Chapitre 39 ~Rigus

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La semaine qui suivit fut dure pour Rigus. Son travail fut augmenté pour rattraper les heures qui avaient sauté et il avait moins à manger que d'habitude. Quand son dos pliait sous le faix de lourds fardeaux, ou quand la faim lui tiraillait les entrailles, sa haine envers le gouvernement et sa fureur de vivre n'en étaient que plus fortes.

Enfin, il eut l'occasion de se rendre au CRGL. Il s'excusa de n'avoir pas été présent et confia toute sa misère et sa souffrance aux autres. Et ensemble, ils décidèrent d'avancer le plan.

- Nous avons besoin de chacun d'entre vous, déclara Maël. Il est temps d'amener les gens dehors, d'organiser un soulèvement. Il faudra que chacun fasse passer le message à son unité ; il y a tant d'opprimés qui se taisent que je sais que nous parviendrons à quelque chose de grand. Il sera sans doute nécessaire d'acheter les gens afin qu'ils soient présents et qu'ils ne parlent pas.

- Je suis d'accord, interrompit Rigus. Mais mon frère a volé tout notre argent.

- Je n'en ai plus non plus, lâcha un autre.

De Blansec se redressa.

- Pas d'inquiétudes pour cela, coupa-t-il. Je me charge de tout, d'ici quelques jours vous aurez tous une bourse bien remplie. Je vous demanderai seulement de l'utiliser à bon escient.

Tous jurèrent de ne pas utiliser l'argent pour leurs propres besoins.

***

Le lendemain, Rigus tournait au coin de sa rue après une énième rude journée de travail -ils avaient dû transporter des lourdes caisses de planches-, quand il vit trois hommes devant sa maison. Il pressa le pas.

Il vit rapidement, à leurs uniformes noirs grisés de cendre, qu'il s'agissait de Brûleurs. Ils étaient penchés en avant.

Il courut tandis que les hommes s'en allaient avec une civière recouverte d'un drap sombre. Il tira précipitamment le drap, révélant le visage aux yeux clos d'un vieil homme que Rigus ne connaissait que trop bien. Sa gorge était ouverte en une plaie nette et sanglante ; on l'avait achevé avec un coup de couteau.

- Papa ? s'écria-t-il au désespoir.

Les hommes le repoussèrent et remirent le drap, puis tournèrent au coin de la rue. Bientôt, les cendres de l'aïeul Meltroj s'élèveraient dans la fumée noire de la cheminée des Brûleurs.

Rigus rentra en trombe et s'affala dans une siège. Il se prit la tête dans les mains et pleura, cria son désespoir.

Non. Non ! D'abord Jord qui a trahi la confiance familiale, puis on m'interdit de voir mon enfant ; et maintenant papa ! Que me reste-t-il ?

Il se meurtrissait le visage de ses mains, il pleurait encore et encore, il était désespéré.

Il me reste... ma détermination à combattre. Ma détermination... la liberté... vivre... voir le monde... Papa !

Il hurla et se frappa la tête contre les murs. Puis, s'étant un peu calmé mais toujours pantelant, il remarqua le jet de sang qui tachait le sol et le mur, ainsi que la lettre sur la table. L'enveloppe était frappée du poing des Forces.

<<Rigus Mirzeck Meltroj.

Un recensement a été effectué dans votre quartier. Le dénommé Argus Yunir Meltroj a terminé son cursus et a bénéficié de ses deux années de retraite pour "enfants n'ayant pas atteint l'Âge de Liberté". Cette période se terminait un an avant l'Âge en question. Nous avons donc effectué la régulation.

Votre demeure n'étant plus appropriée à vos besoins, vous êtes priés de vous rendre demain au bureau d'affectation comme vous en avez l'habitude chaque matin. Le responsable vous conduira à une maison commune, que vous partagerez avec trois autre affectés aux travaux publics. Vous aura une demi-heure pour vous y installer. Votre demeure actuelle vous sera verrouillée à partir de demain et réutilisée par une nouvelle famille.

Officier P. Fuggad, Forces du Grand.>>

Rigus eut d'abord une furieuse envie de chiffonner la lettre, mais il se résonna. Il inspira un grand coup, et monta dans sa chambre, où il prit ses draps, son oreiller, et les fourra dans une besace en toile. Il y mit également les quelques pots métalliques desquels ils disposaient, plus deux cuillères et un bol. Il n'y avait aucun objet personnel dans la maison ; un vieux tapis gris et usé à l'entrée, un portrait du Grand et une boîte-horloge annonçant les heures de travail et de couvre-feu étaient encastrés dans les murs. Il n'y avait rien à emporter.

Il posa son sac à l'entrée et empila les trois chaises. Il emporta également le tapis et un peu de vaisselle, mit le tout sur son dos et sortit. La nuit n'était pas encore tombée. Il s'en alla vers la zone centrale où se trouvaient, et vendit tout pour une poignée de sous. Il avait à nouveau de l'argent ; et cette fois, c'était uniquement pour lui.

Il rentra en trombe et mangea par terre, avant de s'endormir d'un sommeil agité.

Le MurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant