65. Quartier polaire, Pôle Sud, à l'aube

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Peut-être est-il trop tôt ? Debout, devant le pas de la porte, il hésite à sonner. Il sait que peu de gens se réveillent aux aurores, comme lui. Ainsi est-il souvent seul, à cette heure matinale où le pôle dort et les quais sont déserts, recouverts d'une légère brume qui coule paresseusement dans l'eau du canal, à cette heure où l'air frais et iodé qu'il inspire le remplit de bien-être.

D'ordinaire, lorsqu'il se réveille avant l'aube, il est rare qu'il se rendorme. Encore moins depuis qu'il l'a rencontrée. Dès qu'il ouvre les yeux, ce sont les siens, immenses et verts, qui emplissent tout l'espace. Cette voix rauque, et cette démarche élastique, presqu'animale, tout en elle l'attire et le fascine. Ça fait maintenant quelques jours qu'il a osé faire le premier pas... Comme il s'est senti gauche et maladroit ! Pourquoi faut-il qu'embrasser une femme impressionne bien plus qu'un jury d'examen d'utilité ou qu'un supérieur qui exige des résultats ? Mais quel bonheur quand il a senti ses bras se refermer sur lui, lui montrant la voie...

Son sachet à la main, il se racle la gorge, se recoiffe et sonne enfin deux petits coups brefs, suffisamment légers pour ne pas paraître insistants. Aucune réponse. Il sonne à nouveau, et ses deux coups se font malgré lui plus marqués. Après un temps qui lui parait interminable, il entend derrière la porte quelques frottements, le bruit d'un trousseau de clés, puis le verrou que l'on tire. La porte s'entrebâille et Anya apparait, dans un peignoir blanc, les cheveux remontés dans un chignon grossier, les yeux encore gonflés de sommeil. Une perle grise sur un collier d'or blanc flotte au milieu de son décolleté. Il la trouve superbe. Pendant quelques secondes, appuyée sur le chambranle, elle semble émerger de son rêve, cherchant le nom de son visiteur. Puis elle tend le bras et le saisit par le cou.

- Viens, entre.

Une fois la porte refermée, Zhao hésite, intimidé de pouvoir enfin pénétrer dans son intimité.

- Tiens, je t'ai amené des barres protéinées. Regarde, j'ai trouvé des goûts sympa : fraise, mangue, et tiens, il y a même caramel. Tu aimes ça, au moins ?

- Je n'en mange pas souvent, mais de temps en temps, j'aime bien. Je te fais un café ?

Pendant qu'Anya prépare le petit-déjeuner dans la cuisine, Zhao fait un tour d'horizon du salon.

- Au fait, tu as des frères et sœurs ?

- Non.

- Ça ne te manque pas trop, l'Ouest ?

- Non. Tu prends du sucre dans ton café ?

Un peu décu, Zhao ne voit aucune holographie dans le salon d'Anya. Wi Lu adorait les holos, elle en prenait sans arrêt, son sujet favori était bien sûr Zhao, mais elle holographiait aussi des tas d'objets, des vues du pôle, de ses rues, des détails sur les fenêtres ou les façades des maisons, parfois des passants, des visages d'inconnus qu'elle saisissait à l'instinct. Elle avait installé une borne dans chaque pièce de leur maison, qui diffusait de manière aléatoire les holos du moment. Elle avait un sacré coup d'œil, un vrai sens de l'angle et de l'instant. Aussi, au fur et à mesure qu'il grandissait dans cet univers visuel, Zhao apprenait à lire toute une palette d'émotions sur ces figurants, dont il faisait souvent partie, et même à ressentir celles de sa mère en fonction des clichés qu'elle prenait. Les scènes dures, d'orage ou de colère sur les visages, revenaient comme un leitmotiv parmi la production de Wi Lu, tandis que des vues paisibles, romantiques ou les rires des passants se faisaient plus rares. C'était ainsi, malgré la douceur et la joie de sa mère. Et ce matin, dans le salon d'Anya dépourvu de la moindre holo, il se sent comme impuissant, incapable de déchiffrer la belle mystérieuse.

- Tiens, fais attention, c'est chaud.

- Merci. J'ai pris du sirop énergétique aussi, si tu préfères.

- Merci, mais je n'ai pas très faim, pour l'instant. Enfin, si tu insistes...

Anya s'accroupit devant Zhao, prend sa tête entre ses mains et l'embrasse. La tasse penche et lorsque le café brûlant inonde son bras, Zhao crie de douleur.

- Je suis désolée, c'est ma faute ! gémit Anya. Ta chemise est pleine de café ! Bon, pas de panique, retire-la, je vais tout de suite mettre ta chemise à la machine. Et puis j'ai de la crème apaisante...

Dans la salle de bain, Anya applique la crème sur son bras par mouvements circulaires. A chaque passage, elle appuie puis fort sur l'arrondi du muscle de l'épaule, qu'elle dévore des yeux. Zhao, oubliant la douleur, l'attire contre lui et l'embrasse avec fougue. Il dénoue la ceinture et le peignoir blanc glisse au sol. Ses seins ronds et pleins viennent frotter sa poitrine, tandis qu'elle le fixe, les narines frémissantes.

- Ton café va refroidir... chuchote Anya.

- Ça tombe bien, je préfère le café frappé. 

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