Ombre & Lumière Tome 1

Chapitre 26

Je me fais régulièrement bousculer par des enfants, il faut dire qu'ils sont surexcités. Ils courent dans tous les sens et la plupart d'entre eux sont chargés de sacs remplis d'objets achetés au marché. J'ai été surprise de constater que l'argent existe même au Paradis. En vérité celui-ci défit toutes les théories.

C'est un belle journée, un soleil éblouissant domine le ciel. Ça change de mon village... Je me demande comment il peut y avoir du soleil, étant donné que l'on est très haut dans le ciel et que... en fait je devrais suivre le conseil de Lahela et arrêter de me poser des questions. La différence entre la magie et la science, c'est que la magie ne s'explique pas.

J'aperçois une pièce par terre et, prenant garde à vérifier si elle n'appartient à personne dans les parages, je la ramasse. Elle est très légère. Je suis presque sûre que je pourrais la tordre si je le voulais. Sur la face on distingue vaguement un visage que j'associe à celui de la Couronne. Aucun détail. Aucune inscription. Sur l'autre côté il y a un palais que je ne manque pas de reconnaître, c'est tout.

Une nouvelle fois je suis surprise de constater que l'on n'est pas si riche que ça au Paradis. Et puis, pour moi, le Paradis était signe de paix, je ne comprends pas qu'on ait besoin d'argent pour y vivre.

Une odeur de barbe à papa embaume l'étroite ruelle dans laquelle je viens de m'engouffrer. Elle provient du seuil d'une maison. Une vieille femme s'y tient et au moyen d'un bâtonnet, remue de la main gauche un mélange beige tandis que de la droite elle y verse une poudre dorée. Rien que de la voir manier ces instruments, on sait qu'elle a de l'expérience. Je m'avance vers elle, attirée par sa technique, sa gestuelle, sa personne et son délice. Je sais que je ne repartirai pas sans y avoir goûté. En m'apercevant son visage s'illumine d'un grand sourire des plus sincères et me elle fait signe d'approcher. Je m'exécute sans me faire prier, tout en marchant d'un pas incertain. Elle a tout de plus rassurant, pourtant il y a une si grande part de mystère chez les anges, ces êtres qui me sont inconnus. Je la salue d'une voix timide sans obtenir de réponse. Elle me tend le bâtonnet et je le saisis avec précaution puis je me mets à mélanger la pâte. J'y prends un certain plaisir. Elle est douce, souple, moelleuse, et de plus elle dégage une odeur qui me rappelle mon enfance. Pourtant ceci n'a rien à voir avec de la barbe à papa. Elle finit par lever tranquillement la main pour me faire signe d'arrêter puis fouille en dessous de la table, ou plutôt d'une commode recouverte d'une nappe, et en ressort un petit moule en forme d'étoile. Elle y verse un peu de pâte puis passe lentement la main au-dessus. Je regarde, ébahie, la pâte se réchauffer et gonfler comme un gâteau dans un four. La vielle dame retourne brusquement le moule et tombe dans son autre main le petit gâteau en forme d'étoile. Elle le dépose au creux de mes paumes, veillant bien à ne pas m'en faire perdre une miette. J'aimerais lui dire tant de choses et pourtant, le seul mot qui sort de ma bouche est : « merci ». La vieille femme me fait un clin d'œil avant de dénicher un nouveau bâtonnet dans son étalage et de se remettre à mélanger sa pâte. Je présente vers elle le bâtonnet qu'elle m'avait prêté mais celle-ci n'y accorde aucune importance. C'est comme si je n'étais plus là, que je m'étais volatilisée, qu'elle ne m'avait jamais vue, qu'elle n'avait jamais interrompu son travail. Secouée par ce qu'il vient de se passer je m'éloigne à pas lents. Seuls sont là pour me confirmer que je n'ai pas rêvé le bâtonnet et le petit gâteau en forme d'étoile et son odeur venue d'ailleurs.

C'est étrange tout ça. A vrai dire c'est le Paradis qui est étrange.

Je reprends ma route.

A l'angle de la ruelle je tombe nez-à-nez avec un enfant adossé à la façade d'une maison. Surpris de voir quelqu'un il sursaute et par la même occasion relève la tête vers moi. Sur son visage s'écoulent de longues larmes qui sur leur passage font briller la peau de bébé du petit garçon. Je m'assois auprès de lui et dis :