11. Le lendemain, Washington, Etats-Unis d'Amérique

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L'hélicoptère se pose sur la pelouse Sud d'une grande maison blanche. Dans une pièce ovale de l'aile Ouest du bâtiment, un groupe d'hommes aux mines graves entourent à distance respectable le large bureau d'un président.

- Bon, il en est où, là, votre spécialiste ?

- Il arrive, Monsieur le Président, l'hélicoptère vient d'atterrir.

Encadré par deux militaires en armes l'entrainant au pas de course, l'ingénieur traverse en trottinant la pelouse puis, le souffle court, haletant, s'arrête au milieu du corridor et prend appui sur une colonne. L'un des militaires fait demi-tour et le tire par le bras.

- Monsieur, il ne faut pas s'arrêter, on ne peut pas faire attendre le Président.

- Ah lâchez-moi, hein ! Ça fait des milliers d'années que ces météorites nous foncent dessus, alors on n'est plus à deux minutes près ! Je ne suis pas payé pour passer mes journées à faire de la course à pied ni de la musculation, moi, donc d'abord je reprends mon souffle, et ensuite on va aller parler à votre Président !

Lorsque la lourde porte du bureau exécutif s'ouvre sur l'astrophysicien, des exclamations s'élèvent.

- Ah, vous voilà enfin ! Bon, veuillez prendre place. Bien, nous vous écoutons.

- Bonjour, Monsieur le Président, bonjour messieurs. Monilier, de l'ESO. Euh, pourrais-je avoir un verre d'eau, s'il vous plait ?

En nage, l'ingénieur se désaltère puis s'éponge le front, dans un silence lourd d'impatience. Puis il entame enfin son exposé.

- Monsieur le Président, messieurs, comme vous le savez déjà, grâce à l'éclipse nous venons de découvrir quatre nouveaux PHA kilométriques totalement alignés.

- Molinier, traduisez, je vous prie.

- Veuillez m'excuser, monsieur le ministre. En clair, nous venons de repérer quatre météorites énormes qui foncent droit sur nous.

- A quels dégâts faut-il s'attendre ?

- Les dégâts ? Absolument monstrueux ! Imaginez l'énergie de milliards de bombes d'Hiroshima, Des continents entiers qui disparaissent, des pluies d'acide nitrique, un hiver d'impact glacial, et sans doute l'ensemble des espèces vivantes en péril...

- Dans combien de temps estimez-vous l'impact ?

- Il faudrait calculer cela précisément, mais c'est une affaire de semaines, un mois tout au plus.

Le directeur de la NASA intervient :

- Dites-moi, jeune homme, comment pouvez-vous être aussi formel, alors que le programme commun de la NASA et de l'ESA a déjà recensé 97% des astéroïdes kilométriques ? D'autant plus que la récente mission Aida sur Didymos a prouvé que la menace est toujours fantôme, si vous me permettez ce mauvais jeu de mots ?

Passés quelques ricanements nerveux dans l'assistance, le Président balaie d'une main à plat l'assistance et le silence revient.

- Sauf votre respect, Monsieur, les éléments du dossier que je vous ai transmis permettent de classer sans contestation possible l'astéroïde 2031 BD28 en niveau 9 sur l'échelle de Turin, ainsi que ses quatre escorteurs 2031 QV16, QV17, QV18 et QV19 en niveau 7, voire en niveau 8 après vérification de leur alignement. Maintenant, libre à vous de les ajouter à votre programme de recensement.

- Il ne s'agit évidemment pas de ...

- Messieurs, gardez vos débats d'expert pour la prochaine conférence de défense planétaire, si nous sommes encore là. Bien, à présent, continuez. Qu'est-ce qui nous attend, d'après vous ?

- Eh bien, voilà. L'alignement parfait de ces géocroiseurs avec le soleil explique sa découverte très tardive, et par conséquent le délai extrêmement court qui nous sépare de l'impact. Autant, la plupart des astéroïdes de plus d'un kilomètre de diamètre, nous les repérons environ trente ans avant un possible impact, autant dans ce cas, d'après mes calculs, un impact est à craindre d'ici trois mois au maximum.

- Trois mois ? Mais cela rend impossible toute tentative d'interception ! Et quel est l'estimation des dégâts en cas d'impact ?

- Tout d'abord, d'après nos premiers calculs, le diamètre du géocroiseur 2017 BD28 est de 13,7 kilomètres, soit sensiblement plus que l'astéroïde qui a vraisemblablement frappé la Terre il y a soixante-cinq millions d'années et entraîné la disparition des dinosaures... Maintenant, si nous prenons l'hypothèse d'une seule collision, celle de l'astéroïde principale, voici à peu près le déroulement que l'on imagine. Tout d'abord, l'impact dégagera plusieurs milliards de fois la puissance de la bombe d'Hiroshima, provoquant le pire tremblement de terre que l'on puisse imaginer et portant la température de tout un continent à vingt-mille degrés, rayant de la carte le continent touché en quelques secondes. Si l'impact est proche des côtes, un énorme tsunami peut en prime absolument tout balayer sur les côtes du continent concerné et de ses voisins. Un énorme nuage de cendres, de poussière et de vapeur d'eau émanant de la boule de roches en fusion grimpera dans la stratosphère et recouvrira l'ensemble du globe pendant plusieurs mois, plongeant toute la Terre dans un hiver d'impact, une sorte de nuit glaciale d'au moins un trimestre, suivi d'un réchauffement soudain lié à l'effet de serre de la vapeur d'eau en altitude, multipliant les pluies acides. Toute vie végétale sera quasiment anéantie, au moins jusqu'à ce que la poussière atmosphérique se disperse, entraînant comme pour les dinosaures la disparition de tous les herbivores et bouleversant toute la chaîne alimentaire.

Le scientifique, sentant son auditoire complétement sonné, interrompt son exposé et, dans un silence de mort, émet une petite toux forcée. Après un temps qui parait à tous interminable, le Président le questionne :

- Et qu'en est-il de l'espèce humaine, dans votre scénario ?

- Il y a soixante-cinq millions d'années, les mammifères ont survécu aux dinosaures. D'un point de vue purement technique, des hommes ont donc eux aussi des chances de survivre...

- Voilà qui est rassurant !

- Cependant, il est impossible de prévoir les conditions sanitaires et alimentaires dans lesquelles ceux qui en échapperont devront survivre...

- Bien. Des questions ? Le Président interroge son conseil du regard.

- Non ? Dans ce cas, monsieur l'ingénieur, je vous remercie. L'équipage de Marine One est à votre disposition pour vous raccompagner.

Lorsque la porte du bureau ovale se referme sur l'astrophysicien, le Président se frotte le visage, l'air abattu, puis pensif, commence à parler. Ses conseillers tendent l'oreille pour comprendre ses propos.

- L'humanité ne survivra pas, et si nous ne faisons rien, nous allons tous disparaître. Mais si nous faisons quelque chose et avertissons la planète du danger qui nous guette tous, c'est l'anarchie et la violence qui détruira notre monde avant ces monstres volants. Il semble que Dieu, en avant-goût du Jugement Dernier, nous donne à choisir les justes à sauver dans Sodome et Gomohrre. Et s'il n'en restait qu'un million, et si nous ne pouvions en sauver que mille, qui choisirions-nous ?

Polar ShieldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant