Chapitre 32

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Le lendemain c'est Lahela qui m'a réveillé en me secouant. 

« Am ! J'ai prévu pleins de trucs pour aujourd'hui ! » m'a-t-elle hurlé à la figure. 

Je me suis préparée en vitesse, j'ai avalé deux-trois choses à grignoter qu'une servante nous a apportées et nous sommes sorties de ma « suite impériale ». « Où on va ? » ; j'ai dû poser cette question au moins vingt fois. A aucun moment je n'ai obtenu de réponse. Nous avons traversées quelques grands boulevards avant d'atteindre une route en terre. Nous étions passées de la ville à la campagne en un clin d'œil. Autour de nous s'étendaient de vastes prairies, et le long de la route était dominé par de hauts platanes. Ça me rappelait la Terre. Même si chez moi il n'y avait pas de platanes, et les prairies n'en étaient pas véritablement.

Nous avons croisé quelques paysans qui nous ont saluées poliment. Je ne pense pas qu'ils savaient qui nous étions. Surtout que Lahela et moi étions vêtues de jeans et tee-shirts. 

« Tu es sûre que tu ne veux pas me dire où on va ? » je me souviens encore de comment elle a secoué la tête, de son sourire cachotier et du regard qu'elle m'a lancé. Il voulait dire « fais-moi confiance, tu ne seras pas déçue » et à cet instant j'ai eu l'impression d'avoir plus qu'une amie. Lahela avait à cœur de me rendre heureuse, de me voir contente, et pour cela je ne pourrai jamais assez la remercier.

Nous avons atteint la lisière de la forêt. Devant nous se trouvait une ferme, placée en plein soleil. Elle était en bois, vieille, abîmée, mais tellement belle ! Au loin, dans un champ, j'ai entendu un hennissement et aperçu des chevaux galoper. Lahela a suivis mon regard. « On s'fait une course ? »

Voler c'est bien, faire du cheval l'est tout autant. Car c'est une union entre deux êtres indépendants qui n'ont besoin ni de l'un ni de l'autre, si ce n'est pour dépasser les limites de la liberté. Accélérer. Accélérer encore et encore et franchir tous les obstacles. Semer le passé, foncer vers l'avenir à toute allure. Et ne jamais être seule. Non, jamais. Il ne vous abandonnera pas. A vous d'en faire autant. Et ensemble vous relierez les impossibles par le fil de votre destin commun. Vous braverez les étapes une-à-une sans jamais reculer. Car quand l'un aura peur l'autre sera là pour l'aider et le pousser plus haut. Toujours plus haut. Un cheval et un humain peuvent devenir assez proches pour fusionner en un seul et unique être avide d'une soif jamais rassasiée. Leurs rêves ne sont peut-être pas les mêmes, mais ce n'est qu'ensemble qu'ils peuvent les réaliser. Et tous deux volent vers la même chose : la liberté absolue. Celle qu'ils atteindront, au prix de leur vie.

Lorsque le soleil était au zénith, Lahela et moi-même avons relâché les chevaux dans le pré. Nous n'avions pas beaucoup parlé durant notre ballade, c'est pourquoi je supposais que nous allions rentrer au Palais. Je me trompais. Elle s'est dirigée vers la ferme d'un air parfaitement naturel. Je l'ai suivi avec hésitation. Nous avions déjà « emprunté » leurs chevaux, nous n'allions tout de même pas venir nous incruster chez les pauvres gens à qui devait appartenir cette bâtisse ? Si ?

« Ils doivent être rentrés ». « Qui ? », ai-je demandé. Elle m'a scruté avec intérêt, puis a ajouté sans se soucier de ma réaction : « Mes parents ».

Oui, cette ferme en ruine appartenait aux parents de Lahela, elle qui s'était faite aux plaisirs de la haute société paradisiaque.

« Tu ne venais pas d'Hawaii ? ». Elle m'a expliqué que ses parents avaient préféré qu'elle naisse sur Terre et puisse ainsi avoir une chance de vivre une vie normale. Car certains anges ne sont pas dotés d'ailes, et donc peuvent ressembler à n'importe quel être humain. « Ils n'étaient pas issus d'une grande famille, ils n'étaient que de simples paysans, ici. Alors ils ont cru que peut-être je n'aurais pas de pouvoir... malheureusement pour eux, ils se sont trompés. J'avais bel et bien des ailes et je ne pouvais m'empêcher de m'en servir étant petite. Alors, je les ai suppliés de m'emmener au Paradis. Je rêvais de voir d'autres anges et de me balader dans la capitale... je les ai contraints à tout sacrifier pour moi. Ils avaient redémarré une nouvelle vie à Hawaii, et moi j'étais en train de tout détruire. Quand nous sommes arrivés ici ils ont repris la ferme qu'ils avaient vendue à un vieil alcoolique. Je n'te dis pas dans quel état elle se trouvait. Mes parents ont cru que tout était fini, qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'ils allaient devoir repartir sur Terre. Mais avec l'aide des propriétaires des habitations voisines nous avons pu tout reconstruire. Alors tu m'diras que ce n'est pas canon comme endroit mais je t'assure que c'est mieux qu'avant ! J'ai commencé à aller à l'école au Paradis. Ici ce n'est pas comme sur Terre. Nous apprenons beaucoup de langues car quatre sont officielles – l'anglais, le français, l'italien et l'allemand – et que de toute manière la communauté des anges s'étale sur toute la surface du globe. Si on le souhaite on peut étudier des langues étrangères. Personnellement j'ai choisi le portugais. J'étais très forte à l'école. Aussi bien en histoire qu'en cours de vol ou de combat. J'ai vite été repéré par des gens du Palais. Ceux qui travaillent dans le recrutement. Ils ont trouvé que j'avais beaucoup de possibilités d'avenir et que le mieux serait pour moi de m'installer au Palais et de suivre une formation complète qui prendrait plusieurs années. Ils m'ont promis de l'argent. Enormément d'argent. Et un travail assuré pour plus tard. Comme tu peux le deviner je n'ai pas hésité une seconde. Je leur obéis au pied et à la lettre. Et franchement ça en vaut la peine. Mes parents ont de quoi se nourrir, ils sont heureux pour moi... alors même si parfois je ne les vois pas pendant plusieurs semaines, je me dis que ça pourrait être pire. »

Ombre & Lumière Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant