25. 2097, Havre Ouest, appartements présidentiels

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- Non, mon trésor, il n'est plus l'heure de jouer. Oui, j'ai vu que tu sais bien tes leçons, c'est très bien, tu as bien travaillé, mais maintenant il faut vite te doucher, parce qu'on va passer à table. Si mon amour, tu dois obéir à maman. Mais si, maman t'aime, regarde.

Sur le tapis épais, face à l'immense baie vitrée, Amaïa embrasse sa poupée. Elle la serre dans ses bras, la berce, chantonne en lui caressant les cheveux. Elle la glisse dans la petite cabine de douche en plastique, et tout en faisant tourner autour de son corps raide et longiligne un minuscule pommeau de douche, elle lui raconte sa journée.

- Tu sais, Christie, maman aussi a beaucoup travaillé. Et c'était très dur, de tout retenir. Mais je me suis bien appliquée, parce qu'il faut être très forte dans la vie, tu sais. Et après je savais tout par cœur, et Rosita elle était très contente. Et même que Rosita elle a été d'accord pour que j'attende ma maman qui va rentrer du travail bientôt. Bon, maintenant, je vais te sécher les cheveux. Moi aussi, j'aime beaucoup quand Rosita me sèche les cheveux. On va prendre la grande brosse, celle qui ne fait pas mal, d'accord mon trésor ?

Dans le fond de l'immense loft, une porte claque. La petite fille tend l'oreille, elle reconnait immédiatement le pas de sa mère et le frottement de son sac sur le guéridon de l'entrée. D'un bond, elle se lève et court dans le couloir. Lorsqu'elle arrive dans le salon, elle entend le bruit des glaçons, sa mère se tient de dos et se sert un verre. Amaïa s'arrête derrière elle, les yeux pleins d'espoir. Sa mère ne l'a pas vue et parle d'un ton morne à son mari, qui lit un journal, assis dans son fauteuil. En regardant sa femme, il lève un sourcil et hoche la tête vers Amaïa dans son dos. La femme se retourne et, surprise, voit sa fille en chemise de nuit la regarder en silence.

- Mais qu'est-ce que tu fiches ici à cette heure-là ? Tu devrais être couchée depuis longtemps ! Ah tu vas être fraîche pour l'école demain, tiens ! Et les pieds nus sur le carrelage, en plus ! Allez ouste, file au lit, lumière éteinte et pas d'histoire, il est beaucoup trop tard. Bonne nuit.

- Bonne nuit, maman.

En trainant les pieds, la petite fille peut presque sentir la chaleur du regard de son père lui envelopper le dos alors qu'elle marche vers sa chambre, les jambes de sa poupée trainant au sol.

Une fois la porte fermée, elle prend Christie par les deux bras.

- Christie, maman n'est pas contente. Tu es une petite désobéissante, tu ne fais que des bêtises. Non, maman n'est pas contente du tout. Tu es vilaine, je ne t'aime plus, va-t'en !

Amaïajette de toutes ses forces contre la baie vitrée la poupée, qui retombemollement au sol, les membres désarticulés. Sur son visage de porcelaine, unefissure est apparue, et le sourire angélique est à présent fendu d'un rictusmauvais. 

Polar ShieldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant