Le Mur

Chapitre 40 ~Jord

Les poings de Jord rougissaient à force de frapper le punching-ball, et ses jointures étaient blanches.

Il ne devait pas fléchir. S'entraîner. Être le meilleur. S'imposer. Se battre. Servir le Grand.

La veille, on leur avait fait passer un examen médical complément et on avait effectué un recensement dans leurs familles. Jord revit un instant la photo de son père à côté de la date limite dépassée. On ne lui avait pas dit ce qui allait se passer, même s'il s'en doutait. Mais il fermait les yeux sur ce point. Il ne voulait pas savoir. Il ne voudrait jamais savoir.

Jord ne s'en rendait pas compte, mais c'était la première fois qu'il devait ne pas écouter ses sentiments et ignorer sa conscience. Et, dans ce milieu hiérarchique d'exécution des ordres, c'était loin d'être la dernière.

Faire le vide. Ne penser à rien. Respirer. Frapper, frapper, deux fois, trois fois. Serrer les poings. Rajuster la position. Frapper.

- Meltroj ! lui cria un officier.

- Monsieur ! répondit l'interpellé en se mettant au garde-à-vous.

- Soyez prêt. Le serment est dans une demi heure.

- Oui, officier ! Puis-je disposer, officier ?

- Allez, Meltroj.

Il claqua des talons et rentra dans son baraquement. Il se passa le visage sous l'eau fraîche et sortit sa chemise, qu'il avait soigneusement repassée la veille. Il passa par dessus son uniforme noir à bouton doré et cira ses bottes. Il était fin prêt.

***

Toutes les jeunes recrues -ils étaient environ une vingtaine- étaient rassemblées dans le hall d'entrée de la caserne. Le Sergent en chef Ramien se tenait sur une estrade entouré d'officiers importants au sein de la ville. Un immense portrait du Grand, l'air victorieux, accompagné d'un de Princesse, était encadré et entouré d'une multitude de rubans derrière lui.

- Jeunes gens ! entama-t-il d'une voix forte. Vous avez rejoint les Forces, et par ce geste vous avez montré votre attachement envers le Mur, la Ville, le Grand et sa famille, et vous êtes devenus citoyens. Vous avez déjà pu vous former un peu ces derniers jours ; aujourd'hui vous prêterez serment de fidélité à notre gouvernement. Vous serez soldats basse catégorie pendant deux ans, on ne vous enverra sur le terrain qu'en cas d'urgence. Pendant ces deux ans vous vous perfectionnerez et tenterez d'atteindre le niveau d'officier. Vous deviendrez frères d'armes, et vous vous battrez pour que l'ordre et la paix règnent dans notre beau monde.

L'une de leurs journées d'entraînement avait été consacrée à l'apprentissage du serment. Ils étaient prêts.

- Je jure sur mon cœur, sur le sang versé

Sur mon âme, sur les tombes de mes aînés

La fidélité à mon souverain,

Ce Grand Suprême et légitime,

Le Mur qui préside au Destin

Approuvera ce choix intime

Et me donnera sa bénédiction.

J'aurai sa satisfaction !

J'avancerai, je me battrai,

Je vous le promet !

Princesse, vous qui devrez

Un jour me gouverner

Vous avez ma fidélité !

Il se mirent au garde-à-vous et se frappèrent la poitrine avec gravité et sérieux. Ils s'avancèrent et un à un réitérèrent le serment à vis basse, une main sur le coeur et deux doigts posés sur le bas du portrait du Grand.

- Jeunes gens, conclut Ramien, désormais vous êtes des nôtres. Bienvenue dans les Forces.