Esther se levait avec d'autant plus de bonne humeur ce matin-là qu'elle avait durant la nuit dépassé le point de non-retour de ses expériences amoureuses.
Tahanne la regarda avec étonnement, se demandant pourquoi son amie levait avec un sourire jusqu'aux oreilles et un lit extraordinairement défait.
***
Le service du matin se déroula sans encombres. Ce ne fut qu'après que les choses se corsèrent. Les Sœurs furent réunies dans la salle à manger. Depuis l'estrade, ce fut Sœur Erdalle qui prit la parole -et ce seul fait montrait bien la gravité de la situation.
– Nous pensons, commença-t-elle, qu'un intrus a pénétré dans le Couvent.
Les Sœurs eurent des hoquets de surprise. Les yeux d'Esther s'arrondirent d'horreur.
– S'il est toujours là, s'il se cache ou s'il est reparti, tout cela n'est pas vraiment important. Ce qui nous intéresse, c'est ce qu'il a fait ici, et nous avons de fortes raisons de penser que cela concerne une Sœur.
L'assemblée fut parcourue de frissons et de petits cris. Les yeux d'Erdalle se resserrèrent et elle parcourut les tables d'un regard inquisiteur et chargé de mauvaises intentions. Le cœur d'Esther manqua un battement. Son souffle devint court ; elle tenta de se maîtriser tant bien que mal.
Sœur Livine devint pâle comme un linge et s'évanouit. Trois de ses amies accoururent l'aider à se relever.
– Nous pensons même que cet intrus a été encouragé à venir ici. Au nom du Mur, nous nous devons de vérifier qu'aucun mal n'a été fait. Mes Sœurs ! Suivez-nous en file indienne.
Maënne vérifia que les Sœurs se rangeaient avec discipline tandis qu'Erdalle ouvrait la marche. Une foule de questions torturait Esther : comment avaient-elles su ? Allait-elle se faire démasquer ? Que lui arriverait-il alors ? Elle avait beaucoup de mal à se contenir ; mais il était primordial qu'elle affiche un air calme.
Erdalle s'arrêta. Elles étaient arrivées devant une salle blanche équipée d'un lit métallique. La Sœur Supérieure souffla quelques instructions à l'oreille de Maënne. Cette dernière envoya les trois quarts des Sœurs se grouper dans un coin du couloir, tandis qu'une douzaine se retrouvèrent à faire la queue –Esther et Tahanne parmi elles. Maënne tira la première –Sœur Danao– à l'intérieur. La porte claqua, et on entendit le bruit d'un corps contre du métal. Puis vint un cri aigu de terreur, étouffé violemment presque aussitôt. Les Sœurs qui attendaient déglutirent avec difficulté.
La suivante –Sœur Jocaste– fut tirée par les bras. Elle hurler à percer les tympans de son entourage.
– Non ! Arrêtez ! Pas moi ! Je vous l'ai dit ! Je vous ai informées ! Vous n'avez pas le droit !
Ses accusations furent étouffées par la porte de bois blanc.
***
Esther crut qu'elle allait mourir. Jamais de sa vie elle ne sentit tant d'adrénaline battre dans ses veines, jamais de sa vie elle n'eut aussi peur. Enfin ce fut son tour. Derrière elle restaient Tahanne et trois autres. Elle prit une grande inspiration et se laissa conduire dans la salle. Elle doutait fort de parvenir à masquer sa culpabilité aux Sœurs Supérieures ; l'image de Fayonne lui revint en mémoire et elle redouta le châtiment qui risquait fort de lui tomber sur la tête. Allait-elle retrouver sa vieille amie au fond d'une oubliette ? Elle déglutit avec difficulté tandis que Maënne la faisait coucher sur le lit métallique.
– Écarte les jambes, fille du diable, claqua Erdalle en préparant un fin tuyau connecté à un écran.
Esther s'exécuta. Elle aurait voulu pleurer. Maënne souleva le bas de sa robe, tandis qu'Erdalle brandissait son tuyau. Elle n'eut pas besoin de l'utiliser.
En effet, Esther n'avait pas eu le temps d'utiliser une salle de bain pour nettoyer le filet de sang qui avait coulé sur sa cuisse au moment décisif durant la nuit. La jeune Sœur vit au regard que Maënne jeta à Erdalle qu'elles avaient compris. Alors, sous la pression et la peur, elle éclata en sanglots. Maënne la frappa violemment d'un coup d'avant-bras avant de l'empoigner par les cheveux. Elle se saisit d'un câble synthétique et s'en servit pour lui attacher les mains dans le dos, la mettant debout. Elle la tira sans ménagement, Erdalle et les Sœurs à leur suite.
Elles traversèrent ainsi tout l'étage central. Arrivée à l'autre bout, Maënne ouvrit la double-porte transparente donnant sur le balcon.
Le balcon en question était une plateforme de près de cinq mètres de long, entourée d'une rambarde métallique. Tout en son bout, elle surplombait l'épaisseur du Mur. Mais la hauteur était telle que la légère brume ne permettait pas de voir le sol. Erdalle fit rassembler toutes les Sœurs dans le coin adjacent à la porte. Elle se dressa au milieu, Maënne et Esther toujours au niveau de l'entrée.
– Mes Sœurs ! s'écria Erdalle. Votre vie, tout comme la mienne appartient au Mur, et à lui seul ! Et ce même Mur a décidé de bannir le Plaisir et le désir animal. C'est pourquoi vous devez lui offrir votre virginité ! Aujourd'hui, Sœur Esther a trahi nos lois, a trahi le Mur, a trahi notre communauté ! Et elle va en payer le prix. Esther, qui n'est plus notre Sœur désormais, qui n'est qu'une souillon et une trainée, est une tache pour le glorieux Blason de notre Couvent. Et nous devons laver cette tache ! Que ce jour reste à jamais gravé dans vos mémoires, que le châtiment d'Esther vous serve d'exemple à toutes !
Elle fit un geste du bras, et Maënne poussa Esther vers le centre du balcon.
- Nooon ! hurla Esther. Non ! Au secours ! Danao ! Tahanne ! Mes Sœurs ! Pitié !
Tahanne regardait Esther avec détresse. Elle aurait voulu faire quelque chose, elle aurait voulu s'avancer, mais elle croisa le regard de Maënne. Elle resta de glace.
Esther lui lança un dernier regard horrifié et désespéré, avant que Maënne ne lui bloque la tête de sa main.
Arrivée devant Erdalle, Esther fut poussée jusque devant la rambarde dominant la brume.
Alors elle comprit quel serait son châtiment. Et elle sut qu'elle ne pourrait pas y échapper. Son désespoir se transforma en tristesse infinie. Elle sentit Maënne lui ôter ses liens. Elle posa une main sur son cœur en prenant une grande inspiration, et murmura :
– Ô toi l'Élu de mon amour, toi que je n'ai vu que deux fois mais avec qui j'ai passé la plus délicieuse de mes nuits, sache que je ne regrette rien ; jamais je n'aurai regardé que toi...
Des mains la tirèrent légèrement en arrière.
– ...et, à jamais, je n'aime que toi. Adieu, Harry.
Une larme roula sur sa joue, et, avec une force prodigieuse, Sœur Maënne la souleva et la projeta par-dessus la rambarde.
Esther battit des bras et des jambes pour tenter de se ralentir, affolée. Elle hurla de la vitesse de sa chute. Le vent soulevait ses cheveux et sa robe. Son cri déchira l'air et glaça le sang des Sœurs sur le balcon.
Puis le cri s'arrêta. Sans que ses consœurs sachent pourquoi, dix mètres avant d'atteindre le sol, elle se tut. La vitesse l'avait projeté tête en avant, ses yeux s'écarquillèrent d'étonnement et elle s'écrasa contre la terre sèche en une flaque pourpre et visqueuse de membres déchirés et d'os brisés, à l'extérieur de l'enceinte, juste au pied du Mur.
Esther avait vu quelque chose avant de mourir.
En espérant que ce chapitre vous a plu :)
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Le Mur
Science FictionL'humanité enfermée derrière un mur, gouvernée par un dirigeant invisible, les hommes forcés à travailler tandis que les femmes sont cloîtrées... Mais malgré tout, la haine, la révolte, et l'amour. Rigus. Harry. Esther. Princesse. Tous si dif...