Je ne laissai pas mes yeux fixés sur l'écran bien longtemps. Grâce à la lumière qui se dégageait de ce dernier, je pus observer un peu le comportement et les réactions des autres. Je penchai donc la tête légèrement, et regardai Freddie : il avait les jambes repliées sur lui-même, les pieds posés sur son siège, et se cachait à moitié les yeux avec sa main droite. Je souris. Freddie était un vrai trouillard en matière de films d'horreur. Il sursautait de temps en temps, pourtant, bien que l'ambiance du film soit certes assez sombre, il n'y avait vraiment pas de quoi être terrifié pour l'instant.
Daryl, lui, fixait l'écran d'un air calme, parfois ennuyé. Il piochait quelques popcorns dans le cornet de James et les mangeait discrètement, ne faisant pas attention à l'énergumène apeuré qui se trouvait à côté de lui. Soit il était habitué aux films du genre, soit cela ne le touchait pas le moins du monde. Après tout, ce n'était qu'un film. Je me demandais s'il arrivait à tout comprendre, étant donné que les dialogues étaient en français et qu'il n'y avait pas de sous-titres. En fait, je m'aperçus à ce moment-là que j'avais tellement peu entendu Daryl parler que j'ignorais s'il était capable de tenir une conversation dans ma langue maternelle ou si, au contraire, cela lui posait des difficultés. Daryl était quelqu'un de très discret, mais que l'on ne peut s'empêcher de remarquer tant il se dégageait de lui quelque chose d'indescriptible. Un vrai paradoxe : les gens calmes et peu bavards, en général, on ne les remarque pas.
Mon regard se posa ensuite sur James. À l'instar de Daryl, elle fixait l'écran, mais plutôt d'un air captivé. Le film avait l'air de vraiment l'intéresser... Elle glissa une main dans le cornet de popcorns et en saisit quelques-uns avant de les porter à sa bouche, sans même regarder ce qu'elle faisait. Parfois, ses yeux et ses sourcils se déformaient et laissaient apparaître ses expressions et ses pensées sur son visage : la surprise, la peur, le dégoût, et un peu l'ennui ou l'incrédulité.
J'observai ensuite William : lui ne fixait pas l'écran. Il avait la tête et le regard légèrement tournés vers James, et il la contemplait. Elle ne s'en rendait pas compte, étant donné qu'elle était absorbée par ce qui se déroulait sur la toile, mais moi, je pouvais clairement le voir. William lorgnait sur James, sur son visage, ses cheveux, sur sa poitrine, sur son ventre, et aussi sur les popcorn.
Je me mordis l'intérieur de la lèvre pour m'empêcher de hurler.
Arrête de la fixer comme ça... Regarde le film, bordel. Prends une poignée de popcorn et basta, allez !
Mais William n'en fit rien. Après un long moment qui sembla avoir duré des heures entières, il finit par faire craquer son cou et fixa à nouveau l'écran. Je fis mine d'être absorbée par le film moi aussi, tout en jetant de temps en temps de petits regards furtifs en direction de Will et James.
Elle avait posé sa main droite sur l'accoudoir, celui qui la séparait de William. En à peine quelques secondes, il le remarqua et tourna de nouveau légèrement la tête vers elle, et, le plus discrètement et le plus doucement du monde, il vint lui aussi poser son bras vers l'accoudoir et lui frôla légèrement les doigts du bout des siens.
James retira immédiatement sa main, comme si elle avait subi une décharge électrique, la tendit vers l'écran comme pour désigner quelque chose et se pencha en même temps vers Daryl pour lui chuchoter une phrase à l'oreille. Je n'entendis évidemment pas de quoi il s'agissait, mais je me demandais si elle avait eu conscience que Will lui touchait la main et si elle la retirait pour ça, ou si elle avait tout simplement voulu l'enlever dès le départ pour montrer cette chose à l'écran.
Daryl sourit de toutes ses dents en baissant les yeux, puis se tourna vers James et déposa un baiser sur sa joue, très près des lèvres. C'était à la fois mignon et sensuel, toujours sans avoir ce caractère niais typique aux amoureux. James se pencha alors sur le côté, et s'appuya contre l'épaule de Daryl en enroulant son bras autour du sien et en lui tenant la main. De l'autre, celle qui avait été sur l'accoudoir et que William avait touchée quelques secondes avant, elle tenait le carton de popcorn. William ne la regardait plus et, je crois, semblait déçu de voir qu'elle ne faisait pas attention à lui. Je soupirai malgré moi, à la fois énervée et soulagée de savoir que Will et elle ne pourraient plus avoir de contact physique. Pour l'instant, du moins.
Je me concentrai à nouveau sur le film quand j'entendis soudainement quelqu'un crier comme une fillette : c'était Freddie. Je sursautai légèrement. James, elle, prit tellement peur et fut tellement surprise par la réaction de Fred qu'elle fit un bon sur son siège en portant la main à son cœur. La moitié des popcorns se renversa à terre et sur ses genoux.
- Ça ne va pas t'es dingue, tu m'as fait flipper !, chuchota-t-elle à l'attention de Freddie.
William rigola, Daryl sourit légèrement tout en regardant James d'un air tendre et protecteur, et Fred pouffa à son tour en lâchant un petit « désolé » en haussant les épaules.
Moi, j'eus un petit sourire moqueur et satisfait : j'étais contente de voir James dans cet état. Couverte de popcorn et apeurée, elle n'avait plus l'air si parfaite que ça, et semblait même presque ridicule. Elle attrapa le cornet et entreprit de ramasser les popcorns qui étaient tombés sur ses genoux. Daryl l'aida, et j'entendis William chuchoter en se penchant :
- Je vais vous aider...
James le coupa dans son élan d'une voix un peu froide :
- Non t'inquiètes, ça ira merci.
Une fois ses genoux nettoyés de toutes miettes de maïs soufflés, Daryl et elles s'agenouillèrent par terre et commencèrent à ramasser toutes celles qui s'étaient échouées au sol. William leur lança :
- Sérieusement, il y a des gens qui sont payés pour faire ça, ne vous embêtez pas pour si peu.
- Et alors ?, répondit James en tournant la tête vers lui. Ce n'est pas pour autant qu'on doit se comporter comme des gens sales et irrespectueux... Question de civilité, mon cher.
Elle haussa les sourcils et hocha la tête en lui lançant un regard soutenu.
- Civilité mon cul., balança Will en croisant ses bras sur sa poitrine.
James n'avait pas tort. Laisser le sol dans cet état aurait vraiment été un manque de respect envers la personne qui aurait dû nettoyer derrière nous, mais William lui, partait d'un principe de base qui était appliqué par beaucoup de personnes : le client est roi. Même si nous étions responsables de la saleté ou du mauvais état d'un endroit, il estimait que ce n'était pas à nous d'en assumer les conséquences.
Daryl et James continuèrent donc de ramasser les popcorn jusqu'à ce qu'il n'en reste plus aucun sur le sol. Je les observai se parler et rigoler pendant qu'ils effectuaient leur tâche. Ils semblaient s'amuser comme si cela avait été une distraction amusante ou comme s'ils avaient fait ça toute leur vie sans que cela leur pose de problème. J'avais l'impression qu'une bulle imperceptible s'était formée pour les englober, et que le monde alentour n'existait plus pour eux. Exactement ce que je ressentais lorsque je contemplais William ou que nous passions un moment ensemble.
Une fois tous les popcorn ramassés, ils se rassirent sur leurs places respectives et James laissa le cornet au sol, entre son siège et celui de Daryl. Elle se pencha alors dans ma direction et lança :
- Cassie ?
Je mis quelques secondes à réagir tant j'étais partie loin dans mes pensées en les regardant faire.
- Hein ?, finis-je par lâcher après m'être reconnectée à la réalité.
- Tu nous passes ton sachet de popcorn s'il te plaît ? On ne peut plus manger ceux-là puisqu'ils sont tombés par terre...
- Oui... Bien sûr...
J'avais presque oublié que nous possédions un sachet de secours, qui, au départ, devait servir uniquement après que le premier sachet ait été terminé. Pas renversé à cause d'un sursaut provoqué par la peur.
Je le saisis donc et lui tendis. Elle me remercia en m'offrant un sourire amical, et attrapa le sachet qu'elle plaça à nouveau sur ses genoux, puis s'adressa à Freddie :
- Fred, s'il te plaît, soit plus discret quand tu cries la prochaine fois.
- Ce n'est pas de ma faute si t'es une trouillarde !, protesta celui-ci.
- Tu plaisantes ?, rigola-t-elle. Ton cri m'a fait plus peur que la scène elle-même !
- Ben fallait choisir un autre film alors..., répondit-il d'un air taquin.
Le débat s'arrêta là, et nous nous concentrâmes tous à nouveau sur le film.
Freddie émettait des petits cris de temps en temps, mais rien de bien méchant. Je tournai mon regard vers lui et observai qu'il avait posé une main sur sa bouche pour s'empêcher de s'exclamer trop fort, ce qui aurait risqué de surprendre James et de sacrifier nos popcorns une nouvelle fois.
Tout d'un coup, il saisit la main de Daryl et l'agrippa violemment, pris de terreur par la scène se déroulant à l'écran. Elle m'avait moi-même quelque peu surprise, d'ailleurs.
Daryl ne bougea pas d'un pouce, il resta impassible et, doucement, il retira sa main de l'emprise de celle de Fred, puis lui tapota légèrement l'avant-bras en lui disant quelque chose. Je ne compris pas tout, mais je crois que ce devait être une phrase du genre : « ne t'en fais pas, ça va aller. » Il s'adressait à Fred comme à un enfant, ce qui me fit sourire, car c'était un peu ce qu'il était dans ce genre de situation : un enfant apeuré.
J'attrapai la main droite de William et me blottis contre lui. Il enroula ses doigts autour des miens et posa sa tête contre la mienne. J'oubliai presque les autres et profitai de cet instant de tendresse tout en essayant de me concentrer sur la fin du film.
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Dommages collatéraux {réécriture à venir}
Tajemnica / ThrillerCassidy allait se marier, elle vivait un bonheur que rien au monde n'aurait pu venir entacher. Du moins, c'est ce qu'elle croyait. « Peut-on sombrer dans la folie simplement par amour ? » [Le système des "règles" à chaque chapitre est ins...