Polar Shield

14. Hiver 2078, appartements présidentiels, Pôle Ouest

La porte du grand appartement claque derrière elle. Son appel résonne dans les pièces vides, elle doit être la première rentrée. Manda dépose son sac au pied du guéridon de l'entrée, là où d'habitude sa mère pose le sien. Ses clés font un bruit métallique dans le cendrier puis ses talons claquent sur le carrelage dur. Dans la cuisine, elle se sert un verre de jus d'orange et attrape une pomme dans le compotier. En rejoignant sa chambre, elle croque dans le fruit, tout en pensant à ses devoirs du soir. Dans la pénombre du couloir, un rai de lumière vive darde sous la porte de son frère. Elle est étonnée, elle croyait être seule. Elle frappe, mais pas de réponse. Elle ouvre la porte et soudain, reste pétrifiée, la main crispée sur la poignée.

Son frère est prostré au sol, le visage baignant dans une flaque de vomis. Sur son bras, la manche est remontée et une seringue pend, encore enfoncée dans la veine. Il a les yeux mi-clos et marmonne des mots incompréhensibles. Elle se précipite et le prend dans ses bras, elle arrache l'aiguille et jette rageusement la seringue au fond de la pièce.

- Pourquoi tu fais ça, Andrew, pourquoi tu te fais du mal ? lui dit-elle entre ses larmes, en le berçant doucement contre elle.

Il ne répond pas, de toute façon il ne pourrait pas, il pleure juste avec elle, et elle sait qu'il s'en veut, et qu'il a honte qu'elle le voit comme ça.

Lorsque son père entre dans la pièce, ils sont serrés l'un contre l'autre et ne l'ont pas entendu arriver.

- Mais bon Dieu, qu'est-ce qu'il se passe ici ? Rugit-il, lorsque l'odeur du vomis et la tête effroyable de son fils apparait sur l'épaule de Manda.

- Papa, écoute, ne lui en veux pas, il a besoin qu'on l'aide...

En s'approchant, le père voit les traces de piqûres sur le bras de son fils, d'un pas vif il saisit la boîte argentée sur le tapis, elle contient un briquet, une cuiller et un sachet de poudre blanche. En hurlant de rage il jette la boîte de toutes ses forces contre le mur.

- Manda, dans ta chambre.

- Papa...

- J'ai dit, dans ta chambre ! Tout de suite !

Lorsqu'elle se relève, Andrew se cramponne à elle et elle doit défaire un à un les doigts qui serrent son chemisier. Il la regarde avec tristesse, comme si elle l'abandonnait. Elle sort en pleurant et referme la porte derrière elle. Pour ne pas entendre la suite, elle court s'enfermer dans sa chambre, mais les sifflements de la ceinture qui claquent sur les épaules de son frère et ses cris aigus de bête blessée lui parviennent malgré tout.