BONUS

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samuel's head

La boule au ventre, je passe l'immense portail en fer forgé noir. Les mains dans les poches de ma veste, j'avance nerveusement dans les allées de gravillons jusqu'à trouver la bonne.

Sixième à gauche.

Je décide de m'assoir, sachant que j'en ai probablement pour un moment. Je ne sais pas combien de temps j'ai regardé cette pierre avant d'ouvrir la bouche.

- Salut Dyl...

Ça fait des semaines, voire des mois, que je n'ai pas prononcé son prénom et pourtant, c'est toujours aussi douloureux.

- Je suis désolé de ne pas être venu avant mais j'en avais pas le courage. Aujourd'hui, ça fait deux ans jour pour jour que t'es partie. Et tu sais quoi ? Tu me manques toujours autant. On dit que la douleur disparaît avec le temps mais c'est faux. On apprend seulement à vivre avec. On essaye de remonter la pente, petit à petit, de se reconstruire. Mais c'est dur. Même si certaines personnes nous aides.

Je repense aux garçons et Louane les premières semaines après l'accident. Ils ne savaient plus quoi faire pour m'aider.

- Ta mort a fait beaucoup de mal. Nous, ta mère, ta sœur, au lycée... Même ton père, que j'ai rencontré à l'enterrement. Faut que tu saches que Mary nous en voulait, au début. Parce que nous on allait bien, et toi t'étais plus là. Puis un jour, Louane l'a amené chez moi et quand elle m'a vu, elle m'a fait un câlin et elle m'a dit qu'elle était désolée. Que c'était injuste de m'en vouloir parce que tu me manquais autant qu'à elle. Ta mère était malade d'avoir perdu une de ses filles. Pour ton père, je l'ai jamais revu, alors je peux pas vraiment te dire comment il l'a vécu... Louane t'en voulait, parce que tu t'es pas battue. Et parce que tu l'as abandonné. Au lycée, les profs ont été secoués quand ils ont appris la nouvelle. Parce que même si t'étais chante en cours, tu restais une très bonne élève qui mettait l'ambiance. L'équipe s'est ramassée au championnat. Je crois que Caitlin et Sasha sont celles qui l'ont le moins bien encaissées, et comme elles restaient leader en ton absence, ça n'a pas fonctionné. Elles se sont prises une raclée monumentale en qualification et beaucoup ont voulu arrêter après ça. Mais pour toi, elles ont continuées.

Je m'arrête et sors une petite boîte de ma poche.

- J'me sens con. Tu me diras, ce serait pas la première fois ni qu'une impression. Mais j'aurai dû faire ça bien avant. Ça t'aurait peut-être semblé précipité, et t'aurai ris nerveusement, comme quand t'étais gênée. Où tu m'aurai sauté au cou. Je sais pas, et j'aurai jamais la réponse. Mais j'aurai dû te poser cette question il y a deux ans. J'aurai préféré que ce soit écrit Wilkinson plutôt que Smith sur cette putain de pierre. Je nous voyais vieillir et faire des gosses qui seraient aussi chiants que toi. T'es probablement en train de te foutre de ma gueule mais je t'aimais. J'ai jamais autant aimé une fille, j'ai jamais été aussi bien avec quelqu'un que quand on était ensemble.

Je m'essuie rageusement les yeux d'où les larmes commencent à couler. Ouais, j'm'en veux à mort d'être passé à côté de cette occasion.

- Je pense que tu veux savoir ce que je suis devenu... Bah je suis descendu très, très bas. Le mois qui a suivi ta mort, je sortais plus de ma chambre. Je mangeais plus, j'allais plus au lycée et je fumais tout le temps. J'en étais venu à me couper. J'ai accepté d'aller voir un psy, c'était l'ami du père de Johnson. Je pensais pas que ça m'aiderait autant. Mais ça a pas duré très longtemps et trois mois après l'accident, je me droguais. Mais plus que des joints. Alors les garçons m'ont envoyés en désintox. Putain Dylan tu peux pas savoir comment je regrette cet épisode-là... Je suis resté trois mois et une semaine au centre. Et c'était super dur, parce que pendant les visites j'espérais toujours que je te verrais arriver pour m'engueuler. Du coup, j'ai arrêté les cours jusqu'en juin et j'ai repris en septembre 2016, pour refaire ma dernière année. J'ai eu mon diplôme avec un total de 89/100, et c'est grâce à toutes les fiches qu'on a faites ensemble... Je bossais avec Gilinsky parce qu'il a retapé aussi.

J'étais fier quand j'ai ouvert l'enveloppe des résultats. Parce que c'est pour elle que je me suis battu. C'est pour elle que j'ai réussi.

- Il m'a fallu un temps inouïe pour accepter que je te verrai plus. Tous les soirs c'était la même chose : je pleurais jusqu'à m'endormir, je faisais des cauchemars et quand je me réveillais j'avais espoir de te trouver à côté de moi. Je sais pas quand j'ai prit conscience de cette dure réalité. Je sais pas quand j'ai prit conscience que c'était terminé.

Et ça a été dur de tourner la page. De passer à autre chose.

- Je... Je suis en couple. Je l'ai rencontré à l'université. Elle s'appelle Amy, et on ensemble depuis 1 mois. Elle est ton opposé total : brune, yeux marrons, calme et posée, bosseuse en cours et pas très sportive. Mais je suis sûr que tu t'entendrais très bien avec elle. Parce que t'es hyper sociable comme fille et que de toute façon tu t'entends avec tout le monde. Quand je me sentirai prêt, peut-être qu'elle viendra avec moi pour te voir, je sais pas trop...

J'aurai adoré qu'elles se connaissent, toutes les deux. Elles auraient fait un bon trio avec Louane. Même si Dylan et Louane formaient et formeront toujours l'incarnation de la connerie.

- Elle est adorable et elle comprend que, même deux ans après, j'ai besoin de craquer parfois. Alors elle me soutient. Je lui ai beaucoup parlé de toi avant qu'on se mette ensemble. Tellement qu'un jour, elle m'a dit qu'elle avait l'impression de te connaître et que t'avais l'air d'être une fille géniale. J'étais... fier à ce moment-là. Fier de pouvoir que t'étais ma copine et que je t'aimais comme un fou.

Je connaissais Dylan par cœur, et je sais que si elle avait été en face de moi à l'instant, elle aurait fait la moue parce que "arrête Sam, tu deviens niais" et j'aurai rit avant de l'embrasser.

Ouais, je devenais niais avec Dylan. Une putain de guimauve. Et elle se foutait régulièrement de ma gueule à cause ça.

- Tu te rappelles de la photo de Paris ? Celle où on s'embrassait sous la Tour Eiffel ? J'arrivais pas à l'enlever de mon bureau. J'ai essayé une dizaine de fois mais j'étais obligé de la remettre après. Ça fait qu'un petit mois et demi qu'elle est dans un tiroir, toujours encadré. Amy m'a dit que je pouvais la laisser mais... je trouvais que c'était pas cool vis-à-vis d'elle.

Cette photo c'est la dernière chose que j'ai qui me raccroche à Dylan et à ce qu'on a vécu. La dernière chose qui me rappelle tous les moments que j'ai passé avec elle en quatre mois et demi avant ce putain d'accident.

- Comme on me l'a répété un nombre de fois incalculable en deux ans, la vie continue. Certes, ta mort à difficile à surmonter mais le monde n'arrête pas de tourner. Alors je reviendrai te voir, t'en fais pas. Mais maintenant, faut que je te dise au revoir. Que je tourne cette page de ma vie, même si c'est probablement une des plus importantes. Je t'aime Dylan.

Je pose la boîte de la bague au milieu du pot de faux hibiscus blancs, qu'elle adorait. Je regarde la pierre quelques secondes et me retourne.

Quand je passe à nouveau le portail massif, je me sens comme libéré. Comme je ne me suis pas senti depuis deux ans. Un énorme poids quitte mes épaules maintenant que j'ai fait mon deuil. Je lève la tête quand une larme roule sur ma joue au moment où il commence à pleuvoir. Je ne compte pas l'oublier. De toute façon, comment oublier une fille comme Dylan ? Simplement, je passe à autre chose.

Dylan Rose Smith
22 novembre 1996 - 15 janvier 2016

À ma fille adorée.

À ma grande sœur, ma confidente, ma moitié.

À ma meilleure amie, qui me comprenait mieux que quiconque.

À notre amie, qui remettait un peu de joie dans ce pauvre monde.

« Jusqu'à la fin. »

Fumer tue | swOù les histoires vivent. Découvrez maintenant