Mauvais endroit...

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Je m'extirpe du cocon moelleux de mon lit pour ouvrir la fenêtre de ma chambre universitaire qui baigne dans un brouillard dense. J'ai passé toute l'après-midi à glander, alternant pétard et épisode de série, si bien que je suis encore plus mou qu'à mon réveil. Pourtant avec tout ce repos, je devrais déborder d'énergie, mais ces derniers temps je me complais dans une attente léthargique. L'attente de la prochaine fête, de la prochaine fille ou simplement de la prochaine connerie à faire. En attendant que ce moment arrive, je ne fais rien.

Heureusement pour moi, mon colocataire est mon total opposé. Tyler est un gentil garçon, serviable et très impliqué dans son cursus universitaire. Ce qui signifie qu'il assiste à tous ses cours et passe son temps libre entre révision à la bibliothèque et activité extra-scolaire. Autrement dit, il ne vient que pour dormir, et comme je passe mes nuits dehors, nous vivons pour ainsi dire, seuls. 

Pour un mec peu sociable comme moi, c'est la colocation idéale. 

Planté devant la fenêtre en caleçon, je regarde la masse d'étudiants regagner leur dortoir. Ereintés par la longue journée qui vient de s'écouler mais satisfaits d'avoir acquis de nouvelles connaissances. Ils me font doucement sourire, comme si le fait de s'asseoir bien sagement pendant qu'un mec leur débite tout un tas de théories, qu'il a déjà expliqué un millier de fois, était le moyen ultime d'assurer son avenir.

L'idée qu'il faut réussir sa carrière pour réussir sa vie, est un concept bien trop ancré dans les mentalités, à mon avis. Tous autant qu'ils sont, ils ne voient pas qu'en obtenant leur diplôme ils se fourvoient. Certes, ils auront un boulot bien rangé, très bien payé, ils épouseront une belle femme et vivront dans un joli pavillon de banlieue, mais ils passeront tout leur temps au travail et délaisseront leur famille. Ils divorceront avant d'atteindre la quarantaine, sombrant dans la dépression et l'alcool. Alors oui, je les regarde de haut, parce que moi, j'ai fait le choix de vivre autrement, j'ai choisi de vivre ma vie comme je l'entend, faisant abstraction des règles de bonne conduite, des valeurs morales et des lois. Je fais le choix d'être libre et heureux, quoi qu'il m'en coûte. 

Et ça commence par mon rendez-vous avec Mark. 

Je m'étire mollement et attrape mon téléphone qui clignote sur ma table de nuit. J'ai dix messages non lus, un venant de Mark, me sommant de ne pas être en retard et les neufs restants proviennent de la fille que j'ai baisé hier soir. Je ne me souviens même plus de son visage, ni de son prénom d'ailleurs. Non pas que ça ait une quelconque importance, je ne compte pas la revoir. Si je n'ai rien de l'athlète beau gosse qui enchaîne les filles et saute tout ce qui bouge, j'ai tout de même mon petit succès après de la gente féminine. Je n'ai donc pas besoin de m'accrocher à la première nana intéressée. Avec mes yeux sombres, mon air de sale gosse et mon attitude de connard, je n'ai pas de mal à trouver des volontaires pour un coup d'un soir. Comme c'est tout ce que je cherche, j'efface les messages sans les lire. Je me dégoterai une autre nana après mon rendez-vous "professionnel". 

Si je ne veux pas être en retard et commencer mon nouveau boulot sur une engueulade, j'ai plutôt intérêt à me secouer. Je jette un oeil à l'heure. 18h45. Merde. J'enfile mes fringues de la veille qui traînent encore à côté de mon lit, mais en baissant les yeux je remarque une tâche suspecte sur mon t-shirt. Je le retire et le remet à sa place, en boule sur le sol. Ma commode est quasiment vide et mon linge n'est pas lavé, je ne peux tout de même pas me pointer torse nu. Mark est plutôt tolérant comme mec, mais il risque de ne pas apprécier la plaisanterie. Je me dis que Tyler ne verrait pas d'inconvénient à ce que je me serve dans ses affaires, et même si ça lui posait un problème, je m'en fous. Ce n'est pas comme si j'avais le choix. 

Je tire du tiroir le premier t-shirt que je trouve, un truc gris immonde aux couleurs de l'université, jamais je ne porterais un truc pareil si je n'étais pas obligé mais je me dis que ça me permettra de me fondre dans la masse. C'est le genre de truc auquel Mark fait attention, et ça me fera gagner des points auprès de lui. Il vaut mieux que j'en ai un maximum d'avance, en prévision des conneries futures que je risque de faire. J'abandonne l'idée de mettre mes rangers et enfile une paire de tennis banale. Me voilà déguisé en parfait petit étudiant. Maman serait fière. 

Je descend les escaliers quatre à quatre quand je croise une fille dans le hall qui me salue "Hey Tyler !" 

Qu'est ce qu'elle raconte ? Elle est dingue ! On ne se ressemble absolument pas ! Mais quand j'aperçois mon reflet dans la porte en verre de la résidence, c'est à peine si je me reconnais. Sans mes fringues sombres, mes rangers et ma mine des mauvais jours, on dirait Tyler, c'est vrai. Si ce n'est que lui a les yeux verts et qu'il porte des lunettes. En dehors de ces maigres détails, nous sommes presque jumeaux, tous les deux fins, les cheveux foncés. Ma peau est un peu plus matte que la sienne et mon corps un peu plus tonique mais avec les fringues que je portes aujourd'hui ça ne se remarque pas. 

La ressemblance est frappante mais je n'ai pas le temps de m'appesantir sur le sujet, je suis attendu. Et même si je vis près de la bibliothèque, je vais devoir courir pour être à l'heure. 

Il est 18h58 quand j'arrive au point de rendez-vous et je me félicite d'avoir couru tout le trajet sans cracher mes poumons à l'arrivée. Ce qui n'est pas négligeable quand on est si actif et qu'on mène un mode de vie aussi sain que le mien. 

Je me dirige vers l'endroit où nous nous retrouvons toujours, et m'assois sur le trottoir qui délimite la fin du parking. Le séparant du petit bois baigné dans l'obscurité. En fait, il n'y a que quelques arbres entremêlés et deux trois buissons mais c'est assez dense pour qu'on ne voit pas le petit étang qui se trouve juste à une centaine de mètres. Je venais souvent ici en début de semestre, quand le temps était plus clément et que je ne sombrais pas dans l'apathie. 

Un bruit derrière moi me fait sursauter. On dirait une branche qui craque, mais une très, très grosse branche. Instinctivement, je me lève et fais un pas en arrière, les yeux rivés vers le bosquet. Je recule encore quand je crois entendre un grognement sourd. 

D'autres craquements suivis de grondements furieux, cette fois c'est sûr. Il y a un animal sauvage qui avance vers moi. J'essaye de m'éloigner mais à chaque pas la bête semble se rapprocher et sa colère s'intensifier. Je m'immobilise, priant pour que Mark arrive et me tire de là. 

Un frisson me parcourt l'échine quand j'entend un grognement féroce dans mon dos. Je suis encerclé. Je me retourne lentement et quand je le vois, je reste figé. Un loup, énorme, se tient devant moi, la bava aux lèvres, deux charbons ardents à la place des yeux, guettant chacun de mes gestes. 

Une seconde.

Pourquoi ses yeux sont rouges ? 

Eclat d'ambre [Terminé ; en attente de correction ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant