Chapitre 5 ~Rigus

302 36 9
                                    

-  Mur-Saint-Sauveur ! jura Rigus assis sur son lit.

Il se redressa brusquement, renfila sa chemise grise et sauta les marches du petit escalier.

- Papa ! Jord ! Grouillez !

- Qu'est-ce que c'est, fils ? s'enquit l'aïeul d'une voix éraillée.

- La Nuit du Grand ! Ca a déjà commencé !

- Quoi ? Jord ! Dépêche-toi !

- On va avoir des ennuis ! Filez !

Rigus ouvrit la porte à la volée et se précipita dehors.

Tous les hommes étaient alignés devant leurs maisons, tournés vers l'immense Balcon des Cérémonies de la Cité. Rigus s'appuya un instant, essoufflé.

Brusquement tous se mirent à genoux le front contre le sol, relevant la tête à intervalles réguliers avec leurs bras tendus. Ils récitaient à voix basse l'hymne du Mur.

Rigus, paniqué, se jeta contre le sol et commença à les imiter.

- ... Mur tiendra

Tant que le Vent soufflera...

Des pas claquaient, menaçant, sur le sol rêche de la rue.

Les officiers et les soldats des Forces, leur badine à la main, contrôlaient les ouvriers et criaient des ordres. Soudain, dans la nuit croissante, une lumière aveuglante parvint du ciel.

Enfin, elle venait d'un projecteur d'une taille inimaginable placée dans la pièce derrière le Balcon des Cérémonies, dans le lointain et en hauteur. Les soldats se mirent au garde-à-vous tandis qu'une musique triomphante résonnait de clairons dispersés un peu partout.

Les Nuits du Grand se faisaient de plus en plus rares et, par conséquent, de plus en plus exceptionnelles. Les paroles redoublaient de volume.

- ... Je reconnais comme souverain

L'incroyable Grand, si serein

Si je devais le décevoir

J'aurai failli à tout devoir

Et d'une main ferme, je me tuerai

Sans hésiter, sans trembler !

Le Mur Suprême ne sera pas clément

Lui-même reconnait la loi du Grand

Et le Mur tiendra

Tant que le Vent soufflera...


La tête du Grand apparut au balcon. Sa silhouette se détachait nettement dans la nuit : on pouvait même distinguer vaguement, en sachant à quoi il ressemblait, ses épaulettes, son nez un peu grand, et sa barbe.

Il resta là deux minutes tout au plus, puis rentra. Le spot s'éteignit lui aussi.

Au signal des Forces, la foule rentra chez elle sans bruit. On ne verrait plus le Grand avant des mois.

***

Rigus se leva de bonne heure et avala rapidement de la bouillie de riz. Il sortit de chez lui son papier à la main, le cœur lourd et le front soucieux.

Dix minutes plus tard, il arrivait au poste de contrôle et tendit son papier au vieux Josk.

Cet homme, qui autrefois lui était amical, leva la tête lui infligea un regard des plus noirs qui soient. C'est à peine s'il ne lui cracha pas à la figure.

- A gauche, siffla-t-il aussi froidement qu'un serpent.

Rigus baissa les yeux et suivi la direction indiquée. Aujourd'hui, pensa-t-il, ma vie change à jamais. Tout espoir d'amélioration de sa condition venait d'être anéanti. Il soupira et se plaça face à la guérite blanche d'où il allait s'embarquer chez les Noirs. Pour trois jours. L'officier des Forces apposa un cachet sur son papier puis lui tapa violemment dans le dos, et il passa derrière la chaîne pour se retrouver à deux pas d'un petit véhicule électrique ouvert. Un soldat, le fusil à l'épaule, le fit asseoir à l'arrière et lui l'enchaîna aux sièges. Un quart d'attente résolue plus tard, le véhicule se mit en marche.

Rigus se rendit compte que c'était la première fois de sa vie qu'il se déplaçait autrement qu'à pied.

La voiture montait doucement vers le cœur de la Ville. Ils bifurquèrent à gauche au grand croisement et en sortirent. Vingt minutes plus tard, ils arrivaient au Nord-Ouest du Mur. Là se trouvait un site d'excavation de charbon et de minerai où l'on travaillait dur dans de mauvaises conditions. On appelait cet endroit "les Noirs".

Rigus fut tiré jusqu'au poste de commandement. Il dut mettre ses habits dans un casier et rester torse nu, vêtu simplement d'un pantalon d'uniforme. Les recrues faisaient la file pour être contrôlées. Chacune recevait un tatouage en forme de goutte noire sur l'épaule droite. Une déchéance à jamais.

***

- Aïe ! fit Rigus.

- Qu'est-ce que cette mauviette ? On va t'endurcir, toi !

L'homme à la voix caverneuse lui tapa dans le dos.

- Unité de travail N-13. En avant.

Le pauvre Meltroj mit son casque et se saisit de sa pioche. On l'achemina vers l'intérieur de l'exploitation principale, où il commença à casser des morceaux de roche. Le travail était dur, pénible, harassant.

Je ne sais pas si tiendrai trois jours dans cet enfer, pensa-t-il.

Encore une nouvelle face de la dystopie dans le chapitre suivant ! ^^



Le MurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant