Si dissimuler un corps était un acte compliqué, faire disparaître les preuves d'un meurtre l'était tout autant.
C'est ainsi que, une bonne partie de mon vendredi soir et la quasi-totalité de mon samedi, j'avais fait des kilomètres et des kilomètres un peu au hasard, m'éloignant le plus possible de la ville, afin d'aller jeter les objets que Léa et moi avions utilisés pour faire disparaître le corps de Daisy cette fameuse nuit.
Le vendredi soir, je m'étais arrêtée à la lisière d'une forêt dans laquelle j'avais enterré, à plusieurs centaines de mètres de distance, les deux scies dont Léa et moi nous étions servis pour découper le corps.
Ce fut un travail de longue haleine, si bien que j'étais rentrée chez moi épuisée et en me jurant de m'y prendre différemment la prochaine fois qu'il me viendrait l'envie soudaine de tuer quelqu'un.
Aujourd'hui, samedi treize août, j'avais de nouveau arpenté les routes dès sept heures du matin, afin de jeter tout ce qui était resté dans le sac poubelle, soit : la lampe, les bidons vides de white spirit, et les gants en latex. J'avais jeté chaque objet individuellement dans des conteneurs différents, au hasard, dans des communes très éloignées, et j'avais enterré la lampe de la même manière que j'avais enterré les scies.
Je préférais mettre en terre tout ce qui avait été en contact avec le sang de Daisy, de peur que l'on puisse retrouver des traces d'ADN ou même des preuves contre Léa et moi.
Au final, je ne saurais même pas dire où exactement était éparpillé chaque objet tant j'étais allée dans des endroits différents, mais cela m'avait pris au moins six heures de ma journée. Enfin, ce qui était fait n'était plus à faire. J'étais rentrée chez moi aux alentours de quatorze heures et je m'étais écroulée de fatigue.Mon alarme sonna à dix-sept heures, me sortant d'un sommeil sans rêves. J'attrapai mon téléphone et le consultai les yeux à moitié fermés.
J'attendis une minute que mon cerveau se reconnecte et que mes souvenirs reviennent. Dissimuler les preuves, c'était fait.
Et maintenant ?
Ça y est ça me revient : le rendez-vous avec William.
Après le message que j'avais reçu dans la journée de jeudi, nous avions convenu de nous retrouver à notre restaurant créole préféré, ce soir, à dix-neuf heures trente. Il était donc temps que j'aille me préparer.
J'avais bien la ferme intention de mettre toutes les chances de mon côté afin que William se rappelle à quel point il était fou amoureux de moi, même si j'estimais que ça n'allait pas être si difficile que ça. Après tout, il n'avait sans doute jamais cessé de m'aimer.
Je pris une douche, gommai ma peau, m'épilai scrupuleusement toutes les parties de mon corps susceptibles d'être vues et touchées, et enfilai ma tenue : une longue jupe droite cintrée à la taille de couleur noire et un petit débardeur fleuri très coloré à fines bretelles, qui cassait avec le côté très strict de la jupe. Il était décolleté juste ce qu'il fallait, l'important étant de suggérer sans trop montrer, de susciter l'intérêt auprès de William pour qu'il désire en voir plus - bien qu'il en ait déjà vu beaucoup par le passé.
J'accompagnai le tout d'une petite veste en faux cuir vert à porter en cas de fraicheur et mis des talons hauts.
Au niveau du maquillage, j'avais fait simple : un fond de teint, du blush, un trait d'eye-liner, du mascara et un rouge à lèvres nude ; et pour les cheveux, je les avais simplement laissés former ces légères ondulations qui plaisaient tant à William. Une pointe de parfum pour la touche finale et j'étais prête à partir. Il était dix-neuf heures.Le temps de trouver une place pour me garer et ma montre affichait déjà dix-neuf heures vingt. William m'avait envoyé un SMS pour me dire qu'il était en chemin, j'allais donc certainement arriver avant lui.
Il faisait beau, la chaleur était encore pesante. J'entrai dans le restaurant et demandai une table en terrasse pour deux personnes.
Le serveur me salua et me reconnut immédiatement. Il laissa même échapper un petit « ça faisait longtemps » auquel je répondis par un sourire courtois, et me plaça à notre table habituelle, celle juste à côté de l'entrée.
Autour de moi, les gens riaient et commençaient à manger leur dîner. Le serveur m'apporta deux menus qu'il posa sur la table. J'en attrapai un et fis semblant de le lire : je connaissais la carte par cœur, et je savais pertinemment ce que j'allais commander.
En vérité, j'essayais seulement de trouver un moyen de calmer le stress qui se faisait de plus en plus insistant. J'étais comme angoissée à l'idée de retrouver une personne que j'avais pourtant fréquentée pendant quatre longues années, ce qui était assez ironique, dans le fond.
J'observai les gens aux alentours et respirai lentement pour essayer de me calmer quand mon regard dévia sur la rue d'en face.
C'est là que je le vis arriver au loin.
Je le reconnus tout de suite, j'aurais pu le reconnaître entre mille. Il dénotait tellement parmi la foule.
Il s'avança d'un pas assuré, tout en réajustant sa veste en jean, passa une main dans ses cheveux et traversa la rue. Il se rapprochait de plus en plus et mon cœur battait à la chamade au fur et à mesure que je le voyais s'avancer vers moi. Je détournai le regard pour faire mine de ne pas l'avoir vu arriver.
Ce n'est que lorsque j'entendis un « salut » prononcé net et distinctement à mon égard que je tournai nonchalamment ma tête vers lui.
Je ne souris pas, bien que j'en eus terriblement envie.
Il était toujours aussi beau, avec ses yeux noisette et ses cheveux bruns qu'il avait plaqués en arrière. Je le toisai des pieds à la tête d'un air froid. Ses rangers, son jean destroy, sa chemise à carreaux sur laquelle reposait un sautoir en cuir et sa veste en jean grise, chaque détail était parfait chez lui.
William avait cette classe et ce physique à la James Dean ou à la Johnny Depp dans leurs jeunes années. Je me retrouvai alors projetée quatre ans en arrière : bien sûr que je n'avais pas résisté. Qui aurait pu résister à cela ? Il m'attirait comme la gravité de la terre attirait la lune, comme l'or attirait les chercheurs d'or, comme l'Atlantide attirait les explorateurs... Will était ma fascination, mon but, mon trésor ultime.
Mais présentement, je devais laisser croire absolument tout le contraire.
Je répondis donc un « salut » froid, sans même prendre la peine de me lever de ma chaise ou de le fixer plus longtemps.
Il s'assit en face de moi et sortit une cigarette de la poche de sa veste. Je le regardai l'allumer sans rien dire, puis brisai le silence :
- Depuis quand est-ce que tu fumes ?
Il inspira une bouffée, recracha lentement la fumée et, tout en baissant les yeux vers la table, répondit :
- Depuis notre rupture...
Ta rupture avec elle ou ta rupture avec moi ?
Je faillis laisser échapper cette phrase spontanément, oubliant pendant un bref instant que je n'étais pas censée savoir que William et Daisy avaient rompu. Je demandai donc simplement :
- Pourquoi ?
De nouveau, il baissa les yeux et affirma d'une voix si faible que je l'entendis à peine :
- J'ai vraiment fait le con avec toi...
- Et Daisy ?, demandai-je froidement.
- Ça n'a pas marché.
- Raconte., ordonnai-je d'un ton calme, faisant mine de m'intéresser à ce que je savais déjà.
- Elle m'a quitté comme ça, sans explications.
- Et donc tu reviens vers moi pour te consoler, c'est ça ?
Il leva - enfin - les yeux vers moi, me fixant de son regard perçant qui semblait être à la fois outré et déçu, et affirma d'une voix forte :
- Non ! Bien sûr que non ! Au contraire, ma rupture avec elle m'a fait ouvrir les yeux sur ce que je ressentais vraiment, et m'a fait comprendre qui j'aimais en réalité !
À l'entente de cette phrase, mon cœur émit un bon si fort que je crus que j'allais faire un arrêt cardiaque.
J'essayai de ne rien laisser paraître, de ne pas faire le moindre mouvement, alors que j'aurais voulu sourire, hurler, rire et sauter dans tous les sens. Mes jambes étaient devenues du coton, tout mon corps tremblait de l'intérieur. Si j'avais dû me lever maintenant, je me serais sans doute écroulée avant même d'avoir pu faire le moindre pas.
Alors, je pris sur moi, et, en posant mon menton sur ma paume de main et en faisant mine d'ignorer William qui venait d'écraser sa clope à moitié fumée dans le cendrier, je répondis d'une voix grave :
- Ah oui ?
- C'est toi, Cassie..., fit-il d'un ton que je perçus presque suppliant.
Je haussai les sourcils et levai les yeux au ciel, toujours en faisant mine de m'intéresser à ce qui se passait dans la rue d'en face, ce qui eut le don de l'agacer légèrement.
- Regarde-moi s'il-te-plaît., ordonna-t-il d'une voix douce.
J'obéis, croisant mes bras contre ma poitrine et m'enfonçant dans ma chaise comme pour mettre de la distance entre nous, et lui dis sans qu'il ait pu prononcer un mot :
- Tu te rends compte de ce que tu m'as fait, quand même ?
- Je sais, je suis désolé !, enchaina-t-il en tendant la main vers moi comme s'il voulait saisir la mienne. Mais je crois que j'ai eu peur, à cause du mariage et tout ça...
Le serveur arriva, mettant court à notre conversation, et nous demanda si nous avions choisi. Je lui adressai un grand sourire en commandant mon plat ainsi qu'un Virgin mojito. William commanda le sien et prit une bière, et, une fois le serveur suffisamment éloigné, continua sur sa lancée :
- Est-ce que tu me pardonneras un jour ?
Évidemment.
Évidemment que je vais te pardonner, évidemment que je l'ai même déjà fait.
Mais pour l'instant, je tentais de faire croire le contraire.
Je fis mine de réfléchir. Pendant de longues minutes, un silence s'installa entre nous, et je finis par répondre enfin :
- Qu'est-ce que tu espères, en fait ? Que je pleure à chaudes larmes et que je me jette dans tes bras ?
Il baissa à nouveau les yeux et sembla réfléchir à sa réponse quand le serveur nous apporta nos boissons et nos plats respectifs : banane plantain, riz, et pommes de terre pour moi ; poulet au curry à la coco et à l'ananas pour William, accompagné d'une salade d'avocats.
Je me ruai sur mon plat sans même dire merci au serveur, j'avais tellement faim. Mon dernier repas remontait à plusieurs heures et s'était résumé à un simple sandwich préparé à la va-vite le matin même.
En relevant la tête vers William, je vis qu'il souriait.
Merde. Ce sourire...
Je détournai les yeux et me concentrai à nouveau sur mon assiette.
- Tu avais faim à ce que je vois., constata-t-il d'un ton enjoué.
- Effectivement., répondis-je après avoir avalé ma troisième bouchée de pommes de terre braisées.
Un bref silence, quelque peu gênant, s'installa derechef entre nous. Je ne voulais rien dire, d'ailleurs, je ne savais même pas ce que j'aurais pu dire, alors c'est William qui le brisa :
- Je ne sais même pas comment j'ai fait pour passer autant de temps sans toi...
À nouveau mon cœur cessa de battre et je dus faire un effort pour contrôler ma réaction.
- Fallait pas me quitter., marmonnai-je pour moi-même, mais suffisamment fort pour que Will m'entende.
- Je sais., répondit-il simplement.
Nous continuâmes à manger notre repas sans nous parler. Il y avait une espèce de tension qui régnait dans l'air : moi, avec le contrôle extrême de mes sentiments, et lui, peut-être avec ses regrets et l'embarras qu'ils inspiraient. Ce fut finalement lui qui brisa le silence une nouvelle fois :
- Tu peux en prendre, si tu veux...
Je levai le regard. Avec sa fourchette, il me désignait la salade d'avocat se trouvant à côté de son assiette. Je souris malgré moi. Nous avions toujours eu l'habitude de partager la salade d'avocat que nous prenions dans ce restaurant, c'était une sorte de tradition de couple, en quelque sorte.
Sans répondre ni même le remercier, je piquai un morceau du fruit et le portai à ma bouche. Une explosion de saveurs chatouilla mes papilles, c'était toujours la meilleure salade de la région, peut-être même du monde entier. Nous la finîmes ensemble, et, à la fin du repas, j'étais tellement repue que quand le serveur nous demanda si nous désirions un désert, je fis signe que je ne pouvais plus rien avaler et demandai l'addition.
- C'est moi qui invite., annonça William.
Je ne le contredis pas et le laissai faire.Une fois l'addition payée et nos assiettes débarrassées, William me demanda :
- Tu as pris ta voiture ?
Je fronçai les sourcils :
- Oui, pourquoi ?
Il sembla hésiter quelques instants et poursuivit :
- Je ne voudrais pas avoir l'air d'abuser, mais... Tu pourrais me raccompagner chez moi ? J'ai eu du mal à venir en bus et j'ai peur qu'à cette heure-ci le trafic soit déjà interrompu... Et puis, ça nous donnera peut-être l'occasion de boire un dernier verre.
Bien entendu, je savais très bien ce qu'il avait l'intention de faire : je n'étais pas naïve à ce point. La seule question était de savoir si j'allais être assez forte pour lui résister, ou si au contraire je choisirais, cette fois, d'être naïve. Alors, au terme d'une lutte intérieure qui sembla durer des heures, je finis par accepter.
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Dommages collatéraux {réécriture à venir}
Mystère / ThrillerCassidy allait se marier, elle vivait un bonheur que rien au monde n'aurait pu venir entacher. Du moins, c'est ce qu'elle croyait. « Peut-on sombrer dans la folie simplement par amour ? » [Le système des "règles" à chaque chapitre est ins...