Polar Shield

1. Printemps 2112, quartier polaire, Pôle Ouest

- Madame Benson ? Un colis pour vous.

- Pour moi ? demande la femme étonnée, un petit paquet entre les mains, mais le livreur est déjà loin.

Dehors, dans l'obscurité de la 7ème rue, le quartier fourmille de polaires qui rentrent du travail, emmitouflés dans d'épais manteaux. Le vent glacial siffle encore une fois dans l'entrebâillement de la porte que la femme referme, puis la douce quiétude de son foyer reprend ses droits.

- Maman, dis, je peux l'ouvrir ? dit son fils, en tirant sur son chemisier.

- Non, c'est moi, je l'ai vu le premier ! crie le deuxième, en poussant son frère.

- Du calme, les garçons, pas de dispute. Luc, va me chercher les ciseaux, et fais bien attention à ne pas te blesser. Tiens, Mickey, toi tu me tiens le paquet. Voilà, comme ça.

Pendant que leur mère sectionne le cordon qui entoure le colis, les garçons trépignent d'impatience en se poussant du coude pour mieux voir. La livraison d'un paquet chez des polaires est un luxe hors de prix qu'ils n'ont encore jamais connu.

- Qu'est-ce que c'est, maman ? demande le premier, tandis que sa mère extrait une sphère en verre d'un papier à bulle.

- On dirait... une boule à neige. Tiens, elle fuit un peu.

- Oh, s'écrie le petit Luc en agitant la boule, émerveillé par les flocons qui remplissent le ciel bleu marine au-dessus d'un moulage représentant le pôle Ouest en miniature.

- Passe, passe ! dit son frère en tentant de lui arracher.

- Chacun son tour, et sans la casser. Je reviens, dit la mère en se levant.

Elle veut appeler ses filles qui font leurs devoirs. Mais elle s'arrête, prise d'une soudaine douleur à la poitrine. Adossée au mur du couloir, elle tousse en serrant ses bras autour de son buste, pour calmer la brûlure. Puis elle respire lentement, se dit que ça va passer, mais la violence de la toux qui reprend lui coupe le souffle.

- Maman, ça va ? demande Sara, du fond de la pièce.

Lorsqu'elle passe la tête dans le couloir, elle pousse un cri et se précipite. Sa mère a glissé au sol, et suffoque en position fœtale, le visage rouge et congestionné. Dans un râle rauque, elle crache du sang sur le chemisier de sa fille qui crie au secours. Lisbeth accourt et les deux filles serrent en hurlant leur mère dont le maigre souffle filtre comme un soupir plaintif entre ses lèvres tuméfiées.

- Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, bon sang ? crie le mari énervé, en sortant des toilettes, la chemise à demi-enfoncée dans le pantalon.

Décidément, trois femmes hystériques à la maison, c'est des trucs à te rendre dingue. Elles ne comprennent que les coups de ceinture, mais c'est dommage, ça ne les rend pas raisonnables assez longtemps. Là, Sara et Lisbeth, ça doit être l'âge, elles sont pires que leur foutue mère ! Elles viennent de crier tellement fort que, maintenant, elles toussent à s'en arracher les poumons, ces connes !

- Putain, je vais te calmer tout ça, moi...

Il retrousse déjà ses manches mais s'arrête net, tétanisé. Sur le sol maculé de vomis et de taches de sang, Lisbeth agonise, agrippant les corps raidis de sa mère et de Sara, et lorsque son père agite ses épaules, un faible hoquet gonfle deux bulles roses dans ses narines, puis elle vomit un mince filet de caillots sombres.

- Oh merde... dit-il en se levant d'un bond.

Dans le salon, les deux garçons observent la scène en gémissant, serrés l'un contre l'autre comme des naufragés en pleine tempête. Dans les doigts crispés de Luc, les derniers flocons de la boule à neige reposent au fond depuis à peine cinq minutes.

- Restez pas plantés là, bon sang ! crie leur père en bousculant sur son passage les garçons terrorisés.

Tandis que Mickey court se cacher sous la table, Luc soulève le couvercle du coffre en osier et se laisse tomber à l'intérieur.

Leur père sort en trombe dans la nuit froide et court, hagard, chercher de l'aide chez les voisins. Alors que la porte s'ouvre, une douleur intense au ventre le foudroie, et la toux qui le submerge lui déchire les bronches.

- Monsieur Crowley ? Vous ne vous sentez pas bien ?