4 - Emily Swayne, commandante en second du Reine Magd

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L'espace d'un instant, le silence règne à l'intérieur de l'Exodus. Même les moteurs du générateur de gravité centrifuge semblent s'être mis en sourdine pour célébrer la solennité de l'instant. Puis nous entendons le martèlement de bottes en provenance du sas créé par le vaisseau inconnu. Quelques secondes plus tard, nous les voyons débarquer dans le cylindre central.

Eux. Je ne sais pas comment les appeler autrement. Ce sont des hommes, mais ils sont si différents des colons que je côtoie depuis ma naissance... Athlétiques, bronzés, ils se déploient à petites foulées dans notre colonie. C'est une invasion, cela ne fait aucun doute. Leurs visages sont durs. Chacun porte de ses deux mains un objet métallique que je reconnais pour l'avoir vu sur les vidéos de la Terre en perdition que John Knox nous montre parfois : ce sont des mitraillettes. Femmes et hommes indifféremment portent une veste de cuir noir, sur un pantalon moulant rentré dans des bottes hautes.

L'escadron semble commandé par une femme de trente-cinq ans environ, qui se distingue des autres par sa veste vert émeraude. Mais ce n'est pas la couleur de ses vêtements qui me frappe, mais celle de sa peau : elle est sombre comme l'écorce des quelques arbres qui poussent à l'intérieur de l'Exodus. Cela me fait un choc. Certes, on lit dans les chapitres des Pensées de Saint John Knox rédigées par le premier d'entre eux qu'il existait des personnes noires sur Terre. Mais je prenais cela pour une métaphore, comme lorsqu'il parle des démons qui peuplaient l'Amérique, et qui n'avaient certainement pas de cornes et ni de pieds fourchus. Dans notre colonie, notre peau à tous est aussi blanche que le marbre qui pave le sol de notre église.

Fascinée, j'observe cette femme balancer ses cheveux rassemblés en une multitude de petites tresses de droite à gauche tandis qu'elle tourne la tête pour diriger ses soldats, qui se sont divisés en deux colonnes de part et d'autre d'elle. Elle dégage une autorité naturelle étonnante, pour moi qui n'ai vu dans ma vie que des femmes soumises à leur père ou à leur mari, reléguées à des rôles subalternes. Elle est à l'aise dans son pantalon moulant, ce qui me semble incroyable à moi qui n'ai jamais porté que des jupes longues. Bizarrement, même si elle commande une force d'invasion en train, manifestement, d'attaquer mon vaisseau, je me sens en sécurité. Il y a quelque chose de rassurant chez cette femme, peut-être lié à l'aura de confiance en elle qu'elle dégage. Alors que je ne l'ai vue que trente secondes à peine, j'ai déjà envie de lui ressembler plus qu'à n'importe qui à l'intérieur de l'Exodus.

Mon sentiment n'est visiblement pas partagé par les autres colons. Eux tremblent de peur et sont sur le bord de la panique, malgré les belles exhortations de John Knox à la fermeté il y a quelques minutes à peine. Notre chef est resté debout devant l'écran : tout son corps est raidi, ses poings serrés, sa mâchoire contractée. Je le connais bien : il déteste perdre le contrôle de la situation, comme à présent. Il ne sait pas quoi faire. D'ailleurs, personne ne le sait. Alors chacun reste en place sur le parvis de l'église. J'imagine que les autres habitants de l'Exodus sont aussi trop terrorisés par les mitraillettes pour bouger.

L'escouade avance encore ; les soldats sont désormais suffisamment proches pour que j'entende leur chef ordonner :

"Encerclez-les. Le groupe de Matt, vous restez derrière moi."

En une minute, elle est obéie. Le processus semble être une machine bien réglée. Lorsque l'étau est en place autour de nous, la femme se rapproche, suivie du groupe qu'elle a désigné, apparemment pour former sa garde personnelle.

Je dois concéder à mon père un instant de courage. Il fait à ce moment un pas en avant et commence :

"Bienvenue à bord de l'Exodus. Nous prions pour..."

La femme lui jette un regard assassin, et le coupe pour prendre la parole à sa place, d'une voix claire et incisive :

"Bonjour à tous. Je suis Emily Swayne, commandante en second du Reine Magd. Quel est le nom de votre vaisseau, depuis combien de temps naviguez-vous et quelle est votre destination ?"

Elle fait un signe de tête à John Knox pour lui signifier que cette fois, il a le droit de parler. Mon père ravale les paroles blessantes qu'il aurait lancées à tout colon qui aurait osé lui parler sur ce ton, et répond aussi sobrement qu'il lui est possible :

"Notre vaisseau se nomme l'Exodus. Nous sommes une colonie catholique partie de Chicago il y a 400 ans pour nous rendre sur Juda II, planète qui nous a été attribuée par le service concerné à la NASA."

Emily échange un regard avec celui qu'elle a appelé Matt il y a quelques minutes. Elle fronce les sourcils, puis murmure quelques mots dans un talkie-walkie attaché sur le devant de sa veste. Elle poursuit ensuite son interrogatoire :

"Quelles sont les coordonnées de Juda II ?"

John Knox lance un regard perdu vers notre Pilote, George Hemsey, qui débite à Emily une série de chiffres dont je ne comprends pas le sens. Cela semble en revanche la satisfaire, puisqu'elle hoche la tête, concentrée, probablement pour retenir sans erreur les informations. Elle enchaîne avec une série de questions techniques : moyens de propulsion de l'Exodus, état de nos réserves d'énergie et de carburant, biens transportés dans la colonie, nombre et fonction de nos robots auxiliaires de vie... Elle s'adresse exclusivement à George, dont les réponses précises semblent la satisfaire, au grand dam de John Knox. Notre pauvre chef n'a pas l'habitude d'être ainsi écarté...

Je ne comprends pas pourquoi Emily pose toutes ces questions. Le vaisseau qui nous a abordés fait-il partie d'une sorte de police de l'espace ? Pourquoi tant de curiosité ? Qui voudrait savoir si l'Exodus a croisé d'autres bâtiments au cours des 100 dernières années, ou la consommation d'énergie par heure de notre système de gravitation centrifuge ?

Après cinq minutes de tels échanges, Emily cesse son interrogatoire, un sourire satisfait sur les lèvres. Elle nous annonce :

"Bien. Je dispose désormais de toutes les informations dont j'avais besoin concernant votre vaisseau. Je vous prie maintenant d'accueillir à votre bord le capitaine du Reine Magd, Vinny Vandenberg, qui a tenu à vous faire personnellement un discours !"

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