Ombre & Lumière Tome 1

Chapitre 37

Je marche sur les tuiles brisées tant bien que mal, dans d'affreux craquements qui rompent brutalement les sons de cette nuit si particulière.

Après quelques étapes parfois difficiles à franchir, nécessitant donc l'intervention de Théo, nous arrivons enfin à destination. Le lieu qu'il tenait tant à me faire découvrir n'est autre qu'une grande terrasse à l'extrême ouest du Palais. Elle est postée sur le toit et donne sur le ciel, le vide, le Paradis Perdu – il s'agit là des plaines à perte de vue qui, plus elles s'éloignent de la ville, plus ont été désertées.

- C'est quoi cet endroit ?

- Je l'appelle le balcon du monde. Lorsque le Palais a été construit il y a fort longtemps, Lionel Eleanordo Perfetti, son architecte, sous demande du Roi, a dû créer pour celui-ci un endroit qui lui permettrait d'être seul avec le ciel et l'horizon lui « appartenant ». Les rois ont beaucoup d'ego... La légende raconte qu'il venait ici chaque nuit pour contempler les étoiles, et chaque matin pour admirer les paysages interminables. Il observait également sa ville se bâtir ; tous les jours de nouvelles pierres arrivaient des campagnes pour venir s'ajouter à celles déjà déposées sur les futures demeures. C'était la belle époque...

- Et depuis ?

- Quand le Roi est mort on a cru que son fils prendrait la relève... Celui-ci a été tué lorsqu'il chassait dans les forêts avoisinantes, nul ne sait comment. Au fil des années de moins en moins de monde a frôlé cette terrasse. La légende s'est perdu, les anges ont oublié... Puis un jour quand je me baladais sur le toit – ne me demande pas ce que je faisais là, je suis tombé sur cet endroit. Depuis j'y viens régulièrement. J'aime bien l'idée d'être au-dessus du monde.

- Tu l'es déjà en étant au Paradis.

- J'aime bien me trouver dans un lieu sur lequel ont marché de grands Rois.

- N'ont-ils pas frôlé de leurs pieds d'autres endroits qu'un maudit balcon ?

- J'aime bien savoir que je suis le seul à venir encore ici.

- En as-tu la certitude ?

- J'aime bien le secret que j'en fait.

- Et si quelqu'un t'avais vu un jour ?

- J'aime bien cet endroit.

- Pourquoi ?

- Parce qu'il détient un autre secret.

- Quel secret ?

Sur-ce il s'approche de moi, doucement, et avec délicatesse me prend les mains.

- Notre secret.

- Lequel est-ce ?

- Celui-ci.

Ses yeux bleus laissent placent à des paupières closes, puis à mon tour je ne vois plus. Tout est noir et pris dans la chaleur humaine de deux âmes qui, après s'être longuement cherchées, commencent enfin à se trouver. Ses lèvres se posent sur les miennes et j'attends la fin d'un baiser pour tenter de réaliser ce qui vient de se produire. Cet instant entre deux mondes touche à sa fin. Théo recule d'un pas, comme pour me permettre de faire un bref point avec moi-même.

Est-ce qu'il vient vraiment de m'embrasser ? Pourquoi ? Est-ce qu'il avait prévu le coup à l'avance ou c'est parler de secret qui l'a inspiré ? Et puis qu'est-ce que tout cela implique ?! Comment dois-je me comporter à présent ? Et lui, que va-t-il faire ?

- Si c'était trop tôt je peux comprendre, mais...

- Non !

Son ton a paru un brin gêné, cependant je suis sûre qu'il savait quelle serait ma réaction. Cette façon qu'il a de me faire dire ce qu'il veut, de me manipuler et de toujours se retrouver dans le rôle de celui qui a raison me rappelle le Théo que j'ai connu sur Terre. Celui que je détestais bien qu'il m'attire indéniablement par sa beauté. Pourquoi replonge-t-il dans cette attitude agaçante et superficielle alors qu'il sait très bien que je n'aime pas ça ? Il a vu qu'on pouvait s'entendre quand il se montrait simple et gentil. S'il réagit à nouveau comme à ses débuts avec moi c'est peut-être parce que c'est lui tout simplement et qu'il n'arrivait plus à faire semblant d'être un autre juste pour me plaire. Si par malheur cette hypothèse est la bonne, cela voudrait-il dire que je viens d'embrasser un garçon qui me révulse tant j'ai horreur de sa façon d'agir à mes côtés ? Mais c'est atroce de se rendre compte qu'on s'est livré à une personne qu'on n'aime pas !