Le grand chef

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Je me fais traîner dans le couloir sombre que j'apercevais depuis la cellule et me rend compte qu'il n'est pas si long que ça. Dix mètres, tout au plus, mais le temps paraît foutrement long quand on se fait conduire à l'abattoir.

Je jette un regard en coin à mes "transporteurs".

Balaise numéro 1 est une espèce de montagne de muscle surmontée d'une touffe de cheveux bruns, balaise numéro 2 est bâti sur le même modèle, à l'exception qu'il est blond. Ils échangent quelques mots incompréhensibles et je devine que le "Grand Chef", comme Josh l'a appelé, ne les a pas embauché pour leur conversation.

Mon transfert prend fin face à une porte blindée munie d'une ouverture à hauteur de regard. Une cellule d'isolement, du moins ça m'en a tout l'air. Si j'avais encore un doute, je suis maintenant persuadé que le sort qu'ils me réservent ne va pas être une partie de plaisir.

Balaise numéro 1 déverrouille la lourde pendant que l'autre s'impatiente.

Un grincement strident et trois enjambées plus tard, on m'installe avec une délicatesse relative sur une chaise au centre de la pièce. Les mains liées dans le dos, les pieds scellés à ceux de mon siège, et les yeux bandés, j'attends.

Je voudrais crier, me débattre et tout casser, mais ce serait gaspiller mes forces dans un combat perdu d'avance. Je dois être plus malin que ça, plus malin que le Grand chef. Pour une fois, je dois réfléchir avant d'agir, je ne peux pas user de mes trucs habituels. Ce type n'a rien à voir avec les petits malfrats que j'ai l'habitude de fréquenter. Donc, même si ça me ronge, je dois prendre sur moi, jouer le jeu, observer pour trouver une faille. Je n'ai pas le choix, je ne peux pas me résigner à vivre de la sorte, enfermé avec une trentaine de cinglés persuadé d'avoir des pouvoir magiques.

Je vais sortir de là, il le faut.

Cette litanie s'installe dans mon esprit et devient mon mantra. Je sais que pour me sortir de cette merde je vais devoir faire profil bas pendant un temps et agir comme Tyler le ferait. Ils ne doivent pas se rendre compte que je ne suis pas celui qu'ils voulaient. C'est la seule carte que j'ai en ma possession et ce n'est pas le moment de l'abattre. J'essaye de me calmer, en me focalisant sur ma respiration. Inspirer, expirer. Ne penser qu'à ça.

Des bruits de pas, rapides et nerveux, arrivent dans ma direction, balayant sur leur passage le calme qui réapparaissait dans mon esprit. Des talons claquent sur le sol en pierre, puis s'arrêtent à quelques mètres de moi. Une odeur musquée se mêle à celle de la moisissure et de la poussière déjà présentes, créant un mélange nauséabond qui me prend à la gorge. Je ne sais pas ce qui m'arrive, j'ai le sentiment que les odeurs, auxquelles je ne prêtais aucune attention jusqu'à maintenant, m'obsèdent. Comme si mes émotions étaient directement connectées à mon odorat.

Et en ce moment, ça pue, dans tous les sens du terme.

J'attends, tremblant, que l'homme face à moi se décide à parler mais il me prend par surprise en me collant un coup de poing dans l'estomac. Connard.

Il me tourne autour, impatient, puis s'arrête face à moi. Je le sais, je sens son regard peser sur moi. Il m'évalue et me regarde de haut, comme si j'étais une sous-merde, je n'ai pas besoin de le voir pour le sentir. Il s'éclaircit la voix et se décide enfin à me parler

- Alors Tyler... ta maman ne t'as jamais apprit à ne pas traîner tout seul le soir. On ne sait jamais sur qui on peut tomber...

Il prend mon visage entre ses doigts et s'approche de moi pour me cracher ses menaces

- Hein ? Elle ne t'as pas appris ça, Jeannine ? Et Georges ? Qu'est ce qu'il dirait, s'il savait que son fils chéri n'est pas en cours aujourd'hui ? On ne devient pas juge en séchant les cours Tyler ! Vilain garçon..

Il insiste sur les prénoms de mes supposés parents, pour appuyer ses menaces à peine voilées. Aucune réaction de ma part, je joue le mec pétrifié, trop terrorisé pour parler. Bon ok, je ne joues pas complètement, j'ai vraiment la trouille.

- Ecoute, je vais t'expliquer comment ça va se passer pour toi à partir de maintenant. Tu vas te comporter comme un gentil petit toutou, bien obéissant et tout ira pour le mieux. D'accord ? Tu sais, les accidents ça arrive vite, ce serait dommage que ta chère Lucie face une mauvaise chute...

J'ai l'impression qu'il pense faire mouche avec cet argument, alors je joue le jeu, même si je n'ai aucune idée de qui est cette nana.

- Non ! Ne faites pas de mal à Lucie, je vous en prie

Ma voix se brise et on pourrait croire que je réprime un sanglot, pour le plus grand plaisir de mon geôlier qui laisse échapper un ricanement, assez proche de celui de la hyène. Il est satisfait de lui, ses pas autour de moi s'accélèrent et sans prévenir, il me flanque un coup de pied dans les côtes, suffisamment fort pour faire tomber ma chaise. Le bandeau qui me couvrait les yeux se défait, me permettant d'admirer le "Grand Chef", dans toute sa splendeur.

Ça ne m'avait pas frappé sur le moment, mais en y repensant, il y avait une certaine ironie dans la façon qu'a eu Josh de l'appeler comme ça. Je comprend pourquoi, ce mec est une farce. Il n'y a rien de grand chez lui, si ce n'est peut-être sa gueule. Je m'attendais à me retrouver face à un homme d'un certain âge, qui en imposerait par sa stature ou son charisme, mais ce nabot qui gesticule au dessus de moi n'a rien d'impressionnant. En combat régulier, face à face, j'aurais le dessus, c'est évident. Je le vois à sa façon de bouger et d'armer ses coups qu'il continue à m'asséner alors que je suis au sol. Ce type ne s'est jamais battu de sa vie, il n'a jamais fait que frapper des mecs qui ne pouvaient pas lui rendre la politesse.

Le problème, c'est qu'il ne joue pas à la régulière, physiquement je peux avoir le dessus sur lui, mais il a des ressources que je n'ai pas. Comme les deux balaises qui gardent la porte, sans broncher, prêts à me sauter dessus au premier claquement de doigts.

S'il n'a pas les épaules d'un Tony Montana, il en a la panoplie, et ça, ça me fout la trouille, parce que je sais qu'un mot de sa part suffirait à me faire tuer.

La peur, que j'avais réussi à maîtriser et à enterrer dans un coin de mon esprit, vient de refaire surface d'un coup et me submerge, si bien que lorsqu'il m'assène un nouveau coup de pied, mon souffle s'échappe avec la question qui me brûle les lèvres:

- Pourquoi ?

Il me fixe, surpris, quand un ricanement lugubre s'échappe de ses lèvres pincées:

- Est-ce qu'un chien demande à son maître pourquoi il lance la balle Tyler ? Non! Il ferme sa gueule et va chercher

"Il va faire nuit" gronde Balaise n°1.

Le chef s'éloigne à reculons et ferme la porte derrière lui, un sourire mauvais aux lèvres, comme la promesse cruelle d'une nuit sans repos que je commence à entrevoir.

Des cris inhumains fendent le silence, poussés par un corps secoué de spasmes, portés par une douleur jusque là inconnue.

Mon corps, mes cris...

Eclat d'ambre [Terminé ; en attente de correction ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant