63. Bureau Présidentiel, Pôle Ouest

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- Autre chose ?

Manda, de dos, observe la vallée par la baie vitrée. L'inspecteur Wilson se tient immobile, au centre du grand bureau, son chapeau mou entre les mains. Assis sur le côté, Makena Diop, le Directeur Général du pôle Ouest, assiste à l'échange.

- Oui, Madame la Présidente, la photo de la victime circule clandestinement sur tous les murs des pôles. On pense qu'il s'agit forcément du criminel qui l'a prise, il n'y a eu aucun témoin oculaire à part les parents.

- Bon ? Rien d'autre ?

- Nous, Madame la Présidente. Vous savez tout.

- D'accord, cette histoire d'empoisonnement à l'ancienne et de broderie est plutôt sordide, intervient Makena en se levant. Mais il n'y a pas mort de Dominant. On exilera le cinglé qui a fait ça si on tombe dessus, mais en attendant, vous avez mieux à faire, inspecteur.

- Alors on classe sans suite, Monsieur le Directeur ?

- N'ai-je pas été clair, Wilson ?

Les deux hommes se toisent. Diop, campé dans un costume sombre impeccable, incarne un luxe et un pouvoir que l'inspecteur, dans son vieux blouson en cuir démodé, ne pourra jamais atteindre. Wilson sourit, les deux hommes se détestent, mais un vieux marché, passé il y a des années de cela, perdure entre eux.

- Si, Monsieur le Directeur.

Sans se presser, Wilson sort le bâton de réglisse qu'il avait rangé dans sa poche, le glisse entre ses dents puis tourne les talons. Lorsqu'il a quitté le bureau Présidentiel, la Présidente se tourne vers son bras droit, qui devine instantanément le sujet qui la préoccupe.

- Makena, vous avez du nouveau ?

- Mes agents viennent de retrouver son bracelet broyé dans la station d'épuration, et la pierre qui a servi à le détruire, au pied du mur d'enceinte, dans le Nord-Ouest du pôle. On a pu retracer son parcours depuis vos appartements jusqu'au mur, mais ensuite, bien sûr, on perd sa trace. Volatilisée. Elle a certainement dû bénéficier d'appuis pour...

- Le comment, je m'en contrefiche ! Trouvez-la-moi, c'est tout ce qui m'importe ! Ça sera tout.

Défigurée par la colère, Manda arpente à vive allure la moquette blanche de son immense bureau. Lorsque les pas de Makena ont cessé de résonner dans le couloir, la Présidente s'effondre sur son bureau et sanglote.

Une heure plus tard, l'ascenseur ouvre ses portes au niveau 0, au cœur de la ruche. Ici, l'armée des employés est chez elle, sillonnant les couloirs en tous sens. Du chef du protocole à l'agent de propreté, toute l'intendance du pôle se côtoie et se croise quotidiennement à cet étage du Havre Ouest. Makena Diop s'avance et se fraie un chemin d'un pas tranquille. Son costume de marque fait de lui un intrus, mais il ne s'en soucie pas. Il laisse passer un groupe de jeunes hôtesses qui gloussent sur son passage et évite l'échelle d'un technicien en bleu de travail. Au bout d'un couloir, il pousse la porte d'un local technique. Aussitôt, un employé en livrée le salue.

- Monsieur le Directeur, dit le majordome en s'inclinant.

- Zacharias, j'ai une mission de localisation pour vous.

Makena clique sur son bracelet et l'hologramme d'Amaïa apparait. L'employé clique sur le sien et charge l'holo de la jeune fille.

- Pas de traceur actif, je suppose ?

- Non, elle a détruit le sien. Je veux un signalement sous quarante-huit heures.

- Bien, Monsieur, nous allons faire l'impossible. Pas de neutralisation ?

- Non, j'ai dit localisation, Zacharias.

Le Directeur Général tourne les talons et rejoint le tumulte de la ruche. Lorsque les portes métalliques se referment sur la marée humaine du niveau 0, il prononce « moins dix-sept » et l'ascenseur entame sa descente. En attendant son étage, il clique sur son bracelet et dit : « Vittorio Sant'Angelo, dans deux minutes, dans mon bureau ». Alors qu'il franchit la porte capitonnée, la borne de son bureau clignote. Makena se penche sur l'ébène et effleure la borne.

- Vittorio ! Comment vas-tu ?

Tandis que le Directeur Diop retire sa veste et ajuste la luminosité de la verrière, un Vittorio en maillot de bain lui donne quelques nouvelles, tout en effectuant quelques brasses dans l'immense piscine du toit de la tour Nord.

- Vittorio, j'ai besoin d'un petit service. La Présidente Lavin recherche sa fille Amaïa qui a pris la tangente il y a peu. Je t'envoie son holo ?

- OK, envoie-le-moi. Je déploie mes antennes, c'est ça ?

- Gagné. A charge de revanche, Vittorio. Allez, bonne baignade.

Après avoir raccroché, Makena scrute la vallée, absorbé dans ses pensées. 

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