Règle numéro trente-et-un : tout est lié.

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- C'est impossible..., chuchotai-je pour moi-même. Ça ne peut pas...
Je relevai mes yeux vers le policier, tentant de voir dans son visage ou dans son regard une explication. Peut-être qu'il mentait, peut-être était-ce juste là un moyen de me déstabiliser, de me faire sortir de mes gonds et de me faire m'exclamer que j'étais bien contente d'avoir tuée cette foutue connasse, mais je ne décelai rien. Aucun moyen de savoir s'il bluffait ou non, il ne bougea pas un cil.
Au lieu de ça, il désigna du menton l'enveloppe qu'il avait posée devant moi quelques minutes plus tôt.
- Ouvrez-là., m'ordonna-t-il. Ce sont les résultats de ses analyses sanguines.
D'une main tremblante, je m'emparai de ladite enveloppe et l'ouvris délicatement. Le rabat se décolla facilement, indiquant qu'elle avait sans doute été déjà ouverte auparavant, sûrement par les enquêteurs ou par Daisy elle-même.
J'en sortis un papier que je dépliai et tentai de déchiffrer : une succession de chiffres, de lettres et de termes médicaux que je ne comprenais pas s'étala sous mes yeux.
- Je n'y connais rien..., maugréai-je.
Un petit papier sur lequel aurait été écrit la phrase « surprise, vous êtes enceinte ! » serait plus facile à déchiffrer. Le flic pointa du doigt le bas de la feuille.
- Regardez son taux d'HCG., ordonna-t-il. N'importe quel médecin vous dira qu'il correspond à un taux indiquant une grossesse.
Je tentai de déchiffrer les lettres et les chiffres qui s'étalaient devant mes yeux, mais tout ce que je lus fut :
HCG > 60 000 UI/L : test positif.
- Vous voyez ?, insista Monsieur Calvitie.
Effectivement, je voyais. Je voyais une succession de caractères incompréhensibles, et, n'étant pas médecin et n'ayant jamais été moi-même enceinte, je n'avais aucun moyen de savoir si ce qu'affirmait ce policier était véridique. À mon sens, Daisy ne pouvait pas être enceinte. Pas de William en tout cas. C'était forcément un moyen de me déstabiliser, une technique de torture psychologique pour me faire avouer l'inavouable contre mon plein gré.
- Elle était enceinte d'environ cinq semaines, les tests ont été faits le 1er Août., affirma le policier avant de m'achever en me demandant : Cela correspond-il au moment ou votre compagnon a eu une liaison avec elle ?
- Quoi ? Qu'est-ce que vous voulez dire ?, m'emportai-je. William n'a jamais couché avec cette fille, il me l'a affirmé !
- Est-ce que vous essayez de le protéger ?, enchaina-t-il.
- Pardon ?
- Votre fiancé a très bien pu apprendre la grossesse de Mademoiselle Pouget, et n'ayant pas les moyens d'assumer, il a tenté de la faire taire ou disparaître par un moyen ou un autre...
- C'est n'importe quoi, vous êtes à côté de la plaque !
Je m'énervai tellement que je crus que j'allais bondir de ma chaise et balancer toutes les soi-disant preuves qui se trouvaient sur le bureau, y compris l'ordinateur du siècle dernier que j'aurais jeté à la figure de la policière qui, quand elle ne prenait pas note de ce que je disais, me fixait avec des yeux globuleux et son air constamment étonné provoqué par ses cheveux trop tirés dans cet affreux chignon.
Cela dit, me comporter de la sorte n'aurait pas arrangé ma situation, loin de là. Aussi je tentai de respirer un grand coup et de calmer mon volcan intérieur qui était sur le point d'entrer dans l'éruption la plus violente que j'avais connue.
- Écoutez., commençai-je calmement. Je vais vous dire ce qu'il s'est passé : mon mari... Mon fiancé a eu, à quelques semaines du mariage, une sorte d'angoisse qui s'est manifestée, et qu'il a tenté de réfréner en s'oubliant dans les bras d'une autre femme avec qui il a entretenu une brève relation amoureuse. Cela n'avait rien de sérieux et c'était provisoire, ce sont des choses qui arrivent. Tous les couples ont des faiblesses, là était la notre. Aujourd'hui, et depuis déjà quelques mois, mon fiancé et moi sommes de nouveau ensemble, étant donné que, d'après ce qu'il m'a raconté, Daisy l'a quitté sans lui fournir d'explications précises, mais si vous voulez mon avis, il serait tout de même retourné vers moi un jour où l'autre, même si elle n'avait pas rompu la première. Depuis leur rupture, il n'a, d'après ce que je sais, plus aucune nouvelle d'elle, et vous imaginez bien que cette fille et moi n'entretenions pas des liens qui peuvent être qualifiés d'amicaux, donc je n'en ai pas non plus. Alors encore une fois, je le répète, je ne vois pas ce que j'ai à faire avec toute cette histoire de disparition, ou de meurtre, ou de je ne sais quoi encore. Et je ne peux malheureusement pas vous aider dans votre enquête.
Le flic à la calvitie bien entamée tourna le regard vers sa collègue, qui était visiblement débordée devant le flux de mots que je lui avais imposé d'écrire en si peu de temps. En se concentrant bien, on pouvait même voir quelques petites gouttes de sueur perler sur son front.
Une fois qu'elle eut fini de tout retranscrire, Monsieur Calvitie inspira profondément, se pencha vers moi, et m'asséna un dernier coup de poing verbal :
- Nous avons géolocalisé le Smartphone de Mademoiselle Pouget, et il se trouve qu'il indique votre adresse. Avouez que c'est un hasard plutôt troublant...
Je dus encaisser la remarque en tentant de ne pas défaillir et de rester impassible, mais mon cœur avait lâché et mon cerveau s'était mis à bouillir et exploser dans ma boîte crânienne. Toutes mes fonctions vitales avaient cessé de fonctionner d'un coup sous l'impact du choc.
Le téléphone putain.
Comment j'ai pu être aussi conne ?
Pourquoi je ne m'en étais pas débarrassé tout de suite après m'en être servi pour faire croire à son entourage qu'elle était partie vivre une nouvelle vie ? Mais comment peut-on être aussi bête...
Malgré tout, je tentai de rassembler le peu de forces qu'il me restait et répondis sans broncher :
- C'est impossible, je ne vois pas comment son téléphone aurait pu se retrouver chez moi. Vos systèmes de géolocalisation sont visiblement obsolètes...
Monsieur Calvitie ricana avant de répondre :
- Je vous assure que nos systèmes informatiques sont très fiables et très modernes.
- Vraiment ?, fis-je en haussant les sourcils et en déviant mon regard vers l'ordinateur qui était actuellement utilisé par sa collègue.
- Croyez-moi Mademoiselle Darsen, il n'y a aucune erreur possible.
- Bien., soupirai-je. Toujours est-il que, en admettant que ce téléphone se trouve bel et bien chez moi – ce dont je doute – il s'agit là d'une preuve circonstancielle, sortie complètement de son contexte. Un téléphone en lui-même ne suffit pas à faire le lien entre moi et un quelconque crime.
- Je vois que vous êtes bien renseignée sur le sujet., répondit l'inspecteur après un bref silence.
- J'adore les thrillers., affirmai-je du tac au tac.
Il se tourna ensuite vers sa collègue et lui demanda si elle avait bien tout noté de A à Z. Cette dernière hocha frénétiquement la tête en répondant plusieurs fois « oui », visiblement ravie de savoir que tout ceci semblait être terminé. Le dégarni consulta ensuite sa montre et affirma dans un soupir presque déçu :
- Bien. Mademoiselle Darsen, votre garde à vue est à présent terminée. Au vu des preuves que nous possédons pour l'instant, nous ne pouvons pas affirmer de manière certaine votre implication dans ce crime. Votre garde à vue n'est donc pas prolongée. En revanche, vous serez placée sous surveillance judiciaire jusqu'à nouvel ordre.
Je hochai la tête et il pointa un doigt vers moi avant de poursuivre d'un ton beaucoup plus menaçant :
- Mais croyez-moi Mademoiselle, dès qu'une autorisation de perquisition nous sera délivrée et que nous aurons, mes collègues et moi-même, fouillé votre domicile, on viendra vous cueillir avec la preuve la plus fiable et la plus recevable possible, car j'en suis convaincu, vous êtes impliquée dans cette affaire. Vous avez quelque chose à cacher, je le sens !
Je feignis l'impassibilité tandis que mon corps entier était en état de choc devant ce discours prononcé à mon égard.
Il était en train de me faire des menaces ou j'ai rêvé ? Mais qu'est-ce que c'est que ce flic à la con ? Il connaissait Daisy ou quoi ? Qui c'est, au juste ? Un ancien amoureux transi qui cherche à venger sa bien-aimée ? Si c'est le cas, c'est franchement malsain.
Et quand bien même ils seraient autorisés à fouiller chez moi, ils pourraient toujours chercher : le téléphone se trouvait dans un coffre-fort parfaitement dissimulé. Je doute qu'ils mettent la main dessus de si tôt. Et si jamais cela devait arriver, je pourrais toujours prétendre que je l'ai volé, ou qu'une source anonyme me l'avait revendu pour la modique somme de quelques centaines d'euros. Quitte à choisir, autant être condamnée pour vol ou pour recel de Smartphones.
Pour l'instant en tout cas, tout ce que j'avais besoin d'assimiler, c'est que j'étais libre.
Du moins, presque.

Après qu'ils m'aient rendu mes effets personnels – à savoir mon sac à main – et qu'ils m'aient libérée des liens qui m'avaient comprimé les poignets pendant des heures, les policiers me laissèrent repartir de leur bâtiment sans s'attarder sur mon sort.
J'aurais voulu prendre mes jambes à mon cou et fuir le plus vite et le plus loin possible de cet endroit, mais j'allais malheureusement devoir attendre encore un peu. Au lieu de ça, je m'éloignai de quelques mètres et bifurquai dans la rue qui faisait l'angle du commissariat, dans le but d'attendre Léa qui devait venir me chercher.
Grouille-toi Léa, grouille-toi...
Je trépignai d'impatience et d'angoisse, transie par la peur que les policiers ne se mettent à courir vers moi en brandissant une énième preuve et en criant : « attrapez-là, retenez-là, on la tient cette fois ! »
Mais rien ne se passa, et Léa gara sa voiture au bord du trottoir au bout de minutes qui m'avaient semblé durer des années entières. J'ouvris la portière et m'installai sur le siège passager sans même lui adresser un regard.
- Roule., ordonnai-je calmement en perdant mes yeux sur le pare-brise.
Léa roula donc sans vraiment savoir quelle direction précise prendre. Elle ne prononça pas un mot, moi non plus ; seul le bruit du moteur et de l'agitation de la ville résonnait entre nous.
Au terme de quelques minutes, je sentis la voiture s'arrêter et n'entendis plus les bruits reposants de la mécanique du moteur. Léa avait coupé le contact. Je tournai la tête vers ma vitre et constatai que nous étions garées sur le parking du café auquel je m'étais rendue ce matin, juste à côté de ma voiture et des chaï qui trainaient sur son toit.
- Ça va ?, me demanda alors Léa.
Je jetai un bref coup d'œil dans son rétroviseur intérieur, et demandai :
- Tu vois la voiture de flic, arrêtée quelques mètres derrière nous ?
Elle regarda à son tour dans le rétroviseur et affirma d'un hochement de tête.
- Ils sont là pour me pister., poursuivis-je. J'ai été placée sous surveillance judiciaire.
- Mais... Ils ont des preuves contre toi ?, quémanda Léa, visiblement soucieuse.
- Aucune preuve tangible en tout cas, et ils n'ont rien contre toi si c'est ça qui t'inquiète. Du moins ils n'ont pas parlé de toi.
- D'accord, ça me rassure, mais je suis surtout anxieuse pour toi... T'as vraiment pas l'air d'aller bien, là...
Je baissai mon pare-soleil et observai mon reflet dans le miroir qui y était installé.
Effectivement, j'avais une mine affreuse. Mon teint était livide et j'avais l'air d'avoir des cernes qui creusaient une bonne moitié de mon visage.
Je mis ça sur le compte de mon absence de maquillage et le fait que je n'avais pas bu de café de la journée, et affichai un grand sourire en rabattant le pare-soleil.
- Ce n'est rien, c'est juste que je n'ai pas de fond de teint.
- Cassie..., commença Léa tandis que sa bouche se déformait dans une légère grimace de doute.
- Tout va bien, je t'assure., la coupai-je. Je suis ici, c'est le principal, non ? Alors allons récupérer nos thés, et profitons du reste de notre journée ensemble. Tu travailles cet après-midi ?
- Je reprends à quatorze heures.
- Alors c'est parfait !, conclus-je.
Faire semblant de sourire et d'aller bien m'avait donné l'impression d'avoir vidé les derniers fragments d'énergie qu'il me restait. Je sortis de la voiture de Léa et attrapai immédiatement les thés, désormais froids, et la boîte de pâtisseries qui avaient échoué sur le toit de ma Citroën, vestiges d'une scène qui s'était déroulée dans la précipitation un peu plus tôt. Je tendis les chaï à Léa et elle les disposa dans sa voiture à des endroits spécifiquement prévus à cet effet afin qu'ils ne se renversent pas durant le trajet : à moins de piler d'un coup ou de prendre un dos d'âne à 150km, il n'y avait normalement aucun risque.
J'ouvris ensuite la boîte de pâtisseries et constatai avec joie et étonnement qu'elles étaient restées intactes. Je fus surprise de voir que personne n'avait tenté de les dérober, et bien contente qu'il n'ait pas plu dans la matinée, auquel cas nous nous serions retrouvées avec des sucreries beaucoup moins appétissantes et plaisantes à manger.
Je déverrouillai ma portière, posai délicatement la boîte qui contenait le précieux Graal sur mon siège passager et pris place avant de baisser ma vitre.
Le soleil avait bien tapé et il faisait déjà une chaleur étouffante.
- On se retrouve à l'appart, tu me suis ?, demanda Léa avant de fermer sa portière côté passager.
J'affirmai d'un hochement de tête et elle démarra. Je l'imitai et attendis qu'elle ait fini sa manœuvre avant de m'engager derrière elle.
Pendant que je la suivais assidûment sur un trajet que je connaissais pourtant par cœur, je voulus mettre de la musique pour me vider la tête et ralentir mes pensées, mais aucune chanson ne trouva grâce à mes oreilles, et mon esprit resta dispersé dans tous les sens.
J'avais un mauvais pressentiment, un très mauvais pressentiment, et mon intuition ne m'emmenait que vers une seule chose que je devrais accomplir le plus tôt possible : il fallait que je parle à Maël.

Dommages collatéraux {réécriture à venir}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant