La culpabilité.
Josh avait raison, c'est bien mon ancre et elle me revient en pleine gueule comme un foutu boomerang. Un boomerang qui arrive trop tard et qui me frappe à l'arrière du crâne pour me faire comprendre que je viens de faire la plus grosse connerie de ma vie. D'après le petit génie, je devais me raccrocher à ce sentiment pour éviter de devenir une bête sanguinaire...
C'est raté mon grand. Je viens de tuer un pauvre gosse, et j'ai beau me sentir coupable, le goût de son sang est empreint dans mes papilles et me fait saliver.
J'en veux encore.
Je voudrais sentir ce liquide chaud couler dans ma gorge et me délecter de chaque goutte, mais je ne bouge plus. Je ne peux pas faire le moindre geste, comme pétrifié par l'horreur que je viens de commettre. Les sanglots incontrôlables du père font écho à la tornade qui me vrille l'estomac, enfonçant encore un peu le clou.
Tu es un monstre K. C'est officiel, tu as franchi la ligne invisible qui te séparait de la bête qui sommeille en toi et j'ai bien peur que le retour en arrière ne soit pas permis.
Pourquoi ça n'a pas fonctionné ? Pourquoi je n'ai pas été capable de me retenir ? Putain !
Le sentiment de culpabilité que j'éprouvais après avoir cassé la gueule de Josh ne devait pas être suffisant en comparaison de ce que j'ai ressenti en voyant le gamin. Ma victime. Comment Josh a-t-il pu croire une seconde que ça fonctionnerait ? A moins que..
Putain, il savait que je n'arriverais pas à me retenir ! Il voulait que je le fasse. Pourquoi ?
J'aimerais dire que je suis en colère, je devrais avoir envie de le tuer pour ce qu'il vient de me faire, mais je ne ressens rien de tout ça. En moi, il n'y a que des remords, du dégoût et du vide.
Le reste de la soirée se passe dans un brouillard dense. Je n'entends plus rien, ne vois rien autour de moi. La seule image qui parvient à mon cerveau et qui semble imprimée sur mes rétines ce sont les deux pupilles sans vie du jeune garçon qui semble me demander pourquoi je lui ai fait ça. J'aimerais poser cette question à Josh mais mes lèvres sont scellées. Je me rends compte que je suis de retour dans la cellule, je suis assis dans un coin, seul. Je n'ai aucune idée depuis combien de temps nous sommes revenus, ni par quel procédé (le même qu'à l'allée je suppose), et je m'en moque.
Le temps défile mais n'a aucun effet sur moi, je reste prostré dans mon coin depuis des heures, des jours peut-être, je ne sais plus très bien. La seule chose dont je suis sûr, c'est que je mérite de mourir après ce que j'ai fait. En plus d'être un délinquant, je suis un meurtrier maintenant. Une nouvelle corde à mon arc dont je me serais volontiers passé.
Un mec comme moi ne devrait pas être autorisé à vivre. Les garçons pensent certainement la même chose, puisqu'ils me laissent tranquille. Et ça vaut mieux je crois, je risquerais de dérailler et d'en tuer un. C'est ce que les monstres comme moi font, ils butent les innocents. Je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé après avoir planté mes crocs dans la gorge de ce gamin, je ne me rappelle même pas m'être retransformé en homme, si on peut encore m'appeler ainsi. Je ferais mieux de crever maintenant, avant de faire du mal à quelqu'un d'autre.
Comment on tue un foutu loup garou ? Je n'y connais rien à ces trucs.
Je me lève comme un pantin désarticulé et regarde autour de moi. Les garçons sont couchés à même le sol, enchevêtrés les uns dans les autres, si bien que je dois faire attention en me déplaçant de ne pas marcher sur l'un d'entre eux. Je me dirige vers le mur du fond, à quelques mètres de la cloison je m'arrête et inspire un grand coup. Dans les films ils tuent les zombies en leur tirant dans la tête, ça marche sûrement aussi pour les loups garous. Je prends de l'élan et fonce, tête la première contre la pierre mais je m'arrête quelques secondes avant que mon crâne ne touche son objectif. Je n'ai pas le courage de faire ça. Je tâte du bout des doigts la surface rugueuse à la recherche d'une pierre à bord tranchant. Bingo.
Je cale mon poignet dessus et fais des allers-retours, je répète le mouvement, encore et encore. Je suppose que pour venir à bout d'un loup garou, il faut plus que quelques gouttes de sang. J'insiste, je tranche dans ma chair jusqu'à sentir le sang sur mes pieds. J'oublie la douleur, la sensation de froid qui s'empare de moi et je m'acharne sur mon poignet. Peut-être que si j'arrive à atteindre une artère, je perdrais suffisamment de sang pour que la vie accepte de quitter mon corps mutant. Je ne mérite plus ce privilège.
Tout à coup, il y a plus de sang, beaucoup plus. Je le regarde s'échapper de l'entaille profonde par petits jets pulsatiles et je comprends que j'ai atteints mon but. Pour être sûr que ce soit suffisant, je m'attaque à mon autre poignet mais je n'ai pas le temps de m'attarder, je m'écroule au sol comme une poupée de chiffon. Mes jambes en coton ont rendu leur tablier. J'ai la tête qui tourne et de petites mouches blanches me volent devant les yeux. J'ai froid, chaud, tout à la fois. Ma tête cogne contre la roche dans un bruit sourd qui résonne dans la cellule, suffisamment fort pour réveiller les autres.
J'ai l'impression d'avoir la tête sous l'eau. Des cris et des appels à l'aide me parviennent comme un écho lointain. Des bulles dans un verre d'eau, voilà tout ce que j'entends. Je reconnais le grincement de la porte, la voix grave des Balaises et des bruits de talonnettes.
Connard de James...
L'obscurité dans laquelle je suis plongé s'attenu peu à peu et je commence à percevoir des sons, la voix de James plus précisément.
- Je m'en fous ! Arrange cette merde ! J'ai encore besoin de ce clebs !
Les talonnettes s'éloignent et disparaissent avec l'odeur musquée qui les accompagne. J'ouvre les yeux mais ne perçoit que des ombres mouvantes. L'une d'elle, penchée sur moi, emplit mes narines d'une odeur de vanille et noix de coco. Comme une friandise qu'on agiterait sous mon nez. A contre-jour, je ne distingue pas le visage de celle qui me regarde depuis de longues minutes, mais je sais que c'est une femme. Une lueur orangée brille à son cou, un collier je suppose, cette couleur m'apaise et me rassure. Je me dis que ce n'est peut-être pas le bijou mais sa propriétaire qui me fait cet effet.
Elle pose une main sur mon front portant un peu plus près ses effluves sucrées. Le contact de sa peau contre la mienne m'électrise et me donne envie de goûter cette friandise au parfum enivrant. Elle murmure quelque chose à mon intention. Son prénom.
Freyja. L'éclat d'ambre dans l'obscurité où est plongée ma vie.
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Eclat d'ambre [Terminé ; en attente de correction ]
WerewolfClark, 23 ans, a l'habitude de faire les mauvais choix. Ce soir là, il sera au mauvais endroit, au mauvais moment, et quand son regard croisera deux yeux rouges dans la nuit, il sera déjà trop tard. Sa vie va prendre un tournant à 180 degrés. Lui...