Rigus était décidé. Il était las d'être rejeté par la société. D'ailleurs, il n'avait plus rien à perdre. On lui avait annoncé qu'il commençait ses travaux publics le lendemain. Il avait donc un jour. Et, en dépit des procédures, c'était parfaitement suffisant. Il avait retourné toute sa malle à la recherche de vêtements convenables. Il avait opté pour une chemise de toile large tirant sur le beige et un pantalon gris un peu serré, ainsi qu'un veston assorti élimé aux coudes. Il se rasa du mieux qu'il put ; mais son rasoir était vieux et sa barbe dure.
Il sortit de chez lui et sur le chemin, il travailla à composer son visage pour se donner, malgré toutes les humiliations et souffrances qu'il avait endurées, un air digne. Un quart d'heure plus tard, il arrivait devant le centre des Mères Blanches.
Le Centre possédait deux larges étages et était de verre et de pierre lisse et blanche. Un bâtiment propre et stérilisé qui paraissait briller au milieu de la crasse grisâtre et monotone de la Ville.
Rigus entra. Le hall d'entrée était rempli de femmes en blanc avec des oreillettes et des piles de fiches sous les bras qui couraient dans toutes les directions. L'air était conditionné est empli de l'odeur des désodorisants antibactériens chimiques. Sur des sièges sur le côté étaient assis des hommes silencieux. Un grand rideau, blanc lui aussi, séparait la pièce en deux.
- Excusez-moi, commença Rigus en interpellant une des femmes.
- Oui, oui, allez vous asseoir comme tout le monde. Je suis pressée.
Sa voix douce et mélodieuse fit sonner les oreilles de Rigus, habitué seulement et voix dure et caverneuses de ses ex-confrères ouvriers.
La femme partit à toute vitesse vers une porte qui conduisait à un escalier. Rigus voulut s'exécuter, mais comme tous les sièges étaient occupés, il resta debout.
***
Bientôt le premier des hommes partit et Rigus put s'asseoir. Les sièges étaient de plastique blanc lui aussi, avec seulement deux pièces minimales et des jointures métalliques, ce qui le rendait totalement inconfortable, et, par conséquent, purement utilitaire. Au fil des heures, de plus en plus des figures silencieuses assises aux côtés de Rigus étaient emmenés par les jeunes femmes. Ce dernier constata qu'il ignorait que des femmes "conscientes" travaillaient au Centre des Mères Blanches. Il faut dire que les femmes étaient assez peu connues du commun du peuple. La seule que Rigus aie jamais vue jusqu'à était la marchande de drap du marché -c'était un véritable phénomène, et personne ne savait réellement comment elle en était arrivée là. Mais il fallait bien avouer qu'elle n'avait rien à voir avec les femmes du Centre, avec ses larges épaules, son visage gris, son dos courbé et sa voix forte et rocailleuse.
Rigus pensa soudain qu'il y avait quelque part une femme qui l'avait mis au monde, lui. Cette idée-là ne l'avait jamais traversé auparavant. Il se demanda ce qu'elle était devenue. Elle avait dû encore enfanter une dizaine de demi-frères qu'il ne connaîtrai jamais, puis avoir eu le cerveau grillé via les câbles d'alimentation, et enfin avoir été définitivement supprimée par les Brûleurs. S'il savait tout cela, c'est parce qu'il s'était renseigné comme il avait pu chez une de ses connaissances -un Brûleur qui en savait long- avant d'envoyer sa demande.
Il restait maintenant un seul homme devant Rigus. Il était jeune, blond aux cheveux courts, et se tordait les mains nerveusement. Rigus se demanda quelle pouvait bien être sa division.
- Dynan Crouq ? s'enquit la femme qui était venu le chercher.
Elle portait des chaussures en caoutchouc plates et blanches avec une jupe courte et une jupe courte de la même couleur. Elle avait un visage rond et lisse, des jambes longues et fines et ses cheveux blond doré étaient relevés en chignon au sommet de sa tête. Elle arborait un badge sur lequel était écrit "Tajna". Rigus contempla sa poitrine ronde et abondante. Il était comme pétrifié.
Il ouvrit la bouche ; il aurait voulu baver. Il sentait en lui pour la première fois une certaine chaleur, un léger picotement et comme une pulsation, un désir sauvage.
- Puis-je voir votre dossier ?
Dynan Crouq lui tendit une pochette cartonnée remplie de papiers divers. Tajna en regarda quelques-uns avec attention. Elle relevait des chiffres en bougeant la tête et semblait scanner la feuille comme un robot.
- Bon, très bien.
Elle sourit de ses dents parfaitement blanches, comme la pièce qui les entourait.
- Suivez-moi, nous allons vous contrôler.
Dynan se le va et la suivit.
- Ne vous inquiétez pas, la rassura-t-elle. Ça m'a l'air en ordre. Nous vous assigné la B-133.
Dynan eut un sourire gêné. Les deux disparurent derrière le rideau.
***
- Monsieur... ? interrogea Tajna. Je pense que nous avons un problème administratif : je ne vois plus personne sur ma liste aujourd'hui.
- Rigus Meltroj. Pas besoin de vérifier.
- Au contraire, je me dois de...
- Je n'ai pas de rendez-vous.
- Pardon ?
- J'ai fait la demande il y a deux semaines. Mon chef d'unité s'est opposé et...
- Monsieur Meltroj, je dois vous demander de partir.
- Non. J'ai perdu mon travail à cause de votre satané système ! Je suis allé chez les Noirs ! Je n'aurai plus de revenus ! J'ai bien le droit d'avoir mon...
- Partez tout de suite ou j'appelle la sécurité.
Les yeux de Tajna se resserrèrent avec haine.
- Et, comme je suis une femme, que vous ne devez ni toucher ni même regarder, vous aurez beaucoup d'ennuis. Ajoutez que vous êtes entré ici sans rendez-vous, et avec la façon dont vous m'avez fixée tout à l'heure, vous êtes bon pour...
- Je ne partirai pas. J'ai déjà tout perdu.
- Sécurité ! cria Tajna dans son oreillette.
- Ah ! Vous ne voulez pas me laisser passer de l'autre côté de ce satané rideau ! s'énerva Rigus.
- Suffit, Tajna, claqua une voix forte dans l'interphone intégré à la caméra du coin de la pièce.
- Mon... Monsieur Torin ! balbutia Tajna. Je... excusez-moi... J'appelle la sécurité. Pardonnez-moi, Monsieur Torin.
- Nenni. Amenez-le-moi, et dépêchez-vous.
- Oui, Monsieur Torin. Bien, Monsieur Torin.
L'interphone produisit un claquement sonore.
- Suivez-moi, dit d'un ton très solennel Tajna.
Ils gravirent l'escalier de la porte de gauche.
Enfin un long chapitre ! x) Donnez-moi votre avis...
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Le Mur
Fiksi IlmiahL'humanité enfermée derrière un mur, gouvernée par un dirigeant invisible, les hommes forcés à travailler tandis que les femmes sont cloîtrées... Mais malgré tout, la haine, la révolte, et l'amour. Rigus. Harry. Esther. Princesse. Tous si dif...