Règle numéro vingt-cinq : on ne contrôle pas l'incontrôlable.

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En entendant la présentatrice prononcer ces mots dans le poste de télévision, je me stoppai net, mon sang ne fit qu'un tour, mon cœur cessa de battre et j'arrêtai instantanément de respirer.
Disparue ? Comment ça, disparue ? J'avais pourtant tout mis en œuvre pour que... à quel moment Léa et moi avions-nous bien pu échouer ? Se pouvait-il que les policiers aient découvert le pot aux roses ?
Un sentiment de panique vint envahir tout mon être, et je manquai de lâcher l'assiette de pâtes et les fourchettes que je tenais actuellement dans mes mains. J'inspirai à fond et tentai de me calmer : tout ira bien, on avait fait disparaître toutes les preuves qui auraient pu nous incriminer, je ne vois vraiment pas ce que les enquêteurs pouvaient trouver qui relie cette idiote de Daisy à Léa ou à moi...
Je pris une nouvelle inspiration, et avançai alors l'air de rien jusqu'à la banquette, puis déposai l'assiette de William ainsi que nos fourchettes sur la table basse, juste devant lui.
- Qu'est-ce qu'ils racontent aux infos ?, demandai-je d'un air innocent.
- N'importe quoi., répondit-il. Ils disent que Daisy a disparu.
- Quoi ?, fis-je en grimaçant.
Il attaqua son plat de pâtes et, la bouche encore à moitié pleine, s'exclama en balançant son bras comme pour me montrer l'écran de la télévision :
- Elle n'a pas disparu, elle est juste partie vivre à l'étranger !
- Il faut que tu leur dises alors. Histoire que la police ne cherche pas pour rien...
- Pas question, c'est à eux de faire leur boulot, non ?
Il prit une nouvelle bouchée de spaghetti sans même prendre le temps de finir la première. J'essayai de me concentrer sur le sujet du JT, mais ils étaient déjà passés à autre chose, visiblement. Pas moyen de savoir s'ils avaient déjà des suspects, ou même comment ils avaient pu en arriver à une conclusion pareille, alors que j'avais si bien tout organisé...
J'étais tellement concentrée que je ne remarquai pas que William avait levé la tête vers moi et me fixait d'un air perplexe.
- Tu ne manges pas ?, interrogea-t-il.
- Si., répondis-je en secouant la tête pour sortir de mes pensées. Je vais me changer d'abord. Je ferais réchauffer.
J'avais surtout besoin d'un prétexte pour m'éloigner le plus vite possible du salon. Je passai donc par l'entrée, attrapai ma pochette posée sur la console, et m'enfermai dans la chambre de William. Je sortis ensuite mon téléphone de mon sac et composai immédiatement le numéro de Léa, mais celle-ci me devança en m'appelant la première.
Je décrochai instantanément en voyant son nom s'afficher sur mon écran.
- Léa..., commençai-je en chuchotant.
- T'as vu les infos ?, demanda celle-ci sans même me laisser le temps de finir.
- Oui.
- Qu'est-ce qu'on fait ?
- On devrait en parler, mais surtout pas par téléphone ni par SMS. On peut se voir aujourd'hui ?
Un silence s'installa, je pense qu'elle devait être en train de fouiller dans son agenda afin de vérifier ses disponibilités, et elle finit par me dire après quelques secondes :
- Quinze heures chez moi ?
- Quinze heures chez toi., répétai-je. À tout à l'heure.
Je raccrochai ensuite mon téléphone, le balançai sur le lit, et constatai que j'étais toute tremblante. Cette réaction était vraiment stupide, je n'avais aucune raison de m'inquiéter, absolument aucune.
J'attrapai donc, le plus calmement possible, des vêtements se trouvant dans mon sac : un pantalon en toile, vert, et une chemise à manches courtes blanc cassé, ainsi que des sous-vêtements. Puis je partis dans la salle de bain afin de prendre ma douche.
Je verrouillai la porte à la clef, des fois que William aurait la brillante idée de vouloir me rejoindre, posai mes vêtements propres sur un rebord de l'étagère en bois se trouvant à côté du lavabo, et me déshabillai en quatrième vitesse. J'entrai ensuite instantanément dans la baignoire et laissai l'eau tiède couler le long de mon corps et sur mes cheveux.
Je fermai les yeux, et massai mes tempes et mon front du bout de mes doigts.
Relativise Cassie, relativise..., me répétai-je à moi même.
J'essayai de réfléchir à ce que j'avais bien pu oublier comme preuve, quelque chose qui aurait pu mettre les policiers sur la voie d'une disparition, et c'est là que je me souvins que j'avais encore les affaires de Daisy chez moi, rangées bien en évidence dans le placard de ma chambre, entre deux valises et trois jeans...
Pour ce qui était du téléphone et de l'ordinateur portable, il n'y avait absolument aucun risque que quelqu'un mette la main dessus, puisqu'ils étaient parfaitement cachés dans mon coffre-fort, mais en ce qui concerne le reste de ses affaires... Je devais absolument les faire disparaître coûte que coûte. Mais avant ça, je devais avoir une sérieuse discussion avec Léa.
Je coupai l'eau, attrapai le gel douche de William ainsi que son shampoing, me lavai en cinq minutes à peine, me rinçai et sortis enfin de la baignoire.
J'attrapai ensuite une serviette de bain au hasard, me séchai rapidement, essorai mes cheveux, les peignai, et enfilai mes vêtements à la va-vite. Je crois bien que cette douche avait été la plus rapide de toute mon existence.
Avant de retourner dans le salon, je passai par la chambre afin d'y prendre mon téléphone et mon paquet de clopes. En ces circonstances, je pense qu'une cigarette serait la bienvenue pour m'aider à me détendre.
- Tu as fait vite, je n'ai même pas fini de manger., remarqua William, surpris, en me voyant entrer dans la pièce.
Bien entendu, il avait l'habitude que je passe plutôt des heures à me pomponner dans sa salle de bain, mais aujourd'hui, la situation n'était vraiment pas propice à ce genre de choses futiles.
- Oui., répondis-je simplement. Au fait chéri, j'ai complètement oublié, mais je dois voir Léa aujourd'hui à quinze heures, ça ne te dérange pas ?
Il haussa les épaules en pouffant.
- Nan, je vais dormir je crois, je suis crevé de toute façon. Le canapé, ce n'est pas très confortable...
Je voulais bien le croire, surtout après avoir dormir dessus, bien que j'ai été couchée sur Will, pendant à peu près deux heures ce matin. Il n'y avait pas de place, pas moyen de s'étaler, et les coussins étaient tout de même relativement durs. Rien de comparable au confortable matelas à mémoire de forme du lit de William.
J'acquiesçai donc d'un signe de tête, et ouvris la baie vitrée de la terrasse avant de sortir une cigarette et mon briquet de mon paquet de Lucky Strike.
- Qu'est-ce que tu fais ?, demanda William d'un air incrédule.
- Je vais fumer.
- Ah bon., fit-il en haussant les sourcils. OK, va fumer alors.
Je sortis sur le balcon, fermai la fenêtre derrière moi afin que la fumée et l'odeur de cigarette ne rentrent pas dans l'appartement, et m'installai sur l'une des chaises en plastique, déjà brûlante, se trouvant autour de la table de la terrasse. J'attrapai un vieux cendrier de fortune fait à partir d'un verre et allumai enfin ma cigarette avant de claquer la bille de menthol du filtre de cette dernière.
Je pris soin de bien laisser la nicotine et la fumée envahir tous mes poumons, avant de la recracher en me répétant mentalement que je ne devais surtout pas m'inquiéter.
Mais inconsciemment, je ne pouvais pas m'empêcher de paniquer, et de profiter de ce moment comme s'il devait être le dernier que je passais en liberté.
Je fermai les yeux, et laissai les rayons du soleil imprégner leur douce chaleur sur ma peau, je profitai du goût de ma clope et de ses effets, que je savais pourtant néfastes depuis des années, s'installer dans chaque parcelle de mon corps, tout cela comme si ce devait être la dernière fois. On n'avait sans doute pas le droit de fumer, en prison...
Je rouvris les yeux d'un seul coup. Mais arrête de penser à la prison, bordel !, m'ordonnai-je à moi-même. Personne ne peut te relier à cette connasse, personne !
Je finis ma cigarette à contrecœur, j'aurais voulu qu'elle ne s'éteigne jamais, et l'écrasai dans le cendrier avant de venir remettre à sa place.
J'inspirai encore une dernière fois l'air du dehors, l'air de la liberté, et rentrai rejoindre l'homme que j'aimais dans notre salon.

J'avais fini de manger mes spaghettis en compagnie de William, bien que je n'aie pas eu très faim face à l'annonce de cette nouvelle si peu plaisante. Savoir que j'allais pouvoir en discuter avec Léa me rassurait, et j'étais bien contente de ne pas être seule dans cette galère, mais j'aurais tout de même voulu lui épargner tout ceci, si j'avais pu.
Vers quatorze heures trente, après que William soit allé se coucher dans son lit et se soit endormi comme une masse sous mon regard bienveillant, j'étais sortie discrètement de l'appartement et étais partie rejoindre ma voiture afin de me rendre le plus tôt possible chez Léa.
J'étais arrivée chez elle un peu avant quinze heures, avais garé ma voiture dans la rue en bas de chez elle, non sans difficultées car j'avais eu du mal à trouver une place libre, et j'étais simplement montée jusqu'à son appartement.
Elle m'ouvrit la porte et m'invita à entrer en jetant un regard furtif de chaque côté du couloir, avant de refermer à clef derrière moi.
- Je croyais que t'avais tout réglé Cassidy !, s'exclama-t-elle alors sur un ton de reproches.
- Mais c'est ce que j'ai fait ! J'ai envoyé des SMS à ses amis et à sa famille pour dire que je, enfin qu'elle, était partie à l'étranger et que tout allait bien.
- Alors pourquoi est-ce qu'elle se retrouve portée disparue, tout d'un coup, tu m'expliques ?
- Je ne sais pas..., répondis-je d'un air peiné.
Elle se calma quelques secondes, inspira en croisant ses bras contre sa poitrine et me demanda :
- Bon... Je te sers quelque chose à boire ?
- Un café s'il te plaît.
Elle grimaça, perplexe.
- Tu ne préfères pas plutôt une infusion, histoire de te détendre ?
- Léa...
- OK, va pour le café, mais je te le fais décaféiné alors.
J'acquiesçai d'un hochement de tête. Décaféiné ou pas, le goût serait le même de toute façon, et je me fichais pas mal d'avoir les effets de la caféine ou non, c'était le cadet de mes soucis.
Nous entrâmes donc dans la cuisine, Léa entreprit de faire chauffer de l'eau pour elle et d'allumer la machine à café dont elle ne se servait presque jamais pour moi. Elle y inséra une capsule, plaça un grand mug en dessous du bec verseur, et appuya sur le bouton de mise en route. Aussitôt l'appareil se mit à faire le bruit affreux et assourdissant typique des machines à café, une espèce de vrombissement très désagréable qui cassait les oreilles dès le matin... Seule l'odeur qui en découlait, l'odeur du café chaud, était agréable.
Une fois ma boisson prête, Léa arrêta la machine et me tendit la tasse bouillante que j'attrapai à deux mains. Elle ne me proposa pas de sucre, elle savait que je n'en prenais jamais, et servit à son tour l'eau frémissante dans un mug, avant d'y ajouter un sachet de thé à la bergamote.
Elle s'installa ensuite à table, je l'imitai, me plaçant en face d'elle en soufflant sur mon café afin de le refroidir un peu. Léa, elle, but directement une gorgée sans prendre la peine de tenter de refroidir son breuvage avant de le boire.
- T'es folle ? Tu vas te brûler !, fis-je remarquer.
- Mais non, t'inquiètes., répondit-elle après avoir avalé sa gorgée. J'ai l'habitude.
Je me tus. Après tout, elle savait ce qu'elle faisait.
Un silence s'installa pendant quelques secondes entre nous deux, sans doute à cause de cette situation relativement gênante. Je m'en voulais vraiment d'avoir embarqué Léa là-dedans, mais d'un autre côté, si elle n'avait pas été là, je ne sais pas où j'en serais à l'heure actuelle, et je n'aurais personne à qui confier mes craintes, ni personne pour me couvrir en cas de besoin...
- Sinon..., commençai-je. Aux infos ils ont parlé d'une disparition... Pas d'un meurtre... C'est plutôt rassurant pour nous.
- Rassurant ? Si on veut, oui.
Le ton de Léa semblait colérique, et je ne savais vraiment pas comment réagir face à cela. Je me sentais vraiment mal par rapport à elle, je ne voulais pas qu'il lui arrive quoi que ce soit à cause d'une chose que j'avais pu faire dans le passé et pour laquelle elle n'était pas responsable. Tout ça, c'était de ma faute et uniquement de la mienne.
- Léa je... J'assumerais mes actes si vraiment on doit en arriver là...
- Tu as l'intention d'aller te dénoncer ?, demanda-t-elle, incrédule.
Je me braquai et reculai d'un coup.
- Non ! Bien sûr que non., m'exclamai-je. Mais si jamais la police remonte jusqu'à moi, je ferais en sorte qu'il ne t'arrive rien de grave.
Elle se pinça la lèvre inférieure et secoua la tête.
- Ne t'en fais pas pour moi, Cassidy. C'est pour toi que je m'inquiète.
- Pourquoi ?, répondis-je en fronçant les sourcils.
Elle prit une profonde inspiration, me regarda droit dans les yeux et annonça :
- Si tu veux mon avis, tu devrais te barrer vite fait Cassie. Partir à l'étranger quelques jours, voire quelques semaines, le temps que tout ça se tasse. De toute façon puisqu'ils n'ont pas de cadavre, ils lâcheront vite l'affaire, je pense. Donc pars le plus vite possible, avant qu'il ne soit trop tard...

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