15. Printemps 2079, sur le gravitoport du Pôle Ouest

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- Votre glisseur est prêt, Monsieur.

- Bien. Allez me chercher mon sac, je l'ai oublié au pied de l'ascenseur.

- Bien, Monsieur.

Andrew soupire. Comme prévu, les vigiles sont si faciles à berner. Il s'avance au bord de la piste ronde, sous ses pieds la base de la pyramide puis deux cents mètres de falaise. Et tout en bas, la cascade et ce lac qui le faisait tant rêver, lorsqu'il était enfant. Il se souvient quand son père l'avait emmené au bord du lac. Une fois. Une seule fois. Il avait dû insister, il avait eu plusieurs très bonnes notes à l'école quelques jours avant, et par miracle, son père n'avait aucune obligation ce matin-là. Ils étaient descendus à bord de son Vaisseau, et, le long de l'eau glacée, côte à côte, ils avaient fait des ricochets.

Andrew ne regarde plus le lac, ni la vallée, ni le soleil levant, ni rien d'autre. Derrière ses yeux grands ouverts, sa vie défile comme un rêve éphémère alors qu'il tend les bras et se laisse aller en avant. Sept étages plus bas, il rebondit sur la paroi de verre. Puis encore au niveau -12, sur la grande fenêtre de la cafétéria, ou son corps se retourne comme un pantin désarticulé et enfin roule et glisse jusqu'à la grande verrière du bureau Présidentiel.

Penché sur son grand bureau, son père est déjà au travail. Par les vitres, les premiers rayons illuminent les zeppelins au mur et se reflètent sur le métal des sabres. Lorsque l'ombre du corps de son fils balaie la vitre dans un crissement fugace, le Président hausse un sourcil, puis réajuste ses lunettes et se replonge dans son rapport.

Une heure plus tard, un vieil homme pénètre dans le bureau.

- Oui, Jason ?

- Monsieur. C'est... c'est affreux. Il vient de se passer quelque chose d'horrible.

- Eh bien, parle ! Le Président, droit dans son fauteuil de cuir sombre, mordille nerveusement la branche de ses lunettes.

- Monsieur Andrew a mis fin à ses jours. On vient de retrouver son corps au bord du lac. Je... Je suis profondément désolé, Monsieur.

Le vieux conseiller se retire lentement en marche arrière. Le Président, toujours immobile, a le regard absent. Il triture ses lunettes et sa lèvre inférieure tremble. Lorsque la branche casse entre ses doigts, il saisit son front dans sa main et ses épaules sont secouées par un sanglot sans larmes, qu'il réprime bientôt en inspirant vivement. Il se redresse d'un coup sec et, tandis que son fauteuil roule jusqu'au milieu du bureau, il quitte la pièce d'un pas d'automate.

Deux jours plus tard, le Vaisseau Présidentiel repose au bord du lac, ses grandes voiles repliées frôlant les galets. Alignés devant l'eau, le Président, sa femme et Manda se tiennent par la main. Cinquante mètres derrière eux, le vieux conseiller et le pilote attendent, en retrait. L'urne dans le creux du bras gauche, le Président adresse un adieu sobre à son fils, puis l'ouvre et répand les cendres à la surface de l'eau. Les trainées grises sont emportées par le courant et se dissipent, et bientôt il ne reste plus rien. Manda scrute l'eau à la recherche d'une dernière trace de son frère, mais l'eau a déjà tout emporté.

Le lendemain, Manda entre à pas comptés dans le bureau de son père.

- Père, vous vouliez me parler ?

- Oui, assieds-toi.

Manda est désemparée, c'est la première fois qu'elle se retrouve face à son père, dans son bureau, dans le cadre formel d'une réunion de travail.

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