Chapitre 42

692 86 20
                                    

Parfois, la fin arrive avant même que l'on ait saisi ce qui se passe. Alors on essaie de se mettre à jour et on se demande ce qu'on a bien pu louper. Les choses peuvent paraitre longues, mais une fois terminées elles ne sont plus que des souvenirs qui nous parviennent, par images qui se meuvent de temps à autres pour former des scènes passées dont il ne reste seulement que quelques preuves de leur existence. Nous ne possédons plus qu'une poignée de secondes pour résumer ce qui nous a paru être plusieurs heures, si tant est que notre esprit ne nous joue pas des tours...

Sous cet aspect, l'étrangeté du passé se révèle sous toute sa splendeur. Les mystères qui l'entourent calment les convoitises des uns et des autres. Nul ne peut commander son passé, à moins qu'il y ait vécu un présent dans lequel il était le maitre.

La vie semble quelques fois ne durer que vingt-quatre heures, car dès le lendemain d'un aujourd'hui bien rempli, celui-ci se recule afin de laisser place au présent. Ainsi tout est à recommencer, et le point de départ se trouve chaque matin au même endroit.

Néanmoins, si le jour précédent peut êtreconsidéré comme une vie antérieure, il influe sur le jour suivant. A tous leshier nous apprenons plus et faisons du mieux qu'on peut pour que les demainssoient meilleurs. Et puis, et surtout, nous changeons et évoluons, de sorte quenos veilles enrichissent nos jours prochains.


Je traverse le Palais en direction de ma chambre. Je suis tombée nez-à-nez avec un lustreur de chandelles – scène qui m'a procuré une forte et désagréable impression de déjà-vu. Comme à chaque fois que cela m'arrive, j'ai tenté d'agir différemment qu'une éventuelle précédente fois. Après ce cap passé, j'ai bousculé malencontreusement un homme dans les escaliers et ai été surprise de voir qu'autant de monde effectue des balades nocturnes. « Oh excusez-moi ! » ai-je lancé juste avant qu'il se retourne et que je puisse voir son visage, suite à quoi je suis restée muette, sans cacher ma stupéfaction. Il était maigre, laid et malveillant. On aurait dit qu'il était pressé et très préoccupé, alors même si me voir a eu l'air de l'avoir secoué, il s'en est allé sans mot-dire. Lui aussi me rappelle quelque chose... mais bon...

A présent les couloirs sont déserts. L'atmosphère qui y règne est étrange mais je n'ai pas le temps d'y songer plus longuement car je suis enfin arrivée à destination. Je pénètre dans ma chambre et me blottie aussitôt sous les épaisses couvertures glaciales sans prendre la peine d'ôter mes chaussures.

Ainsi je clos mes paupières avec la ferme volonté de dormir en laissant loin derrière moi les histoires de fantômes, d'héritier et de tâches de sang. Pari réussi ? Je suis perplexe. Car certes je n'ai pas pensé à ça mais cela ne m'a pas empêché de faire un cauchemar. Après tout, ces derniers temps, le mal est partout...

Des mouches. Tout autour de moi volent des mouchent bourdonnantes qui me sont impossibles à attraper. En arrière-plan s'étale du blanc, comme de la peinture, sauf que celui-ci est infini et pas très net. Comme si on me cachait les limites de ma prison. « Tu ne peux pas rêver plus loin qu'ici » aurait-on pu me chuchoter à l'oreille. Sauf que je n'en ai pas. Je ne suis pas là, en fait. Mon corps est absent. J'entends et je vois malgré ma non-présence. C'est comme si j'avais plongé ma tête dans un livre, un dvd ou bien une fontaine magique. D'ailleurs j'ai cette sensation d'être glacée qui augmente de plus en plus. Comment peut-on être glacé sans corps ? Eh bien je suis à deux endroits à la fois. Soudain je perçois des voix. J'aimerais voir qui parle mais ma vue reste bloquée sur les mouches qui voltigent au-dessus de ma tête invisible, ou plutôt de l'endroit où aurait dû se situer ma tête. « Elle a reçu un choc terrible. Elle a besoin de temps. Et il en faut surtout pour que les marques sur son corps disparaissent », « Combien de jour ? » demande une voix d'homme à la femme qui a parlé en premier, « Une dizaine. Je la maintiens endormi ? », pas de réponse... « Que s'est-il passé exactement ? Qui lui a fait ça ? ». Le temps passe, puis la voix d'homme reparle enfin, et cette fois-ci je la reconnais, c'est celle de Théo : « Je ne sais pas... Je ne comprends pas pourquoi il a fait ça... Je sais juste que le Conseil a pris les mesures nécessaires... mais cette affaire n'est pas claire, comme toutes les autres, d'ailleurs... » « Monsieur Dailiane, je pense que vous devriez la surveiller mieux que ça. Wilfried a perdu son poste à cause d'elle, il voudra se venger. » « Non, il doit s'avérer content d'être encore en vie, il va vouloir se faire oublier pour retrouver son pouvoir. » « Oh non... soyez-en sûr. Il se fera certes discret, mais pas pour longtemps... Il est complétement fou. S'il n'a pas réussi à la tuer, lorsqu'il la reverra, il fera en sortes de ne pas échouer une seconde fois ».

Ombre & Lumière Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant