Règle numéro quatorze : tout garder pour soi.

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Une fois mon milkshake terminé, j'étais tellement repue que je ne pouvais absolument plus rien avaler. Rien que l'idée de voir de la nourriture m'aurait fait vomir, je pense.
- Je vais jeûner pendant trois jours..., annonçai-je à Malorie en me tenant le ventre et en m'affalant dans la banquette.
- C'est ce que tu dis à chaque fois, mais je suis sûre que ce soir tu vas encore manger un truc gras comme... Des frites par exemple.
- Oh oui c'est une bonne idée ça tiens ! Ou alors on commandera pizza...
Je commençais déjà à réfléchir à mon programme de la soirée quand Malorie m'adressa un regard qui signifiait son désespoir vis-à-vis de mon rapport à la nourriture.
Elle se leva, je l'imitai, et nous allâmes au comptoir afin de payer la note.
- C'est moi qui invite., lança Malorie avant que je ne puisse sortir ma carte bleue.
- En quel honneur ?, répondis-je, surprise.
Ma sœur n'avait pas l'habitude de m'inviter au restaurant ou même de me payer des choses en général, à moins que ça n'ait été Noël ou mon anniversaire, ce qui n'était présentement pas le cas.
- On va dire que c'est un moyen de célébrer ton retour avec Will..., dit-elle avec un léger sourire moqueur.
Je n'en croyais pas un mot.
- Non, mais sérieusement ?, insistai-je.
Elle sautilla sur place et sourit de toutes ses dents.
- J'ai eu une promotion !, annonça-t-elle enfin.
- Je me disais aussi...
Elle paya, le serveur nous remercia et nous sortîmes du restaurant.
Je laissai mon corps s'acclimater à la différence de température, qui était plutôt flagrante, tout en enfilant mes lunettes de soleil.
- On va faire du shopping ?, proposa Malorie.
Je me tournai vers elle et lui dis :
- Tu ne peux pas t'en empêcher, n'est-ce pas ?
- Quoi donc ?, fit-elle, l'air étonné.
- Dépenser l'intégralité de ta prime dans les jours qui suivent...
Pour toute réponse, elle me sourit et traversa la route. Je la suivis en levant les yeux au ciel.
Si j'avais tendance à avaler tout ce que je trouvais de comestible et à avoir faim tout le temps, Malorie, elle, était une grande dépensière. Elle ne savait pas ce que signifiait le terme « faire des économies. » Je crois d'ailleurs que c'est un peu pour ça qu'elle m'avait laissé hériter de la maison après le décès de nos parents. Elle n'aurait pas voulu la gérer, ni même essayer de la vendre, au risque de dépenser tout l'argent que lui aurait rapporté cette potentielle vente dans le mois suivant. Peut-être aussi qu'elle n'avait pas envie de s'encombrer d'une telle responsabilité. Elle avait d'autres choses en tête, tout simplement.
- Tu veux aller où ?, lui demandai-je pendant que nous arpentions l'avenue principale du centre-ville.
- Alors... J'ai besoin de chaussures, d'une robe, d'un nouveau blush, et aussi de sous-vêtements..., énuméra-t-elle en comptant sur ses doigts.
- Tu as besoin...
Elle n'avait pas besoin de tout ça au sens propre du terme, bien entendu, mais je la suivis dans son idée.
Moi aussi j'avais bien envie de m'acheter des chaussures, et pourquoi pas des nouveaux sous-vêtements. Ça aurait été l'occasion de faire une surprise à William ce soir.
Nous bifurquâmes dans une ruelle et entrâmes dans la première boutique : un magasin de chaussures.
Malorie essaya une bonne dizaine de paires avant de se décider à pendre la plus chère, bien entendu, tandis que je craquai sur un modèle de nu-pieds compensés de couleur bleu roi.
La prochaine boutique fut celle dans laquelle Malorie espérait trouver une robe.
Au final, elle acheta deux paires de jeans, une mini-jupe, trois t-shirts, mais pas de robe...
Moi, j'en trouvai une très mignonne à la coupe évasée, de couleur blanche et orange, avec des motifs en forme de mandarine sur le jupon. Je cédai, malgré son prix, en me disant qu'elle irait parfaitement avec mes nouveaux escarpins. Après tout, que serait une paire de chaussures sans la tenue qui va avec ?
Malorie m'emmena ensuite dans sa boutique de maquillage préférée.
- Tu n'as pas ta robe..., lui fis-je remarquer.
- Tant pis, je piquerai la tienne. Quand j'arriverai à rentrer dedans.
Elle éclata de rire et je lui répondis qu'il était hors de question que je lui prête mes fringues de toute façon. Quand nous étions enfants, elle passait son temps à me voler mes affaires, plutôt que de me demander gentiment l'autorisation. C'était ma petite vengeance personnelle.
Nous étions à peine arrivées devant la parfumerie que je sentis déjà l'odeur d'une multitude de fragrances mélangées m'envahir les narines. Ma tête tourna face à tant d'informations olfactives, le temps que je m'habitue.
- Juste un blush., ordonnai-je à Malorie en la voyant dévier vers les mascaras.
- Oui oui..., répondit-elle l'air lointain.
Inutile d'insister, elle ne m'écoutait déjà plus, absorbée qu'elle était par tous les produits qui s'étalaient devant elle.
Je m'éloignai de quelques pas pour aller chercher un rouge à lèvres rouge vif et consultai ma montre : quatorze heures quarante. Moi qui voulais rentrer avant William, c'était raté...
Je rejoignis Malorie.
- Tu t'es décidée ?, demandai-je en insistant légèrement.
Il ne fallait pas trois heures pour choisir un blush ou un mascara...
- Encore cinq minutes.
- Je vais t'attendre dehors, j'étouffe ici.
Je payai mon rouge à lèvres et sortis du magasin. Si à l'intérieur c'était le mélange d'odeurs et de produits chimiques qui m'étouffait, à l'extérieur, c'était la chaleur qui était oppressante. Il n'y avait pas un seul souffle de vent et il devait bien faire trente-cinq degrés. Je me nichai dans un petit coin d'ombre près de la façade de la parfumerie, et sortis mon paquet de cigarettes de mon sac. J'en allumai une, rangeai le paquet, et pris mon téléphone pour envoyer un petit SMS à William afin de le prévenir que je ne serais certainement pas rentrée avant lui.
Je venais de finir ma cigarette quand Malorie sortit.
- J'ai seulement pris un blush., annonça-t-elle toute fière en brandissant son petit sac.
- Génial, tu veux une médaille ?, me moquai-je. On y va ?
La boutique de lingerie n'était pas loin, nous y arrivâmes en à peine trois minutes de marche.
J'entrai et observai les femmes autour de moi. Elles étaient toutes très belles, certaines étaient accompagnées par leur mari ou leurs amies. Je les regardai sans les voir quand mes yeux se posèrent sur quelqu'un en particulier.
Elle était de dos, mais je fus instantanément attirée par ses cheveux : blond doré, brillants, soyeux, comme sur ceux de la photo. Ceux de la fameuse « J. »
Mon rythme cardiaque commença à s'accélérer. Ce n'étaient que des cheveux, il était absolument impossible que je retrouve la fille des photos ici et maintenant, dans cette boutique de lingerie.
Je tournai dans le rayon à ma gauche et inspectai les bustiers.
Je ne pouvais pas laisser cette fille me tourmenter de la sorte, surtout que je savais que les photos dataient d'il y a quatre ans et que William ne m'avait jamais parlé d'elle. S'il n'en parlait pas, c'est que ça ne comptait pas.
Je sélectionnai quelques soutiens-gorges et culottes assorties et me dirigeai vers les cabines pour essayer. Je venais à peine de finir d'enfiler le premier ensemble quand Malorie appela à travers le rideau :
- Alors ? Montre !
Je lui ouvris discrètement et elle me rejoignit. Elle me dévisagea, me fit tourner sur moi-même et m'inspecta sous toutes les coutures.
- C'est pas mal, mais...
Elle s'approcha de moi, ajusta les bretelles du soutien-gorge, replaça ma poitrine au passage, se recula et annonça fièrement en frappant dans ses mains :
- Voilà, là c'est mieux !
- Donc je prends lequel ?
Je lui montrai les deux autres ensembles que j'avais apportés. C'était les mêmes, mais dans différentes couleurs : un rouge, et un bleu clair. Celui que je portais actuellement était noir.
Malorie pencha la tête d'un côté et de l'autre, hésitante.
- Le noir est très sexy, mais j'aime aussi beaucoup le rouge... Prends les trois !
- Tu m'aides beaucoup là... Je ne vais pas pouvoir porter les trois ce soir., lui fis-je remarquer.
- De toute façon ça m'étonnerait que tu les gardes longtemps...
Je souris malgré moi. Elle n'avait pas tort.
J'avais bien l'intention de faire plaisir à William de toutes les façons possibles afin qu'il oublie Mathilde, ou J, ou qui que ce soit d'autre.
Je suivis donc les conseils de Malorie et achetai les trois ensembles. Ce soir, je porterai le noir.

Dommages collatéraux {réécriture à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant