9. Pôle Est, le lendemain matin

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Le jour se lève sur le toit de la Mine Est. Seul, un homme vouté, au luxe discret, affronte les premiers rayons du soleil, qui semblent enflammer sa vaste chevelure blanche. Au loin, les silhouettes de trois vaisseaux prennent peu à peu forme. Le silence serait total sans le souffle léger d'un vent d'altitude. Les mains dans le dos, l'homme observe la lente progression des vaisseaux. Sur leurs grandes ailes déployées, on distingue bientôt les sigles des trois visiteurs.

Sur les voiles azur et ivoire de Haven One, le vaisseau de l'Ouest, un triangle barré est surmonté de deux accents circonflexes superposés. Un autre triangle parcouru de zébrures verticales trône sur les ailes sang et or d'Oasis One, le vaisseau du Pôle Nord. Enfin, deux cercles s'entrelacent sur un triangle inversé au centre des voiles vert et argent du dernier vaisseau venant du Sud, Arch One.

Les doigts du Président ondulent imperceptiblement sur son bracelet rouge, au rythme de la vieille mélodie dont il fredonne en boucle les premières notes. Le même air qu'il chantait, enfant, lorsqu'il courait sur ce même toit pour faire paniquer l'armée d'employés de son père, généreusement payés pour se jeter dans le vide plutôt que de le voir s'approcher du bord.

Peu à peu, les ombres immenses des vaisseaux enveloppent la tour, plongeant dans une quasi-obscurité la forêt de conduits translucides et de cheminées métalliques grimpant sur ses flancs. Sortant ses longues griffes métalliques, le vaisseau aux ailes rouges se pose en premier sur l'aire Nord. Tournant sur lui-même, le vaisseau du pôle Sud se positionne puis atterrit au ralenti. Presqu'en même temps, le dernier vaisseau touche l'aire Ouest. Les rampes s'abaissent dans un glissement parfaitement silencieux et les trois Présidents descendent en marchant, escortés par leurs gardes personnelles. Ils rejoignent dans le carré central leur hôte qui les accueille, les bras ouverts.

- Bienvenue, chers amis ! Avez-vous fait bon voyage ?

- Bonjour Fayçal, merci de ton accueil. Pas mal de turbulences, mais à part ça, rien de grave, explique John Starcliffe en serrant les mains du maître des lieux.

- Je vous remercie de nous recevoir, cher Fayçal, rajoute Manda Lavin en inclinant imperceptiblement la tête.

- Salut vieille branche, comment ça va depuis l'autre fois ? C'est pas tout, ce Haut Carré, mais j'espère que tu nous as préparé les petits plats dans les grands pour midi, comme tu sais faire, hein ? Parce que les voyages, tu sais que ça me creuse !

Luis Garcia lance un rire gras, dévoilant une pleine bouche de dents en or. Imperturbable, Fayçal ben Hussein sourit à chacun, puis tape dans les mains. La plateforme centrale s'enfonce avec ses occupants et se pose dans l'atrium du dernier étage. Les Présidents et leurs Directeurs rejoignent la salle du Haut Carré, puis les gardes prennent place devant les lourdes portes qui se referment.

Lorsque vient le soir, le Soleil couchant brûle l'horizon sous l'épaisse couche de nuages d'un noir d'encre, ses derniers rayons rouges braqués sur le Pôle Est. Postés aux quatre coins du toit de la Mine Est, les équipes médias de l'Ouest ont pris possession des lieux et déployé leur arsenal communicant. Depuis l'atrium en sous-sol, le carré central déverse à présent tout le gratin Dominant par fournées entières, et le brouhaha de leurs conversations inonde l'air cotonneux du crépuscule. En retrait derrière le président ben Hussein, un homme grand et mince se tient immobile, les traits tendus. Grisonnant, un peu raide, il diffuse une forme d'autorité qui creuse l'espace autour de lui. Son regard sévère se pose souvent sur son fils, un jeune homme aux allures de dandy qui arpente les groupes d'invités avec aisance, semant la bonne humeur sur son passage. Soudain amplifié par les hauts parleurs, le raclement de gorge du Président provoque un silence général en quelques secondes.

- Chers amis, je vous remercie d'avoir répondu présents à notre invitation. Comme vous le savez tous, notre pôle se consacre entièrement à inventer et fournir les solutions industrielles, projets de constructions et moyens de transport les meilleurs au monde. Que ces missions soient l'exclusivité du pôle Est ne nous dispense pas d'avoir la plus grande ambition et d'innover continuellement, pour notre plus grand profit à tous. D'autre part, les ressources du Monde Nouveau nous imposent des contraintes humaines et énergétiques qu'il nous faut transformer en forces de demain. Les transports d'un pôle à l'autre sont une nécessité et un enjeu économique de chaque instant, offrant à notre division Transport des opportunités multiples. J'ai donc le plaisir ce soir, en votre présence, de lancer le compte à rebours d'un nouveau projet qui va révolutionner l'industrie du fret aérien. Mesdames et Messieurs, je vous remercie de réserver le meilleur accueil au projet Cargodrone !

Sous les applaudissements, un hologramme géant apparait au-dessus de la Tour, flottant dans l'air sombre. Un glisseur sans cockpit ouvre le long d'un quai de chargement ses soutes que des robots à fourches remplissent de palettes de produits. Un technicien pianote sur une console quelques instructions, puis l'appareil décolle en douceur et s'élève dans les airs. Tandis que l'on comprend que son pilotage sera automatique jusqu'à son pôle de destination, le technicien sourit, retire sa blouse puis rentre chez lui en gravitobus. Une nouvelle salve d'applaudissements salue l'extinction de l'hologramme.

- Pour vous le présenter plus en détail, permettez-moi de passer la parole au Directeur du Pôle Est, Stig Madsen !

Posté derrière le Président, l'homme au profil anguleux s'avance.

- Chers amis, chers actionnaires, nous avons récemment voté la création de Cargodrone suite à plusieurs constatations. Le développement du fret aérien interpolaire rencontre aujourd'hui deux obstacles majeurs : son coût prohibitif et son manque de sécurité. Chaque cargo-glisseur nécessite un équipage d'employés polaires, disposant de passes d'utilité spécialisée, dépendants de contrôles aériens souvent disparates d'un pôle à l'autre. D'autre part, à ce coût en ressources polaires vient s'ajouter le coût de l'erreur humaine entrainant des pertes matérielles et des pénalités de retard de livraison. Ajoutons enfin que ces employés enfreignent trop souvent les droits exclusifs du Pôle Ouest sur la communication interpolaire, en propageant des rumeurs à travers nos pôles respectifs.

Demain, le fret devra donc être automatisé, nous libérant de l'intervention humaine, et sera coordonné par un réseau interpolaire fluidifiant et sécurisant le trafic aérien.

Grâce à l'incroyable capacité d'innovation de nos bureaux d'étude, un glisseur cargo entièrement automatique, baptisé Cargodrone, verra bientôt le jour dans nos ateliers. S'appuyant sur le futur projet Holonet du pôle Ouest...

Tendant leurs capteurs sensographiques vers le pupitre, les journalistes du pôle Est commentent à voix basse le discours, tandis qu'autour de l'assistance, les services de traiteur s'affairent, remplissant les tables de délicieux mets et préparant le service. La nuit à présent enveloppe d'un noir immense le toit émergé du pôle souterrain, où d'appétissantes odeurs de viande et de poisson grillé distraient les invités qui décrochent peu à peu et se détournent imperceptiblement de l'estrade. Sentant son auditoire le lâcher, Stig Madsen, légèrement agacé, écourte et désigne le grand jeune homme en pleine conversation avec ses voisines, qui se retourne, comme pris sur le fait.

- J'en confie donc la direction à Kjeld Madsen, qui aura l'honneur de conduire ce projet stratégique pour notre pôle dans le respect du budget et du planning définis. Souhaitons-lui pleine réussite. Prospérité à l'Est !

Le jeune dandy salue la foule, un sourire figé sur le visage, comme foudroyé par le regard de glace de son père à la tribune. 

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