Le Mur

Chapitre 21 ~Rigus

Rigus prit place à la longue table grise de la salle de réunion secrète. Un chandelier à six branches était posé au milieu et éclairait la scène d'une lueur vacillante. Les autres membres s'assirent en silence. Tout au bout de la pièce se trouvait un homme aux cheveux châtains mi-longs qui lui cachaient les yeux et lui tombaient sur son visage. Il portait un pantalon et une chemise en toile avec un veston assorti d'un gris élimé. Will de Blansec.

Le leader du CGRL resta muet, dans la pénombre. Maël toussota dans son poing.

- Bien, commença-t-il, nous sommes ici pour récapituler nos plans. Vous savez tous que nous avons aujourd'hui un nouveau confrère, Rig...

- Rigus nous a été envoyé par Torin, compléta le chef de sa voix rauque. Ce dernier nous propose une aide extérieure ; comme d'habitude il ne veut pas s'impliquer. Mais laissons les lâches où ils sont. Poursuis, Maël.

Les membres gardèrent le silence un instant pour témoigner de leur respect. Il était évident que leur chef ne parlait presque qu'à Maël avant les réunions, et se taisait pendant celles-ci.

Sur un nouveau signe de Will, le jeune porte-parole reprit :

- Cela fait plus de trois ans que le groupe existe. Nous n'avons pas été très actifs. Il nous a fallu du temps pour nous faire une couverture solide et légale, nous constituer un carnet d'adresses, nous trouver des membres et nous organiser. Désormais nous serons bientôt prêts à passer à l'action. Comme vous le savez, nous ne pouvons plus tolérer la tyrannie que nous impose la dynastie Emmurée. Nous voulons organiser une révolution massive. Un soulèvement intérieur de l'armée, des unités entières refusant d'aller travailler, le chaos total. Le Grand ne pourra qu'abdiquer et sera alors exécuté en place publique, lui qui daigne si rarement descendre ses très saints pieds indignes de notre sol crasseux. Mais nous ne voulons pas reprendre le pouvoir, non, nous ne sommes pas de ces gens-là ! Tous ensemble nous détruirons le Mur, et nous serons enfin libres de nous installer où bon nous semble. Nous qui sommes les derniers survivants de l'humanité, nous avons bien le droit de nous répartir sur l'ensemble de notre Terre ! Mort au Grand ! Mort à la Tyrannie ! A bas le Mur !

Tous autour de la table reprirent ses cris, à l'exception de trois de membres : Will de Blansec ; Rigus, qui se sentait perdu ; et celui qui portait une large capuche dissimulant son visage.

Ce dernier se leva.

- Il me semble que vous oubliez un élément important. Vous n'y pensez même pas, égoïstes que vous êtes.

Un silence suivit cette déclaration.

- Mort à la condition des femmes ! hurla-t-il avec force. Les femmes ! Traitées comme des objets, qu'on offre à un grand morceau de pierre pour chanter et prier toute la journée ou qu'on considère comme un utérus sur pattes, indigne d'avoir une conscience et tout juste bon à faire sa dizaine de bébés avant d'être réduites à néant !

Il frappa des poings sur la table de rage. Puis, comme les autres baissaient les yeux mais qu'au contraire Rigus le fixait avec étonnement, il ôta son capuchon, révélant une épaisse masse de cheveux bouclés roux descendant jusqu'à mi-cou, un figure fâchée et rude mais charmante, ornée d'yeux en amande tirant sur le vert aux cils magnifiques.  Une femme. C'était bel et bien une femme.

- Ahem ! toussota Maël après un instant, Rigus, permets-moi de te présenter Jess.

***

Une demi-heure plus tard, ils étaient toujours en plein débat sur les actions à mener pour leur révolution, quand soudain Rigus intervint :

- Mais qu'y a-t-il derrière le Mur, au juste ? N'a-t-il pas été construit pour une raison ? Sommes-nous vraiment les dernières créatures de la planète ?

Un silence suivit ces interrogations.

- Il n'y a plus personne, Rigus, finit par répondre Maël très calmement, comme s'il s'adressait à un enfant stupide. Le Grand a su convaincre par ses beaux discours et son armée organisée. Il n'aurait jamais laissé personne de côté, lui qui voulait dominer le monde.

- Ah... Merci de l'info.

- Bon. Où en étions-nous ?

***

La réunion était terminée, les membres commençaient à sortir et à remonter l'échelle de la salle secrète.

- Rigus ! lança soudainement Will.

L'interpellé se retourna, surpris. Le leader, de la main, lui fit signe d'approcher.

- Ne vous posez pas trop de questions. Nous vous faisons confiance ; ne nous décevez pas et surtout, aidez-nous à mener la Révolution.

Il lui tapa amicalement dans le dos ; Rigus ne parvenait toujours pas à distinguer ses yeux.