Règle numéro trente-sept : la confiance qui est brisée ne peut se réparer.

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« I hear your voice inside my head, like a ghost returning, got you on my mind. Well my eyes are not the same when you're nowhere near me, always on my mind. I try to tell myself that I see you again, try to understand why I still pretend, so I lie awake waiting for the day you'll need me. » Blessthefall.

-        Police, ouvrez !
Ma respiration se coupa et mon cœur se mit à accélérer promptement. Je me tournai vers William, qui s'apprêtait à se lever, et l'arrêtai d'un coup :
-        Qu'est-ce que tu fais ?, lui demandai-je en posant une main sur sa cuisse par réflexe pour l'inviter à se rasseoir.
Il me regarda étonné, comme si j'avais posé la question la plus idiote de toute la création.
-        Ben... Je vais leur ouvrir...
-        Attends !, ordonnai-je. Ce n'est peut-être pas chez nous qu'ils ont toqué, c'était peut-être chez le voisin...
J'avais tenté cette excuse, désespérée. William haussa un sourcil, se leva et se tourna entièrement vers moi. Un tambourinement se fit de nouveau entendre à la porte.
-      Mais enfin, tu vois bien que c'est à ma porte qu'ils frappent. Je vais voir ce qu'ils veulent.
Merde.
Je ne pouvais plus rien faire pour le retenir. Je le regardai s'éloigner dans le couloir qui menait à l'entrée tandis que je restai clouée au canapé, tremblante et incapable de calmer le stress qui s'emparait de tout mon corps.
J'entendis le bruit de la clef qui tourna dans la serrure, le verrou s'ouvrir dans un cliquetis, et la porte grincer légèrement pendant que William la tira vers lui.
Le temps sembla s'être suspendu d'un seul coup. Au loin, j'entendis la voix de Will qui demanda froidement :
-        Bonjour. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?
Sans répondre à sa question, une autre voix qui ne m'était pas familière demanda :
-        William Bertan ?
Will répondit affirmativement, un soupçon d'inquiétude dans sa voix.
-        Nous cherchons Mademoiselle Darsen., annonça le policier.
-        Dans le salon..., indiqua William.
-        Va la chercher., ordonna le flic à quelqu'un, sans doute l'un de ses collègues.
Immédiatement, mue par une force qui m'était inconnue, je me levai d'un bond du canapé, mais mes pieds restèrent cloués au sol et je fus incapable de bouger. De toute façon, qu'aurais-je bien pu faire ? À part tenter de m'enfuir en descendant par le balcon, je n'avais aucune chance de m'en sortir.
Une femme brune et très grande, habillée en uniforme, arriva dans mon champ de vision. J'eus à peine le temps de prononcer le moindre mot qu'elle avait déjà saisi violemment mes deux poignets pour y passer des menottes. Encore le même discours sur l'annonce de mes droits, mais je l'entendis à peine.
À ce moment-là, mon cerveau décrocha.

Je me souvenais juste avoir crié le prénom de William au moment où la policière m'avait emmenée dans l'entrée et fait sortir de l'appartement.
Lui aussi avait été arrêté, et nous avions été installés dans deux voitures différentes qui nous avaient menés tous les deux au commissariat.
Après, j'avais perdu sa trace.
Je m'étais retrouvée dans une pièce sombre et sans fenêtre, éclairée seulement par un néon blanc et froid. On m'avait installée à une chaise inconfortable, devant une grande table en inox gris, seul mobilier de la pièce, et j'avais attendu.
Une caméra de surveillance, braquée dans ma direction, enregistrait le moindre de mes faits et gestes, mais je ne bougeai pas. J'avais l'impression d'être dans un état végétatif, c'était comme si mon esprit était en train de se dissocier de ce qu'il m'arrivait et se repliait dans un coin. J'étais incapable de prononcer le moindre mot, et j'avais froid.
Une porte s'ouvrit dans un bruit sourd, me faisant réagir un quart de seconde, et quelques instants après, un policier, les bras chargés d'une grosse boîte en carton qu'il posa négligemment sur la table, s'installa dans la chaise en face de moi.
Je ne l'avais jamais vu avant, ce n'était donc pas l'un des deux boulets qui me surveillaient jusqu'à maintenant, ni même l'un des flics qui m'avaient arrêtée et interrogée quelques jours plus tôt.
Lui était grand, les épaules carrées ; il semblait avoir une petite quarantaine d'années au vu de son épaisse chevelure noire qui commençait à grisonner par endroits et des petites rides qui se formaient au coin de ses paupières et de ses lèvres. Il leva les yeux vers moi, de grands yeux gris, et je ne pus m'empêcher, ma foi, de le trouver fort séduisant.
Il déposa ensuite sur la table, à l'angle gauche, un petit boîtier qui devait sans doute être un dictaphone destiné à enregistrer notre conversation, et me répéta mes droits.
Je hochai la tête dans un geste las, et il sortit de la boîte des photographies couleur de très bonne qualité qu'il disposa face à moi sur la table. Toutes étaient recouvertes d'un film plastique destiné à les protéger.
En observant plus attentivement, je constatai que la personne sur les photos était Aurélie, ma deuxième victime, prise sous différents angles, allongée dans sa baignoire et recouverte de sang. L'eau du bain avait été vidée, dévoilant ainsi son corps et ses bras mutilés par la lame de rasoir.
Je ne pus m'empêcher de prendre un air à la fois choqué et dégoûté.
-        Vous connaissez cette femme ?, demanda le policier.
-        Je ne suis pas sûre..., répondis-je après un instant.
Bien évidemment, je savais que c'était Aurélie, mais son visage, couvert par quelques mèches de cheveux, était peu facilement reconnaissable sur les clichés.
-        Il s'agit d'Aurélie Malet., annonça l'inspecteur. Sa disparition a été signalée par l'une de ses amies, et plusieurs témoins affirment vous avoir vue sortir de son domicile à la date du quinze août dernier.
-        Quoi ?, fis-je d'une voix lente et pleine d'incompréhension.
Bon sang, je savais que dans ce genre de quartier, il y avait toujours un voisin ou une voisine qui était incapable de se mêler de ses affaires et qui passait ses journées le nez collé à sa fenêtre. C'était sûrement l'un de ces observateurs du dimanche qui m'avaient dénoncée.
Le policer continua sans même faire attention à ma remarque et en m'ignorant complètement.
-        Quand nous nous sommes rendus à son domicile, sa porte n'était pas fermée à clef, et nous l'avons trouvée ainsi.
-        Mais qu'est-ce que j'ai à voir là-dedans ?, demandai-je calmement. Cela ressemble plutôt à un suicide, votre truc.
L'inspecteur posa ses avant-bras sur la table, croisa ses mains entre elles et, toujours en esquivant ma question, me demanda :
-        Aurélie Malet était l'ex-compagne de votre fiancé, Monsieur William Bertan, n'est-ce pas ?
-        Cette histoire remonte au lycée enfin..., me défendis-je tant bien que mal.
Et puis d'abord, comment pouvaient-ils être au courant ?
-        Non seulement vous avez été arrêtée dans le cadre d'une enquête vous liant à la disparition de Daisy Pouget, sa maîtresse, et aujourd'hui vous êtes arrêtée pour le meurtre d'Aurélie Malet qui se trouve être, quant à elle, l'ex-compagne de votre fiancé. Vous ne pensez pas que cela commence à faire un peu trop de coïncidences ?
-        Mais enfin, quel meurtre ?, répondis-je excédée.
Le policier soupira, cligna lentement des yeux et s'enfonça dans sa chaise avant de croiser ses bras contre sa poitrine. Après quelques instants où le silence fut plus que désagréable, il demanda très sérieusement :
-        Combien de temps allez-vous continuer à nier ainsi, Mademoiselle Darsen ?
Mais nier quoi, à la fin ??
Face à mon visage déconfit et mon expression faciale qui ne devait traduire rien d'autre que de l'incompréhension, il poursuivit :
-        Nos experts en informatique et technologies ont analysé le contenu de l'ordinateur de Mademoiselle Malet, et nous avons pu récupérer les images d'un enregistrement vidéo vous montrant distinctement en train de la menacer avec une arme – un Beretta si je ne m'abuse – et de la forcer à boire. Mes collèges ont obtenu une commission rogatoire, et votre domicile est actuellement en train d'être fouillé afin de retrouver cette même arme.
Quoi ?
C'est... Impossible.
Aurélie espèce de petite conne !
C'est donc ça qu'elle trafiquait avec son ordinateur, juste avant que je me sois assise en face d'elle, elle programmait un enregistrement via sa webcam...
Mais j'aurais dû le voir enfin, un petit voyant aurait dû s'allumer, indiquant que la caméra était active, et je l'aurais sûrement repéré ! Je ne me souvenais pas avoir vu le moindre petit voyant lumineux, enfin, je crois... À vrai dire, je n'étais plus sûre de rien en l'instant actuel.
Je laissai mon instinct reprendre le dessus et sortir de ma bouche les seuls mots qui lui semblèrent les plus appropriés à la situation :
-        Je veux parler à un avocat.

N'ayant pas d'avocat attitré, il m'en fut commis un d'office.
Peu importe, tant que je pouvais être tirée de cette situation improbable. De plus, je n'avais absolument aucune idée d'où se trouvait William et de ce que les flics avaient pu lui infliger. J'étais inquiète, je voulais le voir et savoir ce qu'il se passait de son côté.
On m'avait fait signer des papiers que j'avais à peine lus et placée dans une cellule isolée. Environ une heure plus tard, l'avocat était là.
Je fus autorisée à m'entretenir avec lui dans une petite pièce adjacente à la salle d'interrogatoire où il m'attendait.
En le voyant, je fus plutôt surprise.
Il n'avait absolument pas la tête d'un avocat, si je n'avais pas su que c'en était un, je l'aurais plutôt jugé artiste, ou un métier dans ce goût-là. Il avait l'air assez jeune, environ une petite trentaine d'années je dirais. Il était plutôt chétif et portait une barbe rousse très fournie, en revanche, ses cheveux, roux eux aussi, commençaient à se dégarnir sur le haut de son crâne et autour de son front, et il portait de petites lunettes à monture rectangulaire qui encadraient ses deux yeux bruns et lui donnaient un air un peu vieillot. Quand il me vit arriver dans la pièce, il afficha un petit sourire qui se noya dans sa barbe foisonnante et me tendit la main.
-        Mademoiselle Darsen ?, demanda-t-il.
J'affirmai en serrant sa main, et il se présenta :
-      Maître Beaujardin, je serai chargé d'assurer votre défense sur cette affaire. J'ai pu étudier un peu votre dossier, nous allons en discuter ensemble, d'accord ?
Je hochai la tête et nous nous installâmes tous deux à une table.
Sans passer par quatre chemins, Monsieur – Maître, pardon – Beaujardin m'annonça en grinçant légèrement des dents :
-        Au vu des preuves qui ont été rassemblées contre vous, je ne vais pas vous cacher que cette affaire risque d'être compliquée. À mon avis, vous feriez mieux de plaider directement coupable, afin d'obtenir, s'il se peut, une peine plus clémente.
Pardon ?!
Je faillis m'étouffer en avalant ma propre salive, et toussotai.
Plaider coupable ? C'était ça, sa solution ? Mais qu'est-ce que c'était que cet avocat à la con, enfin ?!
« Vous feriez mieux de plaider coupable », bah voyons ! Et en échange je peux avoir une cellule individuelle avec vue sur mer ? Et l'écran plat et le home cinéma s'il vous plaît ? Je m'emportai :
-        Mais je n'ai tué personne, enfin !
-        Écoutez..., commença-t-il, hésitant. Il y a un enregistrement vidéo vous montrant en train de...
-        Je sais ce que montre cet enregistrement !, coupai-je agacée. Mais je ne l'ai pas tuée, je voulais seulement la menacer, lui faire un peu peur. Je ne pensais pas que... Je ne pensais pas que ça pourrait aller plus loin et qu'elle mettrait fin à ses jours !
-        Vous oubliez la lettre., répondit simplement et calmement mon avocat.
-        Quelle lettre ?, fis-je en fronçant les sourcils.
-        La lettre de suicide qui a été retrouvée chez elle, sur son bureau. Il semblerait que ce soit vous qui l'avez forcée à l'écrire, en tout cas c'est ce que nous pouvons voir sur les images de l'enregistrement vidéo.
Merde...
Bon sang la lettre, je l'avais complètement oubliée.
-        Mais pas du tout !, tentai-je. Je ne l'ai pas forcée à écrire une lettre de suicide, je voulais qu'elle écrive une lettre d'excuses ! Quelqu'un a essayé de me piéger, je ne vois pas d'autre solution !
J'aurais dû agir plus méticuleusement. J'aurais dû ouvrir les vannes de gaz, placer une bougie à proximité et prier pour que tout explose, ce qui aurait réduit non seulement son foutu corps en cendres, mais également son matériel informatique à la con. Pourquoi je n'y avais pas pensé plus tôt, enfin ?
L'avocat sembla réfléchir. Il fit un long « hum » de réflexion, et gratta sa barbe rousse. C'est alors qu'un policier entra dans la pièce et nous annonça que notre entretien était à présent terminé. Nous devions désormais retourner en salle d'interrogatoire, afin que celui-ci soit prolongé.
Juste avant que nous entrâmes dans la pièce, mon avocat incompétent me conseilla de ne pas dire un mot et de le laisser répondre aux questions à ma place. J'approuvai d'un hochement de tête, et croisai les doigts pour qu'il parvienne à me défendre mieux que ce qu'il avait laissé entendre lors de notre entretien préalable.
Nous nous assîmes en face de l'inspecteur, le même qui avait commencé le début de mon interrogatoire, et les questions commencèrent immédiatement à fuser.
Je n'eus jamais le temps de répondre, même spontanément, à quoi que ce soit. Maître Beaujardin était trop rapide pour cela. Je devais bien admettre qu'il était plus doué que ce que j'avais cru, et qu'il arrivait à trouver des failles dans les preuves qui m'avaient semblé les plus crédibles contre ma personne.
Malgré tout, et malgré son intervention qui visait à expliquer que les preuves contre moi étaient insuffisantes et seulement à valeur théorique, je fus placée en détention provisoire.

Dommages collatéraux {réécriture à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant