs. C'était tout ce que je n'aurais jamais pu faire pour moi-même. Et dans mon histoire, j'avais au moins l'impression de pouvoir réparer un peu les choses, donner une chance à tout le monde de sortir de la boucle sans fin, et me faire pardonner.

Mikaëla, c'était moi. Oui, moi. Mais pas moi telle que je suis. Elle était une version de moi que je rêvais d'être : celle qui n'a jamais eu peur, qui prend place sans demander la permission, qui ne se perd jamais dans les attentes des autres, qui a confiance en elle, et qui n'est dans l'ombre de personne. C'était la fille avec une histoire, une vie, une profondeur, du caractère, celle qui se fait entendre, celle à qui on s'intéresse et qu'on respecte. Elle était tout ce que je n'osais pas être. C'était la seule partie de moi qui était libre et qui pouvait affronter tout ce que je fuyais.

Sweet Mika (EUPHORIA)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant