Chapitre 40

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Je me retrouve à nouveau à me balader dans les ruelles du Paradis. Après une telle discussion ça me parait légèrement étrange, quoi que... plus rien ne m'étonne.

Je me souviens du jour où je suis venue ici, c'était après ma dispute avec Lahela dans le « Bistro Parisien ». Aujourd'hui la situation est à peu près la même, c'est déconcertant comme les jours se ressemblent, c'est intriguant la façon dont tout nous ramène au même endroit, à la même situation ou vers les mêmes personnes, comme si quelqu'un ou quelque chose, quelque part, tenait à ce qu'on voit ou qu'on vive une chose précise. Quelquefois le hasard et le destin sont si étroitement liés que l'on a l'impression que tout est organisé et prévu à l'avance et que les fameuses « coïncidences » ne sont en réalité que les points servant à relier les segments pour former une figure, une forme, quelque chose ayant enfin un sens. Ce sens est le sens de la vie, il laisse sur son passage des tâches d'encres qui en séchant forme des lettres, celles de notre histoire.

Une odeur de barbe à papa vient interrompre mes rêvasseries. Je la reconnais. Ce n'est pas de la barbe à papa. Je m'approche de la vieille dame qui remue sa pâte à l'aide d'un bâtonnet, à mon arrivée elle lève la tête et me fixe droit dans les yeux, attendant que je prononce des mots, comme des mots magiques.

Ceux-ci sortent de ma bouche sans même que je m'en rende compte : « Il est temps que je sache ».

La maison de la vieille dame est semblable aux chaumières des fées ou des sorcières que l'on voit dans les dessins animés. Il y a de vieux meubles en bois, des poutres qui traversent le plafond, une vieille porcelaine qui ne sert plus qu'à la décoration et quelques tableaux sur les murs.

La vieille dame referme la porte derrière moi tandis que je m'avance dans sa demeure. Elle me fait assoir dans un gros fauteuil bleu tonneau puis s'en va me chercher à boire dans la cuisine. Je me retrouve seule à observer le sol, les murs et ses peintures. Je m'attarde sur l'une d'elle, bleue, cette fois-ci comme la nuit, plissant les yeux pour parvenir à discerner ce qu'elle représente. Tout et rien, vraisemblablement, peut-être la mer, peut-être le ciel, peut-être une galaxie dénudée d'étoiles. Le style de cette toile m'interpelle néanmoins, le message, l'intention, la façon de faire, sont témoignages du symbole de cette peinture, dépassant de loin tout ce qu'elle pourrait représenter. Je tente de me souvenir... en vain...

La vieille femme revient avec une tasse contenant une tisane qu'elle dépose sur la table basse avant de prendre place sur le fauteuil en face de moi. Un léger silence s'installe, mais celui-ci est vite rompu.

- Quel est votre nom, jeune fille ?

- Am. Ambroisie.

- Ah ! C'est typiquement français de répondre par votre prénom à la question qui ne vous demande que votre nom !

- Oh excusez-moi, c'est...

- Laissez, cela n'a aucune importance.

Sa voix est celle d'une grand-mère qui s'adresse à sa petite-fille, douce et posée. La vielle femme est enrobée, elle a les cheveux gris, la peau terne, mais ses yeux sont d'un bleu presque impossible. Ils sont pleins de vie, de malice, de jeunesse... Ils contrastent tant avec le reste de son corps, atypique des personnes âgés et fatigués par la vie qu'elles ont menée. Je crois n'en avoir jamais vu une avec les yeux bleus. Un bleu plein de ressources, un bleu que seul un enfant aurait eu l'idée de mettre au creux des yeux d'une grand-mère.

- Et vous ? Quel est votre nom ?

Elle parait hésiter.

- Evelyne.

Ombre & Lumière Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant