Une fois sa fille traînée hors des lieux, John Knox se tourna à nouveau vers moi. Son visage était un masque de haine et de mépris. Cela dit, le mien devait arborer une expression similaire à son égard.
Près d'une minute passa sans qu'il ne dise rien. Nous regardions droit dans les yeux, dans un duel mental dont l'issue était faussée puisque ses gardes du corps me maintenaient toujours les bras dans le dos. Finalement, John Knox lâcha à ses sbires :
"Conduisez ce jeune homme dans la salle de confinement n°5. Vous veillerez à ce qu'il assiste au décollage de l'Exodus. Ensuite, vous l'emmènerez au laboratoire Cailletet. Il entre parfaitement dans la catégorie des délinquants sur lesquels le Président de la Confédération m'a donné toute latitude pour tester mon nouveau procédé d'incarcération."
Il se dirigea ensuite vers la porte, après avoir disposé de ma vie avec autant de désinvolture que s'il avait choisi une nouvelle cravate pour l'assortir à son costume. Ma rage était suffisamment brûlante pour nourrir mon audace ; aussi, alors qu'il sortait, je lui criai :
"Vous vous imaginez pouvoir régir tout ce qui vous entoure, mais vous vous trompez. Vous n'êtes pas Dieu."
Il me jeta un dernier regard et me répondit :
"Si vous le dites."
Puis il quitta la pièce, pensant ainsi se débarrasser de moi. C'était bien mal connaître ma persévérance et mon amour pour sa fille.
Cependant, je ne pouvais rien faire sur le champ, immobilisé que j'étais par deux gardes. Je comptais sur ma supériorité intellectuelle pour prendre, un jour, l'ascendant sur John Knox et me venger de lui.
Je me débattis, mais je fus tout de même enfermé dans la salle de confinement n°5, comme l'avait ordonné le père de celle que j'aimais. C'était un euphémisme pour désigner un cachot. J'ai passé des jours et des jours dans cette petite pièce nue, carrelée de losanges blancs, meublée sobrement d'un lit, d'un bureau et d'une télévision, jusqu'à en perdre la notion du temps. On m'apportait de la nourriture régulièrement. Je n'étais pas maltraité. Je n'avais même pas sombré dans les abîmes du désespoir : j'avais bien retenu les ordres de John Knox et je savais que tant que j'étais là, l'Exodus n'avait pas décollé. Madeline était encore sur Terre. Je pouvais encore trouver un moyen de m'enfuir et de sauver celle que j'aimais. Je guettais l'occasion propice qui me le permettrait.
Elle ne vint pas.
Un jour, un garde vint me chercher dans ma cellule. Je savais pourquoi il était là. Mon cœur sombra dans ma poitrine.
Il m'emmena sur la terrasse du bâtiment où j'avais été retenu prisonnier, un complexe scientifique situé à mi-chemin entre le manoir de John Knox et la base de lancement que ce dernier avait rachetée à la NASA. De cet observatoire, j'avais une vue parfaite sur Cap Canaveral.
Je vis soudain une traînée de feu apparaître à l'horizon, puis j'entendis un grand grondement. Une masse sombre s'élevait vers le ciel, plus imposante et plus lourde que les fusées profilées du passé. Un vaisseau-colonie tout entier. L'Exodus. La quantité d'énergie nécessaire pour le soulever était telle que je sentais de ma position l'odeur de carburant brûlé.
Le vaisseau s'éleva étonnement vite vers les cieux au regard de sa taille. J'aurais préféré que son ascension soit plus laborieuse. Ainsi, j'aurais pu espérer qu'un problème technique de dernière minute le retiendrait à la Terre. Qu'il ne parviendrait pas à arracher sa masse à la gravité, ni Madeline à moi.
Mais quelques minutes plus tard, il n'était plus qu'un point lumineux dans l'espace, et il ne restait plus de lui qu'une traînée de fumée à l'horizon.
Alors, je fus transféré dans une autre partie du complexe, vers le laboratoire Cailletet, comme l'avait demandé John Knox. Je savais qu'un sort funeste m'attendait : une expérimentation destinée aux délinquants ne laissait présager rien de bon. Mais cela m'était égal, à présent. La pire peine que j'aurais pu subir m'avait déjà été infligée : j'avais été séparé de ma bien-aimée Madeline. Ma vie était de toute façon terminée.
Tandis qu'on me menait à travers le dédale des couloirs, pendant qu'on me déshabillait et qu'on m'auscultait, je ne pouvais penser à rien d'autre qu'à ma belle chanteuse, à sa voix parfaite, à sa lourde chevelure brune, à ses yeux bleus animés d'une lueur à en éclipser les étoiles.
Je compris aux discussions que j'entendais autour de moi que les scientifiques du laboratoire Cailletet travaillaient sur un processus nouveau d'arrêt du vieillissement du corps par refroidissement brutal de son environnement : la cryogénisation. On envisageait d'utiliser ce procédé comme alternative à la peine de mort et à la prison perpétuelle. J'allais avoir l'honneur d'en être le tout premier cobaye.
Je n'ai même pas protesté. Cela m'allait très bien. Dormir pour l'éternité. Oublier dans mes rêves la perte de Madeline, la croire à mes côtés, préserver dans mon cerveau gelé son image, la chérir et la cristalliser hors du temps, tandis que les siècles se dérouleraient autour de moi. Je me voyais comme le sanctuaire vivant de celle que j'aimais : je lui rendrais hommage en faisant en sorte que bien après sa mort, elle ne serait toujours pas oubliée.
Car il n'était pas prévu que je sois sorti un jour de cryogénisation. John Knox avait laissé des ordres très clairs à ce sujet. Et je me doutais qu'il était suffisamment proche du gouvernement de la Confédération pour avoir fait établir avant son départ des papiers certifiant ma dangerosité et la nécessité de ne jamais me réveiller.
On me fit tout de même faire des tests d'aptitudes physiques et intellectuelles, manie de classification des scientifiques. Je m'y prêtai mécaniquement, ne me doutant pas qu'ils se révéleraient cruciaux pour moi par la suite. Cela ne dura pas plus d'une demi-journée. On dut me croire consentant à ce qui m'arrivait au vu de mon extrême docilité, qui n'était en fait qu'un abattement.
Puis le moment de la cryogénisation elle-même arriva. Tu as toi-même vécu cette expérience, Proxima, et je ne te la détaillerai donc pas. Elle n'a pas beaucoup varié depuis son invention.
On m'avait conseillé de me détendre pour faciliter l'engourdissement de mes membres. Ce fut simple. J'ai pensé à Madeline, à la première fois que je l'avais vue, à l'Ave Maria qui m'avait fait tomber amoureux d'elle. Je l'ai emportée avec moi dans mon sommeil.
Je l'ai entendue chanter dans ma tête pendant trois cents ans.
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Proxima
Science Fiction"Là où je vis, les gens portent des prénoms de saints ou d'étoiles. Mes parents ont choisi la deuxième option. Je m'appelle Proxima. Proxima Knox." L'Exodus traverse l'espace depuis 400 ans pour amener des colons sur une nouvelle planète. Parmi eux...