Règle numéro vingt-six : ne pas s'attacher.

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- Partir, d'accord, mais pour aller où ?
L'idée de Léa était loin d'être bête. M'en aller loin d'ici et attendre quelques semaines que l'affaire se tasse s'avérait être une bonne solution. Encore fallait-il pouvoir partir à l'étranger et avoir une destination bien précise en tête...
- Je ne sais pas, le Canada par exemple..., continua Léa.
- Le Canada ? C'est plutôt loin...
- Justement. Tu crois que les flics iront te chercher là-bas ?
- Et pour toi ?, demandai-je.
- Ne t'en fais pas pour moi, je t'ai déjà dit...
Je regardai Léa tout en buvant une gorgée de mon café décaféiné. C'était incroyable de voir à quel point je pouvais compter sur elle. En fait, dans le fond, Léa avait toujours été ma seule famille, avant que je ne rencontre William, bien entendu. Mes parents et ma grande sœur n'avaient jamais été vraiment là pour moi, ils étaient trop occupés avec leur travail, et ma sœur et moi étions trop différentes et trop éloignées, malgré notre petite différence d'âge de deux ans. Je m'étais toujours sentie très seule et un peu rejetée, et cela avait duré toute mon enfance et mon adolescence. Heureusement que Maël était là pour me redonner foi en la famille, c'était bien l'une des seules personnes avec qui j'avais un lien sanguin qui prenait réellement soin de moi ; et puis il y avait Léa.
Nous étions devenues amies en primaire, alors que j'étais âgée de huit ans et elle de neuf, je crois, et cela avait été un véritable coup de foudre amical. On ne s'était plus quittées d'une semelle, et nous n'avions jamais eu de disputes notoires qui auraient pu risquer de venir briser notre amitié. J'avais trouvé en Léa une nouvelle sœur, celle que je n'avais jamais eue.
- Je peux rester dormir ici ?, lui demandai-je alors d'une toute petite voix.
J'avais très envie de retrouver William et de me blottir dans ses bras, bien entendu, mais j'avais aussi un grand besoin, et particulièrement en cet instant, de passer du temps seule avec Léa, de discuter avec elle, de manger des chips et des bonbons à s'en faire exploser la panse, de regarder une série à l'eau de rose jusqu'à pas d'heure et surtout, surtout : de rire. J'en avais besoin, au risque d'imploser si je ne le faisais pas.
- Bien sûr. Je te passerai des fringues pour te changer., annonça-t-elle d'une voix enjouée.
Je la remerciai en lui adressant un sourire et un regard pleins de gratitude et de douceur.

Après que Léa eut fini de boire son thé et moi mon café, nous avions décidé de décongeler deux pizzas que Léa gardait dans son congélateur depuis bientôt trois mois.
Il était, certes, assez tôt pour manger maintenant, mais j'estimais qu'il n'y avait pas d'heure pour la pizza. Alors, elle décongela nos préférées : pepperoni, jambon et champignons pour elle, et saumon à la crème pour moi.
À vrai dire, j'aimais toutes les sortes de pizza, presque toutes, mais celle au saumon faisait décidément partie de mon top cinq, et cela ne changera sûrement jamais...
- On mange devant un film ?, demandai-je pendant que Léa sortit la première pizza, la mienne, de son petit four.
- Oui, si tu veux. Au fait., enchaina-t-elle directement. Et ce James qu'on croyait que c'était un mec alors que c'était une fille... Tu ne m'as pas raconté !
Je soupirais, je l'avais presque oubliée, celle-là... Léa enfourna sa pizza au pepperoni pour dix autres minutes de cuisson, et je commençai :
- Tu te souviens des photos de la fille que j'avais trouvées sur l'ordinateur de William ?
- Parfaitement bien.
J'avais raconté ma découverte informatique à Léa, j'estimais que c'était la seule qui était en mesure de comprendre, et la seule à qui je pouvais réellement me confier. Nous n'en avions pas discuté plus que ça, mais il était temps que je lui annonce que la fameuse fille des photos n'était autre que James.
- Figure-toi que c'est elle.
Léa me regarda avec des yeux ronds et des sourcils en accent circonflexe.
- Attends... Tu veux me dire que... La fille des photos, c'est James ? James est la fille des photos ?
- Tout à fait.
Léa tourna la tête pour fixer un meuble de sa cuisine au hasard, ouvrit encore plus grand les yeux et lâcha un « oh », puis encore un autre après quelques secondes, mais plus appuyé et plus long que le précédent. Elle finit par remettre sa tête droite dans ma direction, me fixa, et demanda :
- Elle est sympa au moins ?
- Très. Et justement, ça m'énerve.
- Mais du coup..., interrogea Léa en fronçant les sourcils. C'est l'ex de William ?
J'acquiesçai et lui racontai toute l'histoire, du moins celle que m'avait dépeinte James, puisque je n'avais pas la version de mon fiancé. Léa hocha la tête au fur et à mesure de mon récit, elle plaça de temps en temps des petits « hum » et, quand j'eus fini, elle me demanda simplement :
- Tu as peur ?
Peur, c'était ça. Peur que James retourne vers William, ou l'inverse, même si j'estimais qu'il y avait peu de chance pour que cela se produise...
- Oui., répondis-je simplement à Léa. D'ailleurs, il faut que je lui envoie un SMS pour le prévenir que je reste chez toi.
- Je te laisse faire, je vais aller préparer notre lit pendant ce temps., annonça Léa en me souriant chaleureusement. Quand le four sonnera, tu pourras sortir la pizza s'il te plaît ?
- Non, je vais la laisser cramer., répondis ironiquement avant de sortir mon téléphone de ma poche.
Léa s'éclipsa dans la chambre et je composai mon message à l'adresse de William :
« Coucou mon chéri, je reste dormir chez Léa ce soir, j'espère que tu n'y vois pas d'inconvénients. Bisous, passe une bonne soirée, je t'aime. »
Je rangeai mon téléphone et en à peine une minute, je reçus sa réponse :
« D'accord tu préviens au dernier moment, normal... »
Je soupirai en tapant :
« Désolé, je n'avais pas prévu. »
« OK fais comme tu veux. Bonne nuit. » répondit-il à peine quelques secondes après l'envoi de ma réponse.
Je verrouillai mon téléphone et le glissai à nouveau dans ma poche. Mieux valait laisser couler quand William était de cette humeur-là. Je ne comprenais d'ailleurs pas pourquoi il se mettait dans un état pareil. Parce qu'il n'aimait pas Léa ? Parce que je l'avais prévenu au dernier moment ? Parce qu'il aurait préféré que je passe la soirée avec lui... ? Pour calmer les choses, je renvoyai tout de même :
« J'aurais une surprise pour toi demain, quand je rentrerai... »
« Quel genre de surprise ? », demanda-t-il.
Visiblement, j'avais piqué sa curiosité. Je voulais amener la chose d'une manière assez subtile et qui n'éveille pas les soupçons, alors je répondis :
« Tu verras demain. »
Je mis mon téléphone sur silencieux et le rangeai une dernière fois dans ma poche. À ce moment-là, le four sonna.

Dommages collatéraux {réécriture à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant