51. Février 2112, Appartements présidentiels, Havre Ouest

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Dans le couloir, Amaïa entend des pas feutrés approcher de sa chambre. Elle sait que le moment est venu, mais elle ne peut s'empêcher de ressentir une violente angoisse la saisir. Quand elle lui a parlé de sa peur de partir, il l'a rassurée et lui a dit que tout irait bien, et que des choses merveilleuses l'attendaient, là-bas. Elle aime qu'il la serre contre elle, elle se sent en sécurité. Ce qui la terrifie, c'est de le quitter. Comment fera-t-elle sans lui, sans personne pour prendre soin d'elle ? Les pas se sont arrêtés devant la porte et vite, elle saute de son lit. Sans se retourner, car le temps presse, elle songe à la chaleur de ce lit et à toutes les nuits où il l'a abritée, lovée en boule sous sa couette géante. Vite, elle enfile ses vêtements, dans le noir, sans réfléchir. Elle se penche et tire de sous son lit le petit sac de voyage. Le rai de lumière balaie l'interstice sous sa porte, elle sait qu'il va d'abord gratter à la porte avant d'entrer. Elle sent ses doigts sur le bois avant d'entendre le grattement familier, comme à chaque fois qu'il rentrait tard de l'un de ses voyages, et venait l'embrasser dans son sommeil. Elle ne lui a jamais dit qu'elle faisait semblant de dormir, et que pour ne pas s'endormir en l'attendant, elle se pinçait jusqu'au sang, parfois pendant des heures. Voilà, elle est prête, il entre maintenant.

- Tu es prête, ma beauté ?

- Oui, papa.

- Alors, allons-y, suis-moi. Tu as bien tout ?

- Oui, oui, j'ai bien tout vérifié. Allons-y.

Elle se mord la lèvre pour ne pas jeter un dernier coup d'œil à sa chambre lorsqu'ils sortent. Mais elle ne peut s'empêcher de serrer son bras de toutes ses forces. Alors il pose sa grosse main chaude sur ses doigts crispés, les caresse puis l'entraine sur la pointe des pieds à travers le couloir. Lorsque la porte de l'appartement se referme dans un souffle métallique, elle pense à ses clés qu'elle a laissées pour de bon sur la table de nuit et leur pensée lui comprime la poitrine comme un poids trop lourd à porter. Ensemble ils montent au niveau technique, juste sous le hall principal. Par une porte dont son père a la clé, ils traversent un couloir rempli de conduites et de câbles jusqu'à un escalier de service. Derrière la porte coup de feu, la nuit se couche et les premières lueurs de l'aube pâlissent l'obscurité.

- Attends ma chérie, je dois changer ton bracelet. Donne-moi l'ancien. Si, tu dois le retirer, il doit disparaître. Laisse-moi faire, dit-il en sortant des ciseaux de la poche de son manteau.

Alors que son père empoche le vieux bracelet rouge et referme le nouveau fermoir bleu autour son poignet, Amaïa fond en larmes et le serre dans ses bras.

- Papa, c'est trop dur, je n'y arriverai pas !

- Mais si, tu y arriveras ! Oh ma beauté, mon amour, tu es tellement formidable ! Là, là, ne pleure pas... Je serai toujours avec toi, mon cœur. Allez file, maintenant ! L'aéroglisseur n'attend pas !

Alors qu'elle fait trois pas en marche arrière, il lui crie « je t'aime ! » et, en larmes, il disparait derrière la lourde porte qui se referme sur lui comme le couvercle d'un tombeau. Elle reste là, quelques minutes, seule sur le trottoir désert, à reculer l'échéance. L'embarquement commence dans vingt minutes.

Dans l'ascenseur, son père appuie sur le -15. Le front posé sur le miroir, les yeux perdus dans son propre visage, il voit toute sa vie défiler comme dans un album. Par-dessus tout, l'enfance de sa fille adorée, et chaque flash de ce bonheur passé lui broie un peu plus le cœur. Dans ses souvenirs, sa femme est là, mais elle est floue, ou bien absente, enfin il ne sait plus.

Il entre dans l'appartement comme un automate, les clés restent sur la porte grande ouverte. Il n'a plus de pensée, juste une suite de gestes très familiers, répétés à l'infini. Le bureau, le tiroir du haut, la housse en daim beige, le chiffon pour retirer la graisse, le fauteuil face aux chutes que l'aube inonde à présent de reflets de feu, et le canon qu'il pointe sur sa tempe avant de presser la gâchette.

Polar ShieldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant