Règle numéro vingt-trois : tout se paye un jour.

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Je m'amusais vraiment, j'étais en train de gagner, et Freddie fulminait face à sa très certaine future nouvelle défaite. William me lançait de temps en temps des petits regards pour me dire « laisse-le gagner », et je me demandais si Fred avait déjà joué au billard auparavant. Je savais que Will faisait exprès de rater tous ses coups, mais je n'avais pas tant l'impression que ce soit pour laisser son meilleur ami gagner. Je crois bien que c'était plutôt pour éviter d'être concentré sur le jeu afin de s'adonner à une pratique qui semblait lui être bien plus intéressante : dévisager James de long en large et de haut en bas.
Il se mit à l'écart une nouvelle fois, et je l'observai du coin de l'œil tandis que Freddie attaquait sa bille.
Arrête de la regarder bon sang, je t'en prie...
J'essayais de ne pas me montrer jalouse et de réfréner cette nouvelle envie de meurtre qui naissait dans mon cœur, mais j'avais mal. Très mal.
J'avais l'impression que James était revenue, malgré elle, pour foutre le bordel.
Pourquoi la vie l'avait-elle donc mise à nouveau sur le chemin de William, et sur le mien par la même occasion ? Sur notre chemin. Il existait des tas de restaurants en ville, tout aussi variés et délicieux les uns que les autres, pourquoi avait-il fallu que Daryl et elle se retrouvent, comme par hasard, dans celui où travaillait Will un jour où il était de service ? L'avait-elle fait exprès ? Cela représentait-il pour moi une nouvelle épreuve que je devais affronter ?
Non, bien sûr que non. James allait repartir vivre sa petite vie londonienne tranquille avec son « mari », et nous ficher la paix à tout jamais, j'y veillerais. Je la mettrais à coups de pied aux fesses dans l'Eurostar ou dans un avion s'il le faut, mais elle va repartir, qu'elle le veuille ou non.
Je laissai Freddie attaquer une nouvelle fois, puisque c'était encore son tour, et me concentrai sur ce que William était visiblement en train d'observer avec convoitise : James et Daryl faisaient une partie de babyfoot comme l'auraient fait de vieux amis, de très bons amis. Ni l'un ni l'autre ne semblait vouloir laisser l'autre gagner, et ils avaient l'air de s'amuser comme des petits fous.
Une nouvelle sensation vint naître en moi, et j'essayai à nouveau de la dissimuler afin de l'oublier et de la faire taire. Mais c'était peine perdue. Elle avait déjà contaminé mon cœur, et s'insinuait maintenant dans chaque parcelle de mon corps. Je sentais que mes membres étaient en train de faiblir, je crois même que le moindre geste m'aurait fait trembler. Je restai adossée à la table de billard, en essayant de m'accrocher à celle-ci pour ne pas tomber face à ce trop-plein d'émotions qui était venu envahir tout mon être. La douleur reprenait le dessus...
J'étais jalouse de la relation que Daryl et James entretenaient.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, et ça l'était pour moi, je les enviais.
Je n'avais jamais eu à me plaindre de ce que William et moi partageons, bien entendu, nous nous aimons, c'était indéniable, et nous avons toujours eu d'excellents rapports durant ces quatre années merveilleuses pendant lesquelles nous avions été en couple, mais jamais, jamais nous n'avons eu cette complicité qui se dégage de la relation entre James et Daryl. Je crois même que William et moi n'avons jamais été vraiment amis, d'ailleurs, nous étions directement passés à la case flirt et séduction pour ensuite nous caser dans la catégorie amoureux, mais sans aborder l'étape de l'amitié. Peut-être était-ce quelque chose qui me manquait ou que j'aurais aimé connaître...
D'un autre côté, j'essayai de relativiser : l'amitié entre William et moi s'était développée après notre couple, à force de passer du temps ensemble et de se fréquenter tous les jours pendant des années, enfin, je crois.
Pourtant, plus je regardai James et Daryl rire et se divertir comme si le monde autour d'eux n'existait pas, plus cette sensation de jalousie et d'envie s'intensifiait en moi.
Est-ce que William ressentait la même chose ? Est-ce qu'il était jaloux de la relation que son ex entretenait avec son nouveau compagnon, ou bien était-il tout simplement jaloux du fait qu'elle soit avec Daryl, maintenant, et non avec lui ? Est-ce qu'il regrettait de l'avoir quittée ?
J'aurais voulu mettre mon cœur et mes pensées en mode veille, ou les arrêter carrément, mais rien n'y faisait. Elles arrivaient toutes par flots de questions et envahissaient tellement mon cerveau que j'étais incapable de me concentrer sur autre chose que sur eux deux.
C'était au tour de Will de jouer. Il se pencha pour se focaliser sur l'attaque qu'il allait porter à sa bille, et je continuai de dévisager James, qui elle, ne faisait pas du tout attention aux regards que William ou moi pouvions poser sur elle, bien trop absorbée par sa partie qu'elle était.
Elle semblait tellement épanouie, tellement sûre d'elle, tellement heureuse...
Dans mon inconscient le plus profond, celui que je voulais cacher absolument par tous les moyens possibles et ne jamais faire ressortir, je l'admis : j'étais extrêmement jalouse de cette femme, mais pas uniquement à cause du fait que mon fiancé n'arrêtait pas de la regarder d'un air langoureux et convoiteur : j'étais jalouse de sa personne.
James représentait à elle seule tout ce que j'avais toujours rêvé d'être sans jamais pouvoir l'atteindre. Elle dégageait un tel charme et une telle classe - à l'instar de l'homme qui partageait sa vie - ainsi qu'une telle assurance que c'en était presque troublant. Ce n'était pas pour autant - du moins, elle n'en avait pas l'air - l'une de ces personnes conscientes de leurs atouts et de leurs beautés qui en profitaient pour en jouer à tout bout de champ. Non. James semblait humble, altruiste, bienveillante, et sincère. En tout cas, c'était l'impression qu'elle m'avait fortement donnée.
C'était complètement dingue : mon inconscient était en train de faire un discours élogieux d'une femme que j'étais censée détester, et je crois bien que je la détestais justement pour ça : parce que j'étais incapable de la haïr, malgré tous les efforts que j'aurais pu fournir pour ce faire.
Elle ne ressemblait à aucune autre des ex-copines de William : elle n'avait pas l'immaturité de Daisy, la vulgarité d'Aurélie, ni même la lâcheté de Mathilde, non, rien de tout ça, et c'était peut-être cela qui la rendait si unique.
J'analysai sa façon de se tenir, de se comporter, et même ses vêtements... Tellement décomplexée, tellement joyeuse, tellement rayonnante... Même son style vestimentaire, qui pourtant ne correspondait pas à une jeune femme de son âge et aurait plutôt pu lui donner l'air d'être une adolescente en pleine crise, je l'enviais, puisque je n'avais jamais eu le courage d'assumer cette part de moi qui aurait adoré porter des vêtements de ce genre, au risque d'avoir l'air d'un garçon manqué ou de quelqu'un qui ne voulait pas quitter ses années lycée. Cela dit, James arborait ce genre de fringues avec un tel style et une telle prestance que cela était loin de donner cette impression là, bien au contraire. Elle n'en avait pas l'air moins mature ni adulte pour autant, et je l'imaginais difficilement porter des robes ou des vêtements plus conventionnels, bien que je suppose qu'ils devaient lui aller tout autant.
- Cassie ?
La voix de William me tira de mes pensées et je revins à la réalité.
- Oui ?, demandai-je.
- C'est ton tour...
- Ah ! Pardon, j'étais en train de réfléchir à un truc..., mentis-je pour ne pas assumer le fait que j'étais bien trop concentrée sur James et Daryl pour faire attention au déroulement de la partie.
J'attrapai la queue que j'avais posée en équilibre sur la table de billard, et me concentrai sur la bille que j'allais attaquer. Je ratai mon coup, bien entendu, un peu volontairement, et repris ma place de départ en bâillant légèrement.
- Tu as sommeil ?, me demanda William.
- Un peu...
Je consultai ma montre : il était presque minuit, ce qui expliquait mon état de fatigue quelque peu avancé.
Par chance, James et Daryl venaient de finir leur partie, et se dirigeaient vers nous en souriant.
- Qui a gagné ?, leur demanda Freddie enjoué, tout en sautillant dans leur direction.
- Moi !, répondirent James et Daryl d'une même voix en pointant un doigt vers eux-mêmes.
Ils se regardèrent ensuite en rigolant et renchérir chacun à leur tour à coups de « non c'est moi je te dis » et de « je t'ai laissé gagner de toute façon ». Je ne pus m'empêcher de sourire légèrement avant que Daryl ne demande :
- Et lequel d'entre vous a gagné cette partie de billard ?
- On va dire que c'est Freddie., répondis-je pour mettre court à la conversation et à notre partie, par la même occasion.
Freddie sautilla de joie, une nouvelle fois, et William s'approcha de moi pour se placer à ma gauche. Je m'attendis à ce qu'il passe un bras autour de ma taille ou même par-dessus mon épaule, mais il n'en fit rien et annonça tout simplement :
- Cassie est fatiguée, on va rentrer je crois.
- Justement c'est ce qu'on avait l'intention de faire., enchaîna James en haussant les sourcils.
- Déjà ? On commençait à peine à s'amuser..., protesta Fred.
Freddie et son envie insatiable de faire la fête... Ne dormait-il donc jamais ?
Je me penchai vers lui, lui posai une main sur le bras, et lui dit que nous aurons forcément d'autres occasions de nous revoir et de nous amuser encore plus. Il fit une petite moue boudeuse, comme l'aurait fait un enfant que l'on prive de dessert, et se résigna finalement à partir avec nous. Il ne pouvait pas rester là tout seul, de toute manière.
Nous rassemblâmes donc tous nos affaires avant de nous diriger vers la sortie.

Une fois arrivés sur le parking au niveau de ma voiture, nos chemins pouvaient enfin se séparer. Je n'avais qu'une hâte : rentrer chez William et dormir au creux de ses bras afin d'oublier cette soirée qui avait été pour le moins sentimentalement éprouvante.
- C'était sympa comme petite soirée., lança Will avec un regard très - trop - appuyé sur James. On devrait en refaire une à l'occasion...
Mon cœur passa au rythme de deux cents battements par minute en moins d'une demi-seconde.
Refaire une soirée ? Avec eux ? Hors de question ! J'observai la réaction de Daryl et de James : à mon grand bonheur, ni l'un ni l'autre n'avaient pas l'air emballés plus que ça.
- Pourquoi pas., répondit James. Mais on a encore tellement de choses à faire et de gens à voir ici, et on ne reste pas très longtemps, alors ça risque d'être un peu compliqué...
- Vous rentrez quand ?, demandai-je d'un air que je voulus désintéressé, mais qui traduit une certaine impatience.
- La semaine prochaine, voire avant.
Avant, ça m'arrangerait, le plus tôt sera le mieux. Moins je la verrai, mieux je me porterai. Non seulement pour mon bien-être personnel, mais également pour le bien-être de ma relation avec William, qui, d'après ce que je pouvais observer, semblait déçu que James n'ait pas été réjouie par son idée de refaire une soirée en leur compagnie.
Je hochai la tête et m'approchai d'elle pour lui faire la bise, afin de couper court à notre conversation et de signifier que cette soirée était enfin terminée.
- Eh bien du coup, bonne continuation., fis-je.
- Merci, à vous deux aussi., répondit-elle en posant son regard sur William et moi à tour de rôle.
Je fis ensuite la bise à Daryl, qui me lança immédiatement après :
- Nous serons invités à votre mariage, au fait ?
James lui donna un petit coup sur la poitrine avec le revers de sa main en lui disant :
- Darling, ça ne se pose pas des questions comme ça.
- Ben quoi ?, demanda celui-ci en se tournant vers sa belle.
Je ne savais pas trop comment je devais prendre cette remarque. Est-ce que James et Daryl étaient au courant que Will et moi avions annulé le mariage, ou bien l'ignoraient-ils complètement, d'où la question de Daryl ? Il ne l'avait pas posé sur un ton ironique après tout...
- Mouais, on y pensera peut-être..., répondit William d'un air évasif.
Mais bien sûr oui, comme si j'avais envie de voir Monsieur et Madame Parfaits venir se pavaner à mon mariage, le jour où je suis censée être la reine de l'évènement.
- Ne lui en voulez pas, c'est juste qu'il adore ce genre de cérémonies., nous rassura James en passant son bras autour de la taille de Daryl et en se blottissant contre lui.
Je souris par politesse, d'un air un peu gêné, et poursuivis d'un « on vous tiendra au courant en temps voulu » qui était loin d'être sincère. Et j'espère bien que William n'avait pas cette intention non plus.
De toute façon, d'ici à ce que l'on décide de prononcer nos vœux - vraiment, cette fois - il y avait peut-être encore quelques années à attendre. Quelques années au terme desquelles, je l'espère, Will aura oublié James, et réciproquement.
Je fis ensuite la bise à Freddie, après que celui-ci l'eut faite à James, Daryl et William respectivement. Il m'enroula alors avec ses bras, et me serra si fort que je crus que j'allais étouffer ou même avoir une côte fêlée.
- J'ai été content de te revoir, Cassidy chérie.
- Moi aussi, Fred., répondis-je, le souffle coupé.
Il me lâcha enfin, je me desserrai de son étreinte en lui disant que l'on se reverrait sans doute très prochainement avant de rejoindre William et de déverrouiller - enfin - les portières de ma Citroën.
Fred, James, et Daryl, partirent chacun de leurs côtés rejoindre l'endroit où ils avaient garé leurs voitures, et William et moi entrâmes dans la mienne. Je bouclai ma ceinture, activait le verrouillage automatique des portes, et mis immédiatement le contact avant de démarrer pour quitter ce foutu endroit.
Je soupirai. Enfin seuls. Enfin tranquilles. 

Dommages collatéraux {réécriture à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant