En piste

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L'après-midi est déjà bien entamée quand nous arrivons chez Trevor. L'échange n'aura lieu que demain soir et même si une journée chargée nous attend, il nous faut un peu de repos. James ignore tout de mon ami, je pense donc que son appartement nous offrira un abri relativement sûr et un QG stratégique, puisqu'il se trouve au cœur de la ville. Sans compter que nous n'aurions jamais pu préparer une offensive digne de ce nom avec Tyler à nos côtés. Il aurait paniqué et tenté de nous faire changer d'avis, et je ne peux pas me permettre de le laisser entrer dans ma tête maintenant. J'ai besoin de toute ma concentration, mais surtout, j'ai besoin d'entretenir ma colère, et pour ça, je ne dois pas laisser des émotions telles que la compassion ou l'hésitation interférer dans mes projets. 

Je me gare sur le petit parking aux pieds de l'immeuble de Trevor, entre une Buick cabossée et une Jeep qui a bientôt plus de rouille que de peinture. Ce n'est pas exactement le quartier le plus prisé du coin mais au point où j'en suis, je n'ai pas vraiment les moyens de faire le difficile. Ce sera toujours mieux qu'un bunker au milieu de la forêt. Quoique, connaissant les propriétaires, j'imagine que le lit de camp sur lequel va dormir Tyler sera sans doute plus confortable que le matelas défoncé de mon pote. Mais peu importe, l'essentiel pour l'heure étant de nous reposer. 

Je suis Tre' dans la cage d'escalier sale et malodorante, là encore je me rend compte du changement dont j'ai fait l'objet. J'ai monté ces mêmes marches une centaine de fois, mais jamais ces relents de transpiration, d'urine et de crasse ne m'avaient tant dérangé. Peut-être que j'étais trop défoncé ou que l'environnement dans lequel j'évoluais m'importais peu à l'époque. Il faut croire que ce n'est plus le cas, puisque aujourd'hui, je trouve qu'il y a quelque chose d'oppressant au fait de me trouver ici. Mais je suppose qu'il n'y a rien d'étonnant à prêter un peu plus attention à ce qui nous entoure, après avoir été enfermé pendant trois mois. L'enfermement m'a rendu comme un aveugle qui retrouve la vue, ou un taulard qui retrouve sa liberté. Je guette chaque détail, m'imprègne de l'ambiance des lieux, emmagasine les odeurs, apprécie le souffle du vent sur ma peau. Je suis assoiffé de sensations, je les cherches et les savoure, parce que bientôt, je ne sentirai plus rien. 

Alors même si j'aurais aimé des derniers instants plus paisibles et plus joyeux, je me satisfais de l'endroit où je me trouve, bien qu'il soit loin de la plage de sable fin ou de la fête endiablée à laquelle j'aspire. Et c'est le sourire aux lèvres que je grimpe les quatre étages qui me séparent du studio de mon ami. Nous sommes accueillis par un grincement sonore et un courant d'air parfumé à l'herbe. L'appartement de Tre' comme je l'ai toujours connu. Toutes fenêtres fermées, le parquet usé dissimulé sous une couche de vêtements sales et d'emballages de pizza plus ou moins récents. Et au centre de la pièce, un canapé deux places en tissus bleu délavé qui constituera pour les heures à venir notre centre d'opération, mais aussi notre coin nuit. 

Après avoir réglé les derniers détails, je laisse Trevor prendre place sur le sofa. Epuisé, celui-ci s'endort presque immédiatement, alors que moi, je n'arrive pas à trouver le repos malgré la fatigue qui me tiraille. J'observe mon lit de fortune sur le sol, et n'y trouve aucun réconfort. Je voudrais pouvoir fermer les yeux et sombrer dans le sommeil le plus profond, malheureusement je n'y parviens pas. Un sentiment étrange m'oppresse et m'empêche de me fondre sous la couette rappeuse qui m'attend à même le parquet. Debout devant la fenêtre entrouverte, je regarde la fumée s'échapper de ma bouche et s'enfuir dans l'air froid de la rue endormie, et je repense à cette fameuse soirée. Celle où ma vie a basculé. Avant que tout ceci ne m'arrive, j'avais le sentiment d'être invincible, je me sentais supérieur à la masse d'étudiants qui se pressaient de regagner leur logement, comme si j'étais loin de toutes ces préoccupations qui agitent le commun des mortels. Aujourd'hui je me dis que je me voilais la face. Je prétendais refuser d'adopter le même mode de vie que tous ceux de mon âge alors qu'en réalité, j'avais peur. Je craignais de ne pas être à la hauteur de mes ambitions, incapable d'accomplir quoique ce soit. Ce devait être plus simple de me dire que je n'avais rien parce que je l'avais choisis, et non parce que j'étais incapable d'obtenir ce que je voulais vraiment. 

Eclat d'ambre [Terminé ; en attente de correction ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant