☠ Chapitre 25 ☠

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Nous sortons, ma grand-mère et moi, dans la fin de journée glaciale de ce mois de février. Au début, c'est un silence de plomb qui prend place entre nous deux. Habituellement, c'est moi qui parle la première. Mais là, je n'en ai aucune envie. Je n'ai jamais vraiment parlé de ce qui s'était passé, de ce que j'avais pu ressentir. Tout se passe à l'intérieur de ma tête.

- Tes frères t'ont donné ton nouveau téléphone ? dit-elle, brisant ainsi le silence de mort qui régnait.

- Non, je ne les ai quasiment pas vu.

Je n'arrive pas à être moi-même. Je ne sais pas, j'ai une sorte de blocage stupide. C'est vrai ! Je voulais plus que tout que ma mamie soit là et, une fois qu'elle est auprès de moi, je ne dis rien.

- Mamie... Je suis tellement désolée de me comporter ainsi. Je... C'est dur...

Elle s'est à présent arrêtée de marcher pour m'observer. Me voyant au bord des larmes, elle décide de parler :

- Je vais être franche avec toi, Alli. J'ai vraiment envie que tu te livres, vraiment. Je ne vais pas tourner autour du pot très longtemps. Je veux une conversation franche, reposant sur la confiance. Comme on l'a toujours fait. Si tu n'es pas prête à le faire, alors on rentre maintenant.

Elle est froide mais tellement directe. Elle ne passe pas par quatre chemins et c'est ce que j'aime chez elle.

- Dans ce cas, je commence, allons au parc, à deux pas d'ici.

Pendant le trajet, elle attrape mon avant-bras et le tient jusqu'à ce que nous nous asseyions sur un banc en bois.

- Tu seras franche jusqu'au bout, ma belle ? m'interroge-t-elle en me souriant tendrement.

- Jusqu'au bout...

Les mots ont du mal à sortir de ma bouche. Ma gorge se crispe et je déglutis avec difficulté. J'appréhende tellement cet entretient avec ma grand-mère.

- Commençons par le commencement, déclare-t-elle sans hausser la voix plus que d'habitude. Es-tu capable de parler de ce qui s'est passé, de ce que tu as vu ?

- Non. J'y pense sans cesse, j'en fais des cauchemars. Mais je n'arrive pas à mettre des mots dessus, ça me fait tellement de mal, si tu savais...

Les larmes coulent toutes seules sur mes joues pendant que je me tourne vers le regard bleuté de ma grand-mère.

- Je suis désolée mais c'est la seule chose que tu ne peux pas me demander de te dire. Si tu le prends mal, dis-toi que tu le fais pour moi. S'il te plaît.

Elle hoche lentement la tête en la détournant vers le lointain.

- J'ai l'impression de me voir, il y a dix ans. Quand Pierre est mort... J'étais dans le même état que toi. Je comprends ce que c'est. Mais, malheureusement, il n'y a que le temps qui guérit les blessures. Et c'est pire lorsqu'elles sont profondes.

Elle pose une de ses mains sur la mienne.

- Je n'en suis toujours pas remise. Je ne m'en remettrai jamais. C'est comme ça. Mais je vis avec. Je souris à la vie, j'aide les gens. Je ne reste pas seule, je fais tout pour voir du monde.

Son regard est à présent fixé sur moi.

- Et tu devrais en faire autant. Je sais que c'est compliqué et peut-être invraisemblable pour toi mais il le faut. Demain ce sera les commémorations. Demain, une nouvelle page de ta vie se tournera. Tu pourras recommencer à vivre.

- Mais je ne pourrai jamais oublié ce qu'il s'est passé, mamie...

- Je n'ai jamais dit que tu devais faire impasse dessus. Au contraire, sers-toi de cette expérience pour revenir plus forte dans la vie. C'est ce que tout le monde fait. On perd tous quelqu'un de très cher dans notre vie. C'est comme ça, c'est la mort. Mais il ne faut pas en avoir peur ma chérie.

Elle me caresse la joue avec son regard tendre posé sur moi.

- La vie vaut d'être vécu, Allison. Et tu devrais le comprendre maintenant. Tu es encore vivante, tu es ici. Tu peux vivre tes jours encore et encore. Ne l'oublie pas Allison. Tu es une survivante ! Et les survivantes ne se laissent pas mourir.

C'est tellement beau ! J'ignore comment ma grand-mère s'y est prise, mais elle m'a requinquée à bloc. Je viens de me prendre une belle leçon de vie en pleine figure.

- Merci mille fois pour ce que tu viens de faire mamie... Merci !

Et je la sers très fort dans mes bras, respirant son parfum. Je l'aime tellement ! Lorsque je me détache d'elle, elle réitère la conversation :

- Tu appréhendes demain ? me demande-t-elle alors que j'essaie de séparer mes émotions.

- Un peu... Mais c'est plus par rapport à la télévision. Des centaines de caméras seront braquées sur moi et j'ai peur. J'ai peur de faire une gaffe, de ne pas honorer mes amis. J'ai peur de décevoir tout le monde...

- Oh..., mais tu n'as pas à t'inquiéter pour ça.

Elle se relève du banc pour venir se placer juste devant moi.

- Allison. Demain, tout ce que tu vas dire ou faire va être apprécié par tout le monde. Tu es la survivante de cet attentat. Tu es celle qu'ils veulent voir. Alors peu importe ce que tu feras, peu importe ce que tu diras, ils seront pendus à tes lèvres. Personne ne t'a encore vu comme celle que tu es maintenant. Personne. Alors ne panique pas. Ils t'aiment comme tu es.

Elle roule les yeux vers le ciel avant de poursuivre :

- Et puis, de toute façon, qu'est-ce que ça peut bien faire ? Même s'ils disaient des choses méchantes sur toi, qu'est-ce que ça pourra bien faire ? Tu es notre Allison ! Tu sais ce que tu vaux pour ceux qui t'aiment. Tu le sais. Alors n'ait pas peur d'être détestée. Personne ne peut être aimée par tout le monde. C'est impossible.

Et elle a raison. J'ai des ennemis. Et je me dois de les vaincre.

À la Vie, à la Mort !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant