Règle numéro trente-trois : une erreur est toujours une leçon.

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Quelques secondes à peine après que Léa ait fermé la porte à clefs, je me sentis déjà très mal.
Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Comment je vais m'en sortir ? Je dois faire disparaître les preuves, je dois me débarrasser du téléphone de Daisy avant que la police n'arrive à avoir une commission rogatoire pour fouiller l'intégralité de ma maison... Et le téléphone de Mathilde ? J'ai gardé le téléphone de Mathilde ! Mais ce n'est pas possible, ce que je peux être cruche, pourquoi est-ce que j'ai fait ça ? Mais à quoi je pensais, bon sang ? Qu'est-ce qui m'est passé par la tête ?
Je piétinai dans tous les sens en essayant de me calmer, mais rien n'y fit. Mes pensées avaient repris un rythme tumultueux, et je n'arrivais pas à m'en débarrasser. Qu'est-ce que je dois faire bon sang, qu'est-ce que je dois faire ? Si je descends maintenant, la police va me suivre et observer les moindres de mes faits et gestes, s'ils me voient rentrer chez moi, ils vont se douter de quelque chose, et si jamais ils décident de m'interpeller avant que je ne puisse faire disparaître les téléphones...
Et mon arme ! Bon sang, j'avais oublié le Beretta ! Il manque une balle dans le chargeur, à tous les coups ils vont penser que c'est la balle qui a servi à tuer Daisy... Non, impossible, puisqu'ils auraient retrouvé un impact de balle dans son appartement... Alors qu'est-ce que je pourrais dire ? Que le flingue ne m'appartient pas ? Qu'il était à mes parents ? Après tout, c'est leur maison, c'est leur coffre-fort, pas le mien, j'en ai juste hérité ! Je ne suis pas censée savoir ce qu'il y a dedans, et si je disais que je n'avais même pas la combinaison ? Que mes parents étaient morts avant même d'avoir pu me la confier ?
Et si je brûlais la maison ? Tout brûler, c'est un excellent moyen de faire disparaître des preuves ça, on nettoie par le feu. Et je pourrais toucher les assurances, allez vivre avec William et lancer ma boîte de stylisme...
William, c'est vrai ! Il faut que je lui parle, absolument, avant qu'il ne soit trop tard. Peut-être que la police l'a déjà appréhendé, c'est sûr qu'ils vont le faire, il avait un lien avec la victime, peut-être même qu'il est considéré comme suspect... Non, c'est impossible qu'ils aient des preuves qui risquent de l'impliquer lui...
Et pour la maison ? Comment je fais pour détruire la maison ? Si par malheur quelqu'un me voit allumer un feu...
Je pourrais le faire cette nuit, c'est bien la nuit, il fait trop sombre pour y voir grand-chose, et les policiers qui sont à mes trousses ne vont pas me surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre, non ? À moins qu'ils ne se relaient...
Oui, c'est sûrement ça, ils vont se relayer : une équipe le jour, une équipe la nuit, et je ne serais jamais tranquille, et peut-être même qu'une patrouille surveille déjà ma maison à l'heure actuelle, attendant simplement que je rentre pour me cueillir...
Et si j'engageais quelqu'un pour se charger du boulot à ma place ? Un des amis de Maël, qui serait toujours près à m'aider, et je dois aller voir Maël aussi parce que...
Je déglutis. Mon cœur battait si vite que j'avais l'impression d'avoir couru un marathon. Ma respiration était de plus en plus haletante et je commençai à manquer d'air.
Calme-toi Cassidy, ou tu vas faire une crise d'angoisse...
J'essayai de respirer normalement et de ralentir mon rythme cardiaque sans y parvenir.
Fumer ? Peut-être que fumer, ça me calmerait un peu. Peut-être que la nicotine atténuera mon stress et ralentira les battements de mon cœur...
Tremblante, je pris une cigarette dans mon paquet et la portai immédiatement à ma bouche avant de sortir sur le balcon adjacent au salon de Léa.
Le soleil me brûla les yeux et la peau, moi qui avait été habituée à l'obscurité et à la fraîcheur de l'intérieur de l'appartement peu de temps auparavant. Je mis quelque temps avant de m'acclimater, et m'assis sur l'une des chaises en bois se trouvant tout à côté de la porte-fenêtre : il fallait que je reste immobile et que j'arrête de gesticuler dans tous les sens.
J'attrapai le briquet et le cendrier posés sur la table, déposai ce dernier à mes pieds, et allumai ma clope après avoir claqué la pastille de menthol.
La première bouffée de nicotine me fit l'effet d'une petite dose de morphine.
Je l'inspirai à fond.
Tout mon corps sembla se ralentir d'un coup, bien que mon cœur ait été encore plein d'angoisse et à un rythme un petit peu trop rapide à mon goût.
Jamais fumer ne m'avait fait autant de bien, quoiqu'il soit paradoxal de dire que fumer puisse faire du bien à son corps.
La chaleur me fatiguait, pourtant je fumai le plus lentement possible, essayant de repousser au maximum le moment où je devrais éteindre définitivement ma cigarette, parce que, à ce moment-là, je serais de nouveau livrée à moi-même, et mes pensées pourront reprendre le dessus.
Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire pour m'en sortir ?
Peut-être qu'ils n'arriveront jamais à prouver qu'il s'agit d'un meurtre ni que je suis la responsable ? Peut-être que je ne prendrais pas beaucoup d'années de prison, si jamais j'en prends, et peut-être qu'il s'agira même d'une peine de prison avec sursis. Après tout, ils n'ont pas de cadavre, donc pas de cadavre : pas de meurtre ; quel juge irait condamner quelqu'un pour meurtre sans la preuve irréfutable que lui apporte un cadavre ? Aucun, j'en suis certaine, on ne condamne pas quelqu'un sans preuve solide.
Et si je me paye un bon avocat ? J'ai de l'argent, après tout, autant qu'il serve à quelque chose... Mais engager un avocat trop talentueux ne serait-il pas le signe que j'ai quelque chose à me reprocher ?
Non enfin, je m'assure juste que quelqu'un de compétent puisse me défendre, comme n'importe quel citoyen lambda y a droit ! Après tout, il y a bien des avocats pour défendre les violeurs d'enfants, les tueurs en série et les terroristes, alors pourquoi pas moi ? C'est la loi, c'est tout.
Je me concentrai de nouveau sur ma cigarette, désormais presque finie. Encore deux dernières lattes jusqu'à atteindre le filtre, et je l'écrasai dans le cendrier se trouvant à mes pieds.
Voilà, c'est fini.
Le flot incessant de mes pensées va pouvoir reprendre son cours, et mes angoisses avec.
C'est alors que je me souvins que Léa avait, quelque part dans un placard de sa cuisine, une boîte de somnifères qu'elle gardait en cas de trop grosses insomnies. Peut-être qu'en prendre un peu suffirait à me calmer, ou même mieux, m'endormirait pour le reste de la journée, jusqu'à ce que ma meilleure amie rentre et m'offre une nouvelle distraction via le biais d'un film, d'une discussion ou d'une série.
Je me dirigeai donc dans la cuisine après avoir refermé la porte-fenêtre du salon et tiré un peu les rideaux.
J'ouvris alors tous les placards et les tiroirs, et fouillai dans les moindres recoins.
Pourvu qu'elle en ait encore..., me dis-je tandis que je sentais mon cœur s'affoler de plus en plus et mon sang battre dans mes tempes. Allez, Léa, tu détestes prendre des médicaments, je suis sûre que tu as encore une boîte entière...
Mon regard s'arrêta alors sur un tube cylindrique blanc et vert avec un nom imprononçable marqué dessus.
- C'est ça !, m'exclamai-je à voix haute malgré moi.
J'attrapai la boîte, refermai le tiroir précipitamment, et lu la posologie ainsi que les effets secondaires : un comprimé avec un grand verre d'eau, le soir juste avant de dormir. Ne pas conduire. Peut entrainer des troubles cardiaques et des troubles de la mémoire.
J'eus un bref mouvement de recul.
Des troubles de la mémoire ? C'était excellent, ça... Si par miracle je ne me souvenais plus d'avoir tué Daisy, je serais encore plus convaincante que je ne l'avais été lors de mon interrogatoire de ce matin !
Je mis le comprimé dans ma bouche et rangeai soigneusement la boîte ou je l'avais trouvée avant d'attraper la bouteille d'eau se trouvant sur la table de la cuisine. J'en bus une grosse gorgée afin de faire passer le cachet plus facilement dans ma gorge, puis je retournai au salon.
Là, je m'allongeai simplement sur la banquette de Léa, sur le dos, croisai mes mains sur mon ventre et fixait le plafond jauni.
Quelques minutes à peine après m'être installée, je tombai de sommeil.

Quand j'ouvris les yeux, j'eus l'impression d'être en plein milieu de la nuit et d'être complètement dans le coltard.
J'avais la bouche pâteuse, les yeux collants, je voyais flou et j'étais en sueur, voire carrément en nage.
Je pris alors conscience qu'il faisait très chaud, trop chaud, et que c'était sûrement cette chaleur intense et insupportable qui m'avait réveillée. Je consultai l'horloge murale après avoir réhabitué mes yeux à y voir clair : elle indiquait dix-huit heures trente. Léa venait de quitter le travail, elle serait là d'un moment à l'autre.
L'idée m'enchanta. J'avais réussi à plutôt bien m'en sortir et à ne pas rester seule trop longtemps, du moins, pas suffisamment pour sombrer sous le flot incessant de mes pensées et idées saugrenues. J'avais toujours en tête de me débarrasser à tout prix des preuves restantes, mais agir sous le coup de l'impulsivité n'aurait fait qu'aggraver mon cas. Je devais réfléchir, me calmer, et trouver une solution qui soit à la fois rapide et efficace.
Ou prier pour qu'une tornade arrive et emporte tout sur son passage.
Je me relevai, m'assis dans le canapé – non sans difficulté – m'étirai et fit craquer ma colonne vertébrale avant de me lever d'un seul coup.
Mauvaise idée.
Ma tête tourna, je manquai de m'évanouir et je dus prendre quelques secondes avant de pouvoir marcher normalement jusqu'à la salle de bain.
Je verrouillai la porte, ôtai immédiatement la combinaison qui m'avait fait office de tenue aujourd'hui, retirai mes sous-vêtements, entrai dans la cabine de douche et me plongeai immédiatement sous un jet d'eau froide.
Le choc thermique me fit frissonner et bondir de quelques centimètres.
Trop froid...
Je réglai la température sur tiède avant de réduire progressivement jusqu'à atteindre une eau gelée. Là, je puis enfin profiter des bénéfices que m'apportait une bonne douche bien froide. Je fermais les yeux, plongeai ma tête sous le pommeau, et tentai de me rafraîchir le cerveau au passage. Si je restais comme ça pendant dix bonnes minutes, ça finirait peut-être par fonctionner, non ?
Au loin, j'entendis la porte d'entrée se déverrouiller et cela me sortit immédiatement de mon état de transe aquatique. Je coupai le robinet et sortis de la cabine, avant de me sécher en vitesse et d'enfiler une serviette se trouvant dans le meuble en dessous du lavabo.
- Cassidy ?, appela Léa au loin.
- Je suis dans la chambre !, lui criai-je tout en entrant dans celle-ci. Je me change.
J'enfilai un short de pyjama vert et un débardeur court aux motifs ethniques : il faisait trop chaud pour réfléchir à mon style. Je retournai ensuite dans la salle de bain, rangeai les serviettes que j'avais utilisées, et débarrassai mes vêtements sales avant de rejoindre Léa dans son salon.
Je trouvai celle-ci exténuée, avachie dans son canapé, la tête renversée en arrière.
- Je n'en peux plus !, lâcha-t-elle. J'ai piétiné toute la journée.
Je pourrais en dire autant..., pensai-je avant d'observer la paire de chaussures posée juste à côté de ses pieds : des escarpins à talons hauts très fins, forts jolis certes, mais complètement inadaptés à une journée de travail.
- Quelle idée de porter des chaussures pareilles, aussi ?, lui fis-je remarquer.
- Écoute Cassidy, on a la classe ou on ne l'a pas., me rétorqua Léa du tac au tac.
Elle rigola, je souris en la regardant avec l'air de dire « tu es incorrigible », et elle se leva en annonçant qu'elle mourrait de faim. Elle ne prit même pas la peine de débarrasser la table basse et réutilisa les couverts dont nous nous étions servis à midi afin de manger le reste de la salade de riz. Je me joignis à elle et lui demandai de me raconter sa journée. Après un soupir, elle se lança dans un long monologue que j'écoutai attentivement afin de n'être concentrée sur rien d'autre que ses paroles.

Dommages collatéraux {réécriture à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant