En voyant Madeline aussi bouleversée, je me suis empressé de l'emmener dans notre petit parc. Là, je lui ai tenu la main jusqu'à ce qu'elle retrouve suffisamment ses esprits pour pouvoir me parler. Elle m'expliqua alors :
"C'est mon père... Il a un projet... Un projet que je croyais irréalisable... J'espérais qu'il l'était, en tout cas. Mais il vient de m'annoncer que ses scientifiques avaient fait un bond en avant dans leurs recherches et que les derniers problèmes avaient été résolus.
- De quoi s'agit-il, Madeline ? Quel est ce projet ? Pourquoi t'affecte-t-il à ce point ?"
Je savais que John Knox tirait sa fortune de l'industrie, mais le secteur précis dans lequel il s'était spécialisé m'était inconnu. Ma chanteuse m'expliqua :
"Mon père a racheté des anciennes bases de la NASA en Floride, sur le territoire de la Confédération. Il a investi de sommes colossales dans la poursuite d'un projet... Le projet Exodus. Un vaisseau-colonie qui quitterait la Terre pour emmener ses passagers... ailleurs. Sur une autre planète. Là-bas, il voudrait reconstruire l'humanité sur des bases saines, loin de la déchéance du monde dans lequel nous vivons."
Les propos de Madeline me frappèrent de stupeur. La communauté dans laquelle elle vivait était d'un conservatisme rare ; je n'aurais jamais imaginé que John Knox, parangon de traditionalisme parmi les autres membres de sa secte, s'intéressait à la conquête spatiale. "NASA", "vaisseau", "planète" : tous ces mots semblaient incongrus dans la bouche de Madeline, avec leur tonalité futuriste en total contraste avec la grandeur surannée que celle que j'aimais dégageait par ailleurs.
Elle me révéla que si John Knox était aussi riche, c'était parce qu'il était le principal constructeur de satellites existant encore sur Terre après les ravages du dernier siècle. Même s'il désapprouvait la télévision et les valeurs morales véhiculées par cette dernière, elle n'aurait pu exister sans lui. Il menait un certain nombre de projets d'avant-garde, mais qui étaient tous liés de près ou de loin au grand oeuvre de sa vie : l'Exodus, et la migration de sa communauté catholique vers une nouvelle planète.
Elle conclut dans un sursaut de sanglots :
"Maintenant que tous les problèmes sont réglés, mon père est terriblement impatient de partir. Le décollage aura lieu dans deux mois."
Elle marqua une pause puis me confirma timidement ce que je craignais :
"Je suis du voyage..."
La colère me saisit, en même temps qu'une terrible sensation de déchirement me traversait de part en part. A peine avais-je trouvé Madeline, l'amour de ma vie, qu'elle allait m'être arrachée. Je ne pouvais pas accepter cela. Je ne pouvais pas supporter que John Knox l'emmène avec elle, que la vie me la reprenne après m'en avoir fait le cadeau miraculeux. Je l'imaginais en train de s'étioler lentement dans le vaisseau perdu dans l'espace où son père voulait l'enfermer, et cela m'était insupportable. Depuis que j'avais commencé à lui parler, je caressais l'espoir de l'extraire un jour du carcan dans lequel elle vivait. Perdre ce rêve était un coup terrible.
Et voilà que Madeline m'en asséna de nouveaux :
"Nous partons pour la Floride dans un mois. Mon père... Il veut me marier une fois que nous serons dans le vaisseau. Au fils du scientifique ayant permis la découverte majeure qui retardait encore notre départ : le clonage non plus seulement physique mais psychologique. Notre voyage va durer 1200 ans : il voulait s'assurer qu'il serait encore vivant au moment de notre arrivée sur notre nouvelle planète."
Un mois. Je n'avais plus qu'un mois pour profiter de Madeline. Les deux mois qu'elle m'avait annoncés initialement étaient déjà bien trop courts : et voilà que cette durée était réduite de moitié !
Mais je n'allais pas laisser John Knox faire. J'allais sauver la jeune fille que j'aimais de la vie de prisonnière qui l'attendait. Je serrai sa main plus fort et lui demandai :
"Madeline, tu n'as pas envie de partir avec ton père, n'est-ce pas ?"
Elle secoua la tête, et déclara faiblement :
"Pas vraiment... Tout ce qu'il souhaite, c'est nous guider vers la pureté, moi tout particulièrement... Et je lui fais confiance pour cela... Mais renoncer à la lumière du soleil, à la Terre, m'enfermer dans un vaisseau de métal... Je ne suis pas assez forte pour cela. Mais je n'ai pas d'autre choix..."
Je coupai ma chanteuse, ne supportant pas de l'entendre tenir ce discours défaitiste, et lui assurai :
"Je t'aime, Madeline, et je vais trouver une solution pour te sortir de là, je te le promets. Tu ne partiras pas avec ton père si tu ne le souhaites pas. Tu me fais confiance, n'est-ce pas ?"
Cette fois, ma chanteuse se contenta de me regarder en silence, avec des larmes dans les yeux. Elle semblait brisée. Incapable de me croire capable de m'opposer à son père. Mais pour elle, je l'étais.
Soudain, son regard se fixa sur un point derrière moi, et s'emplit de terreur. Je me suis retourné pour voir ce qui l'effrayait à ce point : John Knox marchait à grands pas vers nous, consterné et furieux.
Malheureusement pour Madeline et moi, nous avions oublié toute prudence, sous le choc des révélations du jour. Nous étions dans le parc depuis bien plus longtemps que les dix minutes que nous respections habituellement. La grand-mère de ma chanteuse avait dû prévenir John Knox que sa petite-fille n'était pas arrivée chez elle, et ce dernier avait dû partir à sa recherche.
La réaction de Madeline me stupéfia. Je savais qu'elle avait peur de son père ; cependant, je pensais qu'elle lui opposerait une résistance minimale. Mais non. Dès qu'elle le vit, elle se leva, courba la tête, et marcha humblement à sa rencontre. Elle l'accueillit en disant :
"Je m'excuse, père, pour ma conduite indigne. Veuillez me pardonner."
John Knox la saisit par le bras et lui cracha :
"Malgré tous les préceptes que je t'ai enseignés, malgré mes avertissements quand tu t'es donnée en spectacle à ton lycée, voilà que tu te comportes encore comme une traînée. Je suis déçu, Madeline, extrêmement déçu. Nous reparlerons de ton comportement à la maison. Nous rentrons, et maintenant."
John Knox se tourna vers moi et commença :
"Quant à vous, vil séducteur, démon tentateur..."
Je ne l'ai pas laissé finir. Je me suis levé à mon tour et je me suis approché de lui en grondant :
"Je ne vous permets pas de parler de moi de la sorte. J'aime votre fille et la traiter de traînée..."
Je n'ai jamais terminé ma tirade. John Knox a fermé son poing et me l'a envoyé en plein visage. Sous la douleur, je me suis plié en deux. Il en a profité pour emmener sa fille loin de moi.
Lorsque vint le dimanche, ni John Knox, ni sa femme, ni Madeline n'étaient présents à la messe. J'ai osé interroger des membres de leur communauté à propos de leur disparition : ils m'apprirent que la famille Knox avait anticipé son départ vers la Floride, où le reste de la secte devait les rejoindre dans un mois.
John Knox m'avait volé Madeline.
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Proxima
Science Fiction"Là où je vis, les gens portent des prénoms de saints ou d'étoiles. Mes parents ont choisi la deuxième option. Je m'appelle Proxima. Proxima Knox." L'Exodus traverse l'espace depuis 400 ans pour amener des colons sur une nouvelle planète. Parmi eux...