Chapitre 3

4.7K 355 99
                                    


Lahela s'avance, un paquet de chips à la main et ce n'est qu'à ce moment que je suis sûre que c'est elle.
  - Tu en veux ? me demande-t-elle, un large sourire aux lèvres.
  Je trouve je-ne-sais-où le courage de me lever puis j'allume en vitesse les lumières du salon, de la cuisine et de toutes les pièces de la maison... à part l'étage, je ne préfère pas m'y aventurer car j'ai trop peur, mais aussi pour ne pas m'éloigner de Lahela. Pour plusieurs raisons totalement opposées.
  Elle me regarde faire sans bouger le petit doigt.
  - Il vaut mieux s'arrêter là, me dit-elle avant d'éteindre la télé qui elle était restée allumer – preuve irréfutable qu'il n'y a pas eu de coupure de courant. Je vais rentrer.
  Je la fixe longuement sans parvenir à déchiffrer son expression. Est-elle sérieuse ?
  - Oui, tu sais cette soirée « peur » va sûrement me donner des cauchemars jusqu'à la prochaine pleine lune !
  Sa remarque était voulue sur le ton de la rigolade or elle n'a fait que m'alarmer davantage. C'est quoi cette allusion à la pleine Lune ?! Oh c'est la peur qui me fait dire ça, elle a juste prononcé une expression qui m'est inconnue ! ...     Mais mes tentatives pour me rassurer sont vaines malgré toute l'assurance que je donne à ma voix intérieure.
  En pesant mes mots et en tentant de rester calme je lui dis :
  - Tu comptes vraiment rentrer chez toi toute seule ? Par ce froid ? Par cette nuit ? Tu habites à deux bons kilomètres d'ici. Tu ne croiseras personnes sur la route. On vient de voir un film pas très rassurant et... et aucune personne normale ne ferait ce que tu t'apprêtes à faire.
  Elle ne me répond pas et se contente de me sourire, encore et encore ce sourire déroutant auquel nul ne peut résister.
  Lorsqu'elle ouvre la porte, un courant d'air glacial pénètre dans la maison. Elle se retourne une dernière fois vers moi.
  - Ne t'inquiète pas. Je ne suis pas seule, y'a les chips ! réplique-t-elle en agitant le paquet comme si ça pouvait mettre fin à mon inquiétude.
J'ai le mauvais pressentiment que je ne la reverrai pas avant longtemps.

  Ce soir-là je ne parviens pas à m'endormir. Dans mon lit je me retourne dans tous les sens. Trop de choses cogitent dans ma tête. Lahela, la pleine lune, son sourire, le regard qu'elle m'a lancé quand elle est partie se fondre dans la nuit... mais aussi le film, la dame en noir, la mort... J'entends alors une voiture se garer dans l'allée. Je sors en trombe de mon lit et ouvre mes volets. C'est mon père. Il s'approche du porche de la maison et je me mets à trembler. Pourquoi maintenant ? Parce que j'ai l'affreuse impression qu'un danger rode dans les parages.
  Les lumières du jardin faiblissent. Je perçois le cliquetis dans la serrure. La porte s'ouvre... mais aucun bruit de pas. En temps normal, je ne me serais jamais fait du souci lors d'un moment pareil, mais cette fois-ci tout est différent. Je cours aussi vite que possible vers le rez-de-chaussée, en enviant les battes de baseball que les américains ont chez eux ; on n'est jamais assez prévoyant.
  Je me retrouve face à une porte ouverte qui laisse pénétrer le froid. Dehors, sous le porche, mon père est à terre, inerte.
  Je suis prise de panique. J'ai tellement peur que je suis incapable de dire un mot ou de bouger le petit doigt. C'est comme si quelqu'un m'étranglait, me tenait, et que si je bronchais je mourrais. Je ne parviens même pas à penser, même dans ma tête les mots ne sortent pas, les sons restent bloqués dans ma gorge. Ne parviennent à émerger que des bribes de paroles au volume sonore très faible. J'ai l'impression d'être dans un cauchemar, je n'arrive pas à croire que toutes mes peurs soient devenues à ce point-là réalité. C'est comme quand une voiture roule droit vers nous et qu'on reste immobile, à la regarder en attendant qu'elle nous percute... impuissant et dépendant des réflex d'un conducteur inconnu et des capacités de freinage d'une voiture. Je ne peux rien faire, je pourrais, mais c'est impossible. Ma vie n'est plus entre mes mains...
  Je reste là. Fixant mon père. Un corbeau prend son envol et sa couleur finit par se mélanger avec celle de la nuit. J'aimerais que tout ça ne soit qu'un rêve, mais au fond de moi je sais que tout ça est bien réel. Peu à peu la peur s'évapore et je peux enfin bouger. À présent je dois faire face. Je me précipite vers mon père.

Ombre & Lumière Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant