57. Laboratoire de biologie moléculaire, Arche Sud

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Dans la plaque de culture numéro dix-huit, la prolifération des cellules a évolué à une rapidité déconcertante. Zhao lève les yeux du microscope et lance un sifflement admiratif. Ses trois assistants s'approchent, il prend une note dans son cahier rouge de laboratoire, le referme puis leur résume la situation.

- Bon, comme vous savez, on fait joujou avec notre petit nouveau, le Grand Méchant Virus B70 qui a tué les cinquante polaires à l'Ouest. A l'aide de notre bonne vieille machette à ADN, la CRISPR-Cas9, on a coupé la séquence d'ADN responsable de la réponse immune et on l'a collée dans quelques plasmides d'expression. Ensuite, on les a glissés dans nos petites bactéries, qui font maintenant des petits et multiplient le futur déclencheur à antigène viral, dit Zhao en désignant les plaques de culture.

- Après purification, ça donnerait un vaccin à ADN, n'est-ce pas ? demande Chanla.

- Oui, en théorie. Je suppose que c'est comme ça qu'ils feraient chez Vacca. Seulement ici, on ne fait pas de vaccin ! On ne fait que des expériences... explique Zhao, en posant machinalement la main sur le cahier devant lui. Pour revenir à nos cultures, en temps normal, on ne dépasse pas les dix pour cent de taux d'intégration du plasmide d'expression. Mais là, dans le puits de l'Escherichia coli, regardez un peu !

Le sourire aux lèvres, il recule et d'un geste cérémonieux, laisse ses collaborateurs accéder au microscope. Les deux garçons jouent des coudes, tandis que la jeune chercheuse attend son tour, en retrait. Tandis qu'ils regardent à tour de rôle et lancent des exclamations en se poussant du coude, Zhao consulte les notes de l'expérience.

- Bon, par rapport aux cultures précédentes, le seul paramètre que nous ayons changé est la nouvelle séquence du gène immunogène. Donc...

L'équipe commente en détail les implications de leur trouvaille. Ils échafaudent de nouvelles hypothèses et débroussaillent de nouveaux plans d'expérience.

- Bon, mais d'abord, Chanla et Victor, vous prenez en charge la rédaction du rapport d'essai. Nieves, vous attaquez le criblage moléculaire et la recherche d'homologie avec des pathogènes connus. On fait le point vendredi, OK ? Bon, allez les gars, on a bien travaillé, pause-café, je vous emmène à la cafétéria.

En sortant du laboratoire, ils empruntent en discutant le grand couloir circulant de l'étage -17. Derrière l'épaisse cloison de verre, des bancs de poisson tournoient dans les reflets bleu foncé de la mer. A cette profondeur, la lumière blanche du plein jour parait loin à la surface, et l'on distingue par endroit les ondulations irisées d'un ciel aquatique. Après avoir traversé un passage intérieur, ils débouchent dans la grande rotonde, où l'effervescence du cœur de l'Arche est à son comble. Sur les parois du puits central, deux escalators concentriques serpentent et acheminent les employés d'un étage à l'autre, répandant dans toute l'Arche un brouhaha général, telles deux cordes dissonantes dans le corps d'une contrebasse. Le groupe prend place sur l'escalator montant et observe, en attendant le niveau -12, la lente rotation des étages autour d'eux. Sur le côté, la façade jaune vif de la cafétéria avance vers eux, et à son approche, le groupe se fraie un chemin parmi le flot des passagers qui se rendent à la cafeteria. Après plusieurs années au pôle de recherche médicale, beaucoup de visages sont familiers pour Zhao. En se laissant porter par le flot, il échange quelques poignées de mains et fait des signes de tête. Il plaisante avec un ancien collègue lorsque ce dernier lui fait signe de se retourner. En faisant volte-face, il voit une jeune femme, se tenant dans l'embrasure, qui retient la porte de la cafétéria pour lui. Elle est splendide, et il n'a jamais vu des yeux si verts. Tout en la dévisageant, il tend la main pour saisir la porte, mais au moment où elle la lâche, sa main saisit le vide et la porte se referme sur lui. Le front de Zhao fait un son clair sur le carreau et sous le choc, il trébuche en arrière. Chanla et Victor ont juste le temps de le rattraper avant qu'il ne s'affale au sol, mais Nieves, sur le point de se précipiter sur lui, se retient au dernier moment.

- Oh mon Dieu, je suis navrée ! s'exclame la jeune femme en se précipitant vers lui. Est-ce que ça va, vous n'avez rien ?

- Euh, eh bien, je me sens comme un gars qui vient de se battre contre une porte et qui a perdu... Ça fait mal, mais c'est surtout terriblement vexant.

Soulagée, la fille rigole, et ses yeux qui pétillent font comme un nouveau feu d'artifice. Nieves, en croisant les bras, hausse les yeux au ciel et détourne la tête. Autour d'eux, la foule des employés tente tant bien que mal de pénétrer sans les bousculer.

- Bon, si on reste comme ça, on va finir par se faire piétiner. Comment me faire pardonner ?

- De m'avoir assommé à coups de porte ? marmonne Zhao en se relevant. Eh bien, pour commencer, si vous acceptiez que je vous offre un café, je ne dis pas, je pourrais peut-être - je dis bien, peut-être – oublier ce regrettable incident. Vous me devez bien ça, non ?

La jeune femme le regarde en biais et décroche un sourire malicieux. Pendant ce temps, Chanla tapote à l'épaule de Zhao, chuchote à son oreille en pointant des collègues puis il s'éclipse avec Victor et Nieves. Trop absorbé pour lui répondre, Zhao tend la main vers la ravissante inconnue.

- Zhao, je m'appelle Zhao Jin. Je dirige le laboratoire de biologie moléculaire.

- Et moi, c'est Anya. Anya Leonov. Je suis nouvelle, je suis arrivée ce matin au département de biostatistique.

            - Enchanté,Anya. Je vous en prie, dit Zhao en tirant la porte de la cafétéria à lui. 

Il lasaisit à deux mains avec d'infinies précautions, et Anya éclate de rire enentrant. 

Polar ShieldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant