Carla

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Je ne sais pas sur quel pied danser. Nous sommes chez lui et je me sens vraiment pas à l'aise. La table est superbement bien dressée. Il ne manque plus que les bougies. Je trouve ça trop intime, cela m'oppresse. Il attend plus de cette soirée que ce que je pourrais lui offrir. S'il pense pouvoir m'emmener plus facilement dans son lit, il rêve. Je n'ai connu qu'un seul homme et notre vie intime était...pas comme je l'espérais. Je croyais que cela se passait comme dans les romans que j'affectionne particulièrement. Ils décrivent tous des papillons dans le ventre, des orgasmes puissants. Je n'ai jamais connu ça. Ce n'était pas désagréable mais pas transcendant non plus. A chaque fois que je commençais enfin à me détendre, c'était déjà fini. Avec le temps, mon cerveau a assimilé l'acte avec le mot corvée. Je n'en ai jamais discuté avec quelqu'un, de peur de découvrir que le problème vient de moi même si je le sais déjà. A chaque fois que Xavier me proposait d'essayer de nouvelles positions ou de pimenter notre relation, je refusais catégoriquement. La nudité me pose problème. Je n'aime pas me sentir exposée. C'est sans doute pour ces raisons qu'il a fini par me tromper.

- Carla, je te sers du vin?

J'hésite à accepter. Est-ce raisonnable pour mon foie? D'un autre côté, cela m'aidera un peu à me détendre. A partir de demain, je m'abstiens de boire pendant une semaine et je reprend le sport de façon plus assidu pour éliminer toutes ses calories.

- Avec plaisir. Je ne sais pas ce que tu nous a préparé mais l'odeur est vraiment alléchante.

- En entrée, des toasts de foie gras.

C'est bien ce que je pensais, il a mis les petits plats dans les grands. C'est parfait mais une soirée pizza ou kebab m'aurait tout autant contentée. Je sens un poids sur mes épaules, celui de ses attentes. Pour moi, il freine ses envies. Il n'est pas lui-même. Il se force à jouer un quelqu'un qui n'est pas. J'ai eu l'occasion d'apercevoir son caractère quand je le pousse involontairement à bout. C'est un homme autoritaire et je lui résiste, ce qui doit l'attirer encore plus.

L'assiette est très bien présentée. Il l'a décoré avec de la salade et des tomates cerises. Toutes les femmes rêveraient de l'épouser. Qu'est ce qui cloche chez moi?

- Au lieu de corriger les romans des autres, tu n'as jamais eu envie d'écrire tes propres histoires?

Je suis impressionnée, il lit en moi comme dans un livre ouvert. Je ne sais pas si je dois être flattée ou fuir.

- Je n'en ai jamais parlé mais oui, j'ai plusieurs histoires dans mon ordinateur. Certaines achevées, d'autres non. Pour anticiper à ta prochaine question, je n'ai jamais osé les envoyer à un éditeur par...

- manque de confiance en toi?

- Est-ce si évident? En fait, non, ne répond pas, je ne veux pas savoir. Et toi, pourquoi le droit?

- A la base, je m'imaginais en super héros combattant le mal et faisant triompher la justice. La réalité est différente. Je vois des couples se déchirer, se battre pour la garde des enfants et parfois celle du chien. La détresse des gens n'est pas belle à voir.

Je ne peux qu'acquiescer. Je suppose qu'il attend que je rebondisse sur le sujet mais je ne le ferais pas. Il faut vite que je trouve un échappatoire.

- Et sinon, tu as des frères et soeurs?

Il éclate de rire.

- Tu as l'art et la manière de passer du coq à l'âne. Tu me tues.

Je n'ai pas eu de réponse car il est parti en cuisine. Comme il en a pour quelques minutes, j'en profite pour explorer sa bibliothèque. Au milieu des ouvrages de droit, il y a des mangas. Il me surprendra toujours. Je n'en ai jamais lu. J'en profite pour lui en piquer un et je m'installe confortablement dans le fauteuil. Je me prend vite au jeu et je suis tellement absorbée que je ne l'entend pas m'appeler. C'est quand il se pose derrière moi et qu'il me caresse les cheveux que je reviens dans la réalité. Il sait exactement comment s'y prendre avec moi pour me faire craquer, cela me déroute. Je n'ai qu'un souhait qu'il ne s'arrête jamais. Je suis tiraillée entre le laisser faire ou le repousser. Ses mains descendent sur mon cou, mes épaules puis il se ressaisit.

- Si tu veux, je te le prête mais avant, il faut qu'on passe à table avant que le plat soit froid.

Je n'ai pas le temps de lui demander pourquoi les tagliatelles sont noires que monsieur se marre. Je n'ai jamais su masquer les émotions sur mon visage donc c'est sans doute ce qui vient de me trahir.

- C'est l'encre de seiche qui leur a donné cette couleur. 

-Ah!

Je ne sais pas quoi dire d'autres. Ca ne me tente vraiment pas du tout mais mes parents m'ont toujours dit "Lorsque l'on est invité, on se tait et on mange même si on n'aime pas". Alors, à l'attaque. Je pourrais toujours essayer de me boucher le nez discrètement tout en avalant. Enfant, je faisais toujours ça même si au final, le goût n'est pas masqué.

- Goûtes et si tu n'apprécies pas, je te ferais autre chose.

Je ne peux pas lui ruiner son repas. Il a fait ça avec amour. Amour? Non, il ne peut pas être amoureux de moi.

- Verdict?

- C'est très bon. Merci de me l'avoir fait découvrir, je n'aurais jamais osé en manger sinon.

- De rien. Il fait bon ce soir, on se prend le dessert sur le balcon?

- Avoue que tu as surtout envie de te fumer une cigarette? Ne t'inquiète pas, je m'en grillerais bien une aussi.

Celle d'après le repas est ma préférée. Celle qui me délasse et me permet de faire un petit peu de place dans mon estomac pour la suite surtout quand je sens l'odeur du chocolat. Mon péché mignon.

Il a vraiment tout planifié dans les moindres détails. Le revoilà avec une desserte pour tout transporter. Il a également pensé à me faire un thé. C'est dur, vraiment dur de ne pas lui succomber. Même au début de notre relation, Xavier ne me comblait pas d'autant d'attentions.

Nous sommes assis côte à côte dans le canapé en rotin. Son salon de jardin est magnifique et ce qu'il qualifie de balcon correspond plus selon mes critères à une terrasse. Il a sa main posée sur mon genou et ses doigts me caressent encore et encore. J'ai l'impression d'être de la guimauve qu'il peut modeler à sa convenance. Mon corps est un traite qui s'il pouvait s'exprimer crierait : plus, j'en veux plus.

- Je t'ai promis de ne pas te mettre mal à l'aise mais qu'est ce que tu ressens pour moi?

Pour toute réponse, je m'étouffe avec une bouchée de fondant au chocolat. 

Un pas après l'autre (reecriture) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant